PARIS: Conscient de son impopularité record et de l’hostilité grandissante face à son plan de rigueur, le Premier ministre français François Bayrou a choisi de prendre les devants.
Depuis mi-juillet, il s’est lancé dans une série de vidéos intitulée FB Direct sur YouTube, pour expliquer directement aux Français pourquoi son budget 2026 impose 43,8 milliards d’euros d’économies et pourquoi, selon lui, ces sacrifices sont inévitables.
Une stratégie inhabituelle, presque désespérée aux yeux de certains observateurs, mais que l’intéressé revendique comme un passage obligé : « J’essaie de vous regarder dans les yeux », répète-t-il face caméra, veste tombée mais ton professoral, en martelant les chiffres de la dette et les risques encourus si rien n’est fait.
Entre les « efforts choisis » et les « sacrifices subis », Bayrou veut faire comprendre que la France doit reprendre en main son destin.
Il est sous pression et le temps joue contre lui : menacé de censure par la gauche comme par le Rassemblement national, et dépourvu de majorité solide à l’Assemblée nationale, il n’a pas d’autre option que de tenter d’attirer l’opinion publique à lui.
Il parie sur la possibilité de contourner l’opposition parlementaire en parlant directement aux citoyens, dans l’espoir que la pression populaire fasse plier ses adversaires politiques.
Le Premier ministre est loin d’être une personnalité flamboyante ; il ne fait pas non plus d’étincelles. En revanche, il est un concentré d’acharnement patient et d’endurance, ce qui lui a souvent valu d’avoir gain de cause.
Cette méthode viendra-t-elle à bout des réticences, voire du rejet ferme, d’une majorité de Français à l’égard de ses choix budgétaires ?
Rien n’est moins sûr : malgré ses velléités, les sondages ne montrent pour l’instant aucun frémissement en sa faveur.
Les mesures de suppression de deux jours fériés, gel des retraites, non-remplacement des fonctionnaires partant à la retraite et réforme de l’assurance chômage sont toutes perçues comme brutales et injustes par une large partie de la population.
Dès la présentation des grandes lignes de son budget, les réactions ne se sont pas fait attendre : une pétition intersyndicale a réuni les syndicats français, toutes tendances confondues, pour exiger « l’abandon immédiat de ce budget d’une brutalité sans précédent ».
Paradoxalement, même le patronat ne cache pas ses réserves : il a certes apprécié l’absence de hausse de la fiscalité des entreprises, mais il s’inquiète de certaines mesures telles que la suppression des jours fériés ou la contribution salariale de 0,6 % envisagée en contrepartie.
La menace la plus imprévisible pour Bayrou vient peut-être de la rue. Depuis plusieurs semaines, un mouvement citoyen baptisé « Bloquons tout » appelle à paralyser le pays à partir du 10 septembre. Inspirée par le mouvement des « gilets jaunes » de 2018, cette mobilisation diffuse ses mots d’ordre en ligne, incitant à boycotter les commerces, à faire grève dans tous les secteurs d’activité et à mener des blocages ciblés, comme l’occupation pacifique de lieux symboliques.
Le mot d’ordre, « La France s’arrête », pourrait fédérer des colères diverses : lutte contre la réforme du marché du travail, rejet des zones à faibles émissions, etc.
Sans leader officiel, ce mouvement prend de l’ampleur, avec le soutien affiché de figures historiques des « gilets jaunes » comme Jérôme Rodrigues ou Jacline Mouraud.
Malgré cela, au ministère de l’Intérieur, l’ambiance reste à la prudence : beaucoup de mobilisations virales s’essoufflent sur le terrain. Cependant, le ministère n’exclut pas un scénario de convergence entre ce mouvement spontané et les syndicats déjà vent debout contre le budget Bayrou.
Si le président de la République, Emmanuel Macron, soutient publiquement son Premier ministre et salue « une stratégie claire et solide », l’étau se resserre politiquement.
La cheffe de file du Rassemblement national (extrême droite), Marine Le Pen, affirme qu’« il est impossible pour le RN de ne pas censurer ce gouvernement ». Du côté de la gauche, de La France insoumise (extrême gauche) au Parti socialiste, la condamnation est unanime.
Bayrou sait qu’il joue gros : un échec parlementaire signifierait probablement la fin de son mandat à Matignon. Mais, tenace comme à son habitude, il assume le risque.
Derrière son offensive de communication, c’est un pari presque contradictoire : tenter de convaincre sur un sujet aussi impopulaire qu’un plan de rigueur qui exige du temps… alors que le temps lui manque cruellement.
Les oppositions pourraient déposer une motion de censure dès l’automne ; la rue pourrait s’embraser bien avant si l’appel du 10 septembre prend de l’ampleur. Et pour l’instant, ses vidéos n’affichent que quelques milliers de vues, loin d’un raz-de-marée populaire.
Mais Bayrou persiste et signe, affirmant : « Nous devons être la génération qui décide de faire les efforts nécessaires », prenant en exemple la Grèce et l’Espagne qui, faute d’anticipation, ont dû encaisser des « efforts forcés » autrement plus douloureux.
Reste à savoir si cette méthode pédagogique pourra changer la donne, ou si, comme le prédisent certains de ses détracteurs, l’automne 2025 restera dans l’histoire comme le moment où la stratégie du « YouTubeur de Matignon » s’est fracassée contre la réalité sociale.