Pourquoi les relations entre la Turquie et le Royaume-Uni sont en plein essor

Le Premier ministre britannique Keir Starmer (à droite) s'entretient avec le président turc Rdogan lors d'un sommet de l'OTAN à Washington, le 11 juillet 2024. (AFP)
Le Premier ministre britannique Keir Starmer (à droite) s'entretient avec le président turc Rdogan lors d'un sommet de l'OTAN à Washington, le 11 juillet 2024. (AFP)
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Publié le Samedi 10 mai 2025

Pourquoi les relations entre la Turquie et le Royaume-Uni sont en plein essor

Pourquoi les relations entre la Turquie et le Royaume-Uni sont en plein essor

L’accord de renforcement de la coopération en matière de défense, conclu la semaine dernière entre la Turquie et le Royaume-Uni, marque une nouvelle étape dans une relation en plein essor. Il reflète le rapprochement progressif entre Ankara et Londres, porté par une convergence croissante de leurs intérêts stratégiques.

La Charte du Conseil de coopération industrielle de défense Turquie-Royaume-Uni a été officiellement signée par les deux pays, officialisant et institutionnalisant leur collaboration dans le secteur de la défense. Cet accord marque l’ouverture d’une nouvelle phase de coopération stratégique entre Ankara et Londres. Face à un « environnement sécuritaire mondial en mutation » et à des « menaces communes », les deux alliés de l’OTAN ont insisté sur la nécessité de renforcer leurs liens dans le domaine de la défense.

En 2023, les ministres de la Défense turc et britannique ont signé une déclaration d'intention sur la coopération en matière de défense, stipulant des exercices conjoints et une collaboration renforcée en matière de sécurité. Autre signe évident du renforcement des liens de défense entre les deux pays : les négociations en cours autour d’une éventuelle vente d’avions Eurofighter Typhoon à la Turquie, un contrat estimé à près de 10 milliards de dollars.

Lorsque Keir Starmer est devenu Premier ministre l'été dernier, certains redoutaient un ralentissement des relations entre le Royaume-Uni et la Turquie, après une décennie de rapprochement, en particulier avec l’arrivée d’un gouvernement travailliste. Pourtant, contre toute attente, Starmer entretient de bonnes relations avec les dirigeants turcs. Il a même été critiqué par le chef du principal parti d’opposition turc, qui l’a accusé de faire passer les enjeux de sécurité régionale, comme la situation en Syrie, avant les questions de politique intérieure turque. Depuis son arrivée au pouvoir, Starmer s’est entretenu à plusieurs reprises avec le président Recep Tayyip Erdogan, notamment par téléphone et en marge de forums internationaux tels que la COP29 à Bakou et le sommet de l’OTAN à Washington.

Londres a opté pour une approche pragmatique, consciente du rôle croissant de la Turquie au Moyen-Orient.

                                                     Dr Sinem Cengiz

Cette orientation témoigne d’une évolution de la politique étrangère de Londres vers davantage de pragmatisme, consciente du rôle croissant de la Turquie au Moyen-Orient. Bien que les opinions divergent au sein du gouvernement travailliste sur Ankara, des tensions régionales telles que la Syrie, Gaza et l'Ukraine ont incité le Royaume-Uni à privilégier la coopération avec la Turquie, un allié crucial de l'OTAN. Le Royaume-Uni s'est également abstenu de tout commentaire public sur le soutien apporté par la Turquie à l'Azerbaïdjan lors du conflit du Haut-Karabakh en 2020, témoignant de sa volonté de maintenir des relations solides avec Ankara et Bakou.

Bien que le Royaume-Uni ait soutenu l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, son propre retrait du bloc a profondément redéfini sa relation avec Ankara. Le Brexit a, sous plusieurs aspects, offert à Londres une fenêtre d’opportunité pour renforcer ses liens économiques et sécuritaires avec la Turquie, notamment en relançant les négociations autour d’un accord de libre-échange.

La Turquie considère aujourd'hui le Royaume-Uni comme un partenaire clé dans plusieurs domaines autres que la défense, notamment l'investissement, la politique migratoire et le commerce. L’un des points de convergence majeurs entre le Royaume-Uni et la Turquie concerne la lutte contre l’immigration clandestine, particulièrement dans le contexte du durcissement des politiques migratoires britanniques depuis le Brexit. Certains analystes vont jusqu’à affirmer que les craintes liées à une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne, et à l’augmentation potentielle des flux de réfugiés en provenance de zones de conflit, ont été l’un des facteurs clés ayant motivé le choix du Royaume-Uni de quitter l’UE.

En effet, la Turquie et le Royaume-Uni ont dû affronter des défis similaires, tels que l’affaiblissement de l’Union européenne, l’escalade de la crise des réfugiés et la menace croissante d’une agression russe. Les deux pays se sont opposés aux actions de la Russie en Syrie et en Ukraine, bien qu’Ankara ait su gérer habilement ses relations avec Moscou, réussissant à compartimenter la coopération sur certains sujets. L'achat par la Turquie du système de défense aérienne russe S-400 en est un exemple, qui a inquiété le Royaume-Uni, Londres préférant qu'Ankara renforce ses liens avec ses alliés de l'OTAN plutôt qu'avec la Russie dans le secteur de la défense.

La Turquie considère aujourd'hui le Royaume-Uni comme un partenaire clé dans plusieurs domaines autres que la défense, notamment l'investissement, la politique migratoire et le commerce.

                                                Dr. Sinem Cengiz

Il y a aussi le facteur américain. Or, il faut aussi prendre en compte l'influence américaine. L'OTAN se trouve confrontée à d'importants défis, notamment en raison de l'orientation américaine qui s'éloigne de l'Europe pour se concentrer sur le Pacifique, de la politique de Washington envers la Russie et de l'affaiblissement de la puissance militaire de certains membres de l'alliance. En réponse à cela, le Royaume-Uni a fait de la coopération en matière de défense un pilier central de ses relations de plus en plus rapprochées avec la Turquie.

De plus, le rôle croissant de la Turquie au Moyen-Orient, une région dans laquelle le Royaume-Uni a des intérêts stratégiques clés, est un autre moteur du renforcement de ces relations. L'une des questions les plus urgentes qui préoccupent autant la Turquie que le Royaume-Uni est la guerre en cours à Gaza. Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, a récemment reconnu pour la première fois que le Royaume-Uni travaillait avec la France et l'Arabie saoudite à la reconnaissance d'un État palestinien en amont d'une conférence clé de l'ONU prévu pour juin. Par ailleurs, le Royaume-Uni et l'Autorité palestinienne ont conclu le mois dernier un protocole d'accord sur la coopération stratégique, stipulant des efforts conjoints pour planifier l'avenir de Gaza, conformément aux initiatives arabes et palestiniennes.

Pour resserrer les liens avec les puissances régionales, le secrétaire britannique à la Défense, John Healey, s’est rendu en novembre dernier en Arabie saoudite et en Turquie, où les discussions ont porté sur la sécurité régionale et le renforcement de la coopération en matière de défense. Ce rapprochement avec la Turquie et d'autres acteurs clés de la région, comme l'Arabie saoudite, offre au Royaume-Uni une occasion de consolider ou de maintenir son influence au Moyen-Orient.

La Syrie constitue également une question importante. Lors d'une réunion entre de hauts diplomates turcs et britanniques en mars, la Turquie et le Royaume-Uni ont discuté de la levée inconditionnelle des sanctions contre la Syrie, en mettant l'accent sur le rétablissement des flux financiers vers le pays.

Ankara et Londres semblent bénéficier mutuellement de ce rapprochement, leurs intérêts nationaux l'emportant sur leurs divergences politiques. Pour la Turquie, le Royaume-Uni offre la possibilité de coopérer avec un allié de l'OTAN qui n'est pas limité par les conditions de l'UE, tandis que pour le Royaume-Uni, la Turquie constitue une porte d'entrée pour ses intérêts économiques et politiques dans la région.

Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. *
X : @SinemCngz
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com