Comment mettre en place une tarification du carbone en Afrique ?

Les forêts d'Afrique centrale, puits de carbone vital pour la planète, sont essentielles pour l'avenir de la Terre. (photo undp.org)
Les forêts d'Afrique centrale, puits de carbone vital pour la planète, sont essentielles pour l'avenir de la Terre. (photo undp.org)
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Publié le Lundi 03 février 2025

Comment mettre en place une tarification du carbone en Afrique ?

Comment mettre en place une tarification du carbone en Afrique ?
  • En attribuant une valeur monétaire aux émissions de gaz à effet de serre, une telle stratégie encourage les entreprises à causer moins d’émissions et à générer des revenus qui peuvent être consacrés au développement durable.
  • Cette situation rend les ménages ruraux et à faible revenu particulièrement vulnérable aux politiques de tarification du carbone qui ne sont pas adaptées aux réalités socio-économiques et environnementales spécifiques de l’Afrique.

La tarification du carbone constitue une stratégie essentielle de la politique climatique. En attribuant une valeur monétaire aux émissions de gaz à effet de serre, une telle stratégie encourage les entreprises à causer moins d’émissions et à générer des revenus qui peuvent être consacrés au développement durable. Plus de 70 juridictions dans le monde ont déjà commencé à mettre en place des taxes sur le carbone ou des systèmes d’échange de droits d’émission afin de concilier croissance économique et objective climatiques.

La communauté internationale a récemment renforcé les dispositifs régissant les marchés mondiaux du carbone. Au cours de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques tenue l’année dernière à Bakou, en Azerbaïdjan, les pays sont parvenus à finaliser les négociations concernant l’article 6 de l’accord de Paris sur le climat, qui a pour objectif de normaliser ces marchés. Une telle mesure se traduit à travers l’adoption de règles visant à faciliter la coopération transfrontalière sur les projets de réduction des émissions.

Si la transparence et la responsabilité assurées par ces règles renforcent probablement la confiance dans les marchés du carbone, un cadre normalisé porte néanmoins certains risques pour l’Afrique. Il risque de ne pas répondre aux besoins du continent africain, ou même d'exacerber les inégalités et d'entraver le développement. En effet, près de 600 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité, alors que la biomasse ne représente que 45% de l’approvisionnement énergétique du continent. Cette situation rend les ménages ruraux et à faible revenu particulièrement vulnérable aux politiques de tarification du carbone qui ne sont pas adaptées aux réalités socio-économiques et environnementales spécifiques de l’Afrique.

À titre d’exemple, une taxe carbone forfaitaire sans subventions ciblées, ni investissements publics et ni financements internationaux, est susceptible de peser de manière disproportionnée sur les ménages ruraux et à faible revenu. Elle risque de les plonger davantage dans la pauvreté et d’entraver les efforts d’électrification. Le recours aux énergies renouvelables nécessite des dépenses initiales importantes en infrastructures et la tarification du carbone doit être structurée de manière à faciliter, et non à entraver, cette transition.

Un cadre normalisé risque de ne pas répondre aux besoins du continent, d’exacerber les inégalités et d’entraver le développement.                                                           Rim Berahab et Otaviano Canuto

D’autre part, l’Afrique est extrêmement vulnérable aux chocs climatiques, et se traduit par les sécheresses récurrentes au Sahel et les inondations catastrophiques au Mozambique. Les pays africains perdent en moyenne 2 à 5% de leur produit intérieur brut par an à cause du changement climatique et beaucoup d’entre eux consacrent jusqu’à 9% de leur budget annuel à la lutte contre les phénomènes météorologiques extrêmes, ce qui met à rude épreuve leur économie.

Dans le but d’adapter les stratégies de tarification du carbone aux réalités de l’Afrique, les décideurs politiques doivent encourager le réinvestissement stratégique des recettes qui en résultent dans des secteurs essentiels tels que l’éducation, la santé et les énergies renouvelables. En Afrique du Sud, les recettes de la taxe carbone du pays ont été canalisées vers des projets d’énergie propre, élargissant l’accès à l’énergie solaire dans les régions mal desservies. Tel « recyclage des recettes » atténue les effets régressifs de la tarification du carbone et lutte contre la pauvreté énergétique tout en favorisant un développement inclusif.

La mise en œuvre progressive de modèles de tarification du carbone, tout en fixant des prix initialement modérés, permettrait aux pays africains de s’adapter progressivement aux exigences d’une économie verte, sans freiner sa croissance. Parallèlement, le développement à rythme lent et régulier de cadres de mesure, de notification et de vérification faciliterait l’identification et la correction des erreurs, ce qui se traduirait par des systèmes plus robustes et plus fiables. Cette approche minimise les chocs économiques souvent associés aux transitions brutales, offrant ainsi une voie pratique vers le développement durable.

Les partenariats public privé constituent une stratégie puissante pour mobiliser les investissements dans les technologies vertes et les projets de crédit carbone et pour aligner les objectifs environnementaux et sociaux. À titre d’exemple, l’initiative de l’usage de cuisson propre du Rwanda, qui tire pleinement avantage de l’expertise et le financement du secteur privé pour distribuer des cuisinières efficaces, a permis de réduire les émissions et d’améliorer les résultats en matière de santé des ménages ruraux.

Il est également primordial de tirer parti des solutions fondées sur la nature. Les forêts tropicales, les zones humides et les tourbières d’Afrique stockent de vastes quantités de carbone, le bassin du Congo seul contenant plus de 30 milliards de tonnes de dioxyde de carbone. Ces actifs pourraient générer des crédits carbone de haute qualité, qui attireraient des financements internationaux et préserveraient des écosystèmes essentiels. Dans le cadre de l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale, un programme pionnier de crédits carbone du Gabon, organisé par l’ONU et multidonateurs, a permis de conserver d’énormes parties de ses forêts. Le Gabon a ainsi obtenu un engagement de 150 millions de dollars sur 10 ans dans le cadre d’un accord conclu en 2019 avec l’initiative.

La mise en œuvre progressive permettrait aux pays africains de s’adapter progressivement aux exigences d’une économie verte, sans freiner sa croissance.                               Rim Berahab et Otaviano Canuto

Bien que le concept de tarification du carbone offre un potentiel pour répondre aux enjeux climatiques et de développement de l’Afrique, des obstacles subsistent quant à sa mise en œuvre. Afin de les surmonter, il est impératif de s’attendre à des interventions précieusement ciblées. D’une part, les faiblesses institutionnelles pourraient compromettre la robustesse des mesures, des rapports et des vérifications, qui sont essentiels pour garantir la crédibilité et attirer les investissements. D’autre part, les organisations internationales telles que le Programme des Nations Unies pour l’environnement et la Banque mondiale pourraient contribuer à la mise en œuvre des mécanismes de tarification du carbone dans les pays africains en fournissant une formation technique et en soutenant le développement des infrastructures nécessaires.

Un autre défi se pose pour les pays africains : assurer l’acceptation sociale de la tarification du carbone. Étant donné que ces politiques peuvent provoquer une réaction négative de l’opinion publique si elles sont perçues comme injustes, ou même mal interprétées, les gouvernements doivent faire preuve de transparence quant au réinvestissement des revenus qu’elles génèrent. Ces fonds peuvent d’ailleurs ne pas pouvoir seuls répondre aux besoins énergétiques et d'infrastructures de l’Afrique. Dans ce cas, des stratégies complémentaires tels que les obligations vertes, les mécanismes de financement mixte et le financement international du climat peuvent aider à combler l’écart.

Un marché panafricain du carbone, coordonné par des institutions comme la Zone de libre-échange continentale africaine, pourrait consolider les efforts nationaux fragmentés en une plateforme unifiée. Un tel marché réduirait les barrières à l’entrée pour les petites économies, rationaliserait les normes et attirerait les investissements internationaux. Il renforcerait également le rôle de l’Afrique dans la promotion de solutions climatiques fondées sur la nature, permettant au continent de réduire les émissions mondiales tout en soutenant les communautés locales.

Au moment où le monde se prépare à la COP30 qui se tiendra à Belém, au Brésil, les pays africains profitent de l'occasion de plaider en faveur de stratégies de tarification équitable du carbone qui harmonisent l'action climatique avec le développement durable. S'il est crucial de réduire les émissions, il est tout aussi important de garantir l'équité et la justice pour les communautés les plus vulnérables au changement climatique.

Rim Berahab est économiste principale au Policy Center for the New South. 
Otaviano Canuto, ancien vice-président et directeur exécutif de la Banque mondiale, directeur exécutif du Fonds monétaire international, vice-président de la Banque interaméricaine de développement et vice-ministre des Finances du Brésil, est chercheur principal non-résident à la Brookings Institution et chercheur principal au Policy Center for the New South. 

Copyright : Project Syndicate

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com