PARIS: Dans le cadre de la dixième édition de « Think Culture », un rendez-vous incontournable qui interroge les liens entre culture, innovation et société, une table ronde posait une question centrale : comment préserver l’identité d’un site patrimonial exceptionnel tout en l’inscrivant dans le présent et l’avenir ?
Pour y répondre, les organisateurs ont choisi un exemple emblématique : la Villa Hegra, première institution franco-saoudienne dédiée à la coopération culturelle, implantée au cœur du site d’AlUla, au nord-est de l’Arabie saoudite.
Trois voix se sont relayées pour éclairer les enjeux de ce projet : Ingrid Périsset, directrice de la recherche archéologique et du patrimoine pour l’Agence française de développement d’AlUla (AFALULA) ; Fériel Fodil, directrice générale de la Villa Hegra ; et Hervé Lemoine, président de l’Établissement public des manufactures nationales et du Mobilier national.
En introduction, Ingrid Périsset a rappelé les racines profondes de la coopération franco-saoudienne dans le domaine archéologique, soulignant que, depuis près d’un quart de siècle, des chercheurs français travaillent sur le site d’Hegra, « petite sœur de Pétra », joyau nabatéen classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette présence pionnière, amorcée au début des années 2000, a contribué à révéler la richesse exceptionnelle d’AlUla et à établir un climat de confiance entre les deux pays.
Pour l’archéologue, il n’existe pas de rupture entre passé et présent : « L’histoire de l’art est un continuum, une transmission permanente. Les artistes contemporains se retrouvent souvent bouleversés en découvrant des objets millénaires, comme s’ils partageaient une même mémoire créative avec ceux qui les ont façonnés. »
Cette vision inscrit la Villa Hegra dans une logique de dialogue entre héritage et création, où la préservation patrimoniale nourrit l’innovation culturelle.
Prenant la parole, Fériel Fodil a présenté la genèse et les spécificités de la Villa Hegra. Créée à la suite d’un accord intergouvernemental signé en 2021 et renforcée par un décret royal en 2024, lors de la visite du président Emmanuel Macron en Arabie saoudite, l’institution s’affirme comme un pilier de la diplomatie culturelle.
Sa singularité tient à sa gouvernance bicéphale, à la fois française et saoudienne, qui se traduit par une double direction curatoriale, des équipes mixtes et une programmation ouverte aux artistes francophones et arabophones. « C’est la première villa véritablement binationale du réseau français, souligne-t-elle. Elle incarne une volonté de coopération équilibrée et réciproque. »
La Villa Hegra rejoint ainsi les grandes villas françaises à l’étranger – de la Villa Médicis à Rome à la Casa de Velázquez à Madrid, en passant par la Villa Kujoyama à Kyoto et la Villa Albertine aux États-Unis. Mais, contrairement à ses sœurs, elle s’implante dans un territoire encore en devenir culturel, avec l’ambition d’être ancrée localement tout en restant ouverte sur le monde.
Pour Hervé Lemoine, l’intérêt de la Villa Hegra tient aussi à sa capacité à accueillir les métiers d’art et du design, trop souvent relégués au second plan derrière les arts visuels ou les arts vivants. Ces savoir-faire, estime-t-il, constituent pourtant un patrimoine matériel essentiel.
Le partenariat entre la Villa Hegra et les Manufactures nationales vise à valoriser cette dimension. Dès les premiers échanges, des pièces de mobilier français ont été installées sur place, non pas uniquement pour leur confort ou leur esthétique, mais pour témoigner de la richesse des traditions artisanales. « C’est une autre manière de créer des ponts, explique-t-il. En montrant le travail du bois ou des arts décoratifs, nous favorisons un échange culturel fondé sur la main, le geste et la matière. »
Ce dialogue se concrétise également par des résidences croisées : une jeune artiste saoudienne rejoindra bientôt les ateliers français pour découvrir la diversité des métiers représentés. Il s’agit là d’une transmission tangible des savoir-faire, vecteur d’innovation et de coopération durable.
La Villa Hegra n’est pas seulement un lieu d’exposition ou de résidence : elle s’affirme comme un outil de diplomatie culturelle. En réunissant artistes, chercheurs et institutions, elle favorise la circulation des idées et des pratiques entre la France, l’Arabie saoudite et au-delà.
Son inscription officielle dans le réseau des villas françaises, prévue à Paris en octobre prochain, ouvrira la voie à de nouveaux échanges artistiques entre les différents sites — qu’il s’agisse de l’Opéra de Paris invité à AlUla ou de collaborations entre designers, musiciens et écrivains.
À travers cette initiative, la France et l’Arabie saoudite affirment une ambition commune : relier le passé au présent et faire du dialogue interculturel un moteur de rayonnement international.