JÉRUSALEM: Malgré les dissensions au sein de son parti, le Fatah, et de grandes probabilités d’échec, le président palestinien, Mahmoud Abbas, a programmé le 15 janvier dernier les élections palestiniennes, avec l'approbation du Hamas. Mais, selon les analystes, elles pourraient ne jamais avoir lieu.
En outre, la perspective d'une intervention israélienne destinée à faire échouer le scrutin et la persistance des tensions et des divisions entre le Hamas islamiste, qui dirige la bande de Gaza, et le Fatah, qui supervise l'autonomie en Cisjordanie, ne jouent pas en faveur de la tenue de ce scrutin qui serait le premier depuis la victoire éclatante du Hamas aux élections de 2006 du Conseil législatif palestinien (CLP).
Alors que la cause palestinienne est au plus bas, dans un contexte de normalisation des relations de l’État hébreu avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Soudan et le Maroc, et qu'une importante campagne de colonisation israélienne illégale est en cours dans la Cisjordanie occupée, M. Abbas a de bonnes raisons de profiter des élections pour faire preuve d'initiative et de réactivité vis-à-vis de sa nation, qui souhaite ces élections. Il cherche également à faire bonne impression sur la nouvelle administration Biden, après quatre années désastreuses de revers sous Donald Trump.
M. Abbas, président depuis 2005, lorsqu’il succéda à feu Yasser Arafat, n'a donné aucune indication quant à sa candidature à sa réélection. Mais il est clairement impopulaire: 66 % des Palestiniens aimeraient le voir démissionner, selon un récent sondage du Centre de recherche palestinien sur la politique et les sondages (PCPSR). Le sondage indique que le leader du Hamas, Ismaël Haniyeh, le battrait si les deux hommes s'affrontaient. Mais il révèle également que le leader du Fatah, Marouane Barghouti, qui purge cinq peines de prison à vie dans les geôles israéliennes, gagnerait facilement la présidence s'il se présentait.
Le sondage n'a donné au Fatah qu'un léger avantage sur le Hamas lors des élections parlementaires: 38 % contre 34 %.
«Bien que M. Abbas ait présenté les élections comme une expression de la démocratie, elles n'auront lieu que si le processus semble aboutir à des résultats favorables au président de 85 ans», explique Hani Masri, directeur du groupe de réflexion Masarat de la ville d'al-Bireh en Cisjordanie.
«C'est une manœuvre pour dire aux Palestiniens et au monde entier: “Je veux des élections”», explique M. Masri. «S'il pense que les résultats lui conviendront, il ira de l’avant. Sinon, il arrêtera tout et rejettera la faute sur Israël et le Hamas.» Selon M. Masri, il n'y a que 30 % de chances que ces élections aient lieu. Les législatives sont prévues pour le 22 mai et la présidentielle pour le 31 juillet, contrairement aux élections antérieures, qui se déroulaient le même jour. Cela signifie que, si M. Abbas n'est pas satisfait des résultats parlementaires, il peut annuler le scrutin présidentiel.
Le Hamas, l'acteur le plus vulnérable
L’analyste de Cisjordanie Ghassan Khatib, professeur de communication politique à l'université de Beir Zeit près de Ramallah, estime que, si les élections parlementaires ont lieu, le Hamas l’emportera, en grande partie à cause des divisions au sein du Fatah. C'est la raison principale de sa victoire en 2006, lorsque des politiciens du Fatah, qui n'avaient pas eu le droit de se présenter aux élections par le comité central du mouvement, s’en étaient retirés afin de se présenter en tant qu'indépendants. «Ils n'ont pas beaucoup appris pendant toutes ces années», remarque M. Khatib. «Ils jouent à un jeu et, comme la dernière fois, ils ne gagneront probablement pas. S'ils se présentent sans être unifiés, ils perdront, et le Hamas l’emportera.»
Les partisans de Mohammed Dahlan, dissident du Fatah en exil aux Émirats arabes unis, ont indiqué qu'ils allaient établir une liste indépendante s'ils étaient exclus de la liste officielle du Fatah. Et les analystes affirment que Barghouti et ses partisans pourraient faire de même s'ils étaient lésés.
Cette semaine, Nasser al-Qidwa, membre du comité central du Fatah, s'est ouvertement opposé à M. Abbas, publiant une déclaration qui laisse entendre que le président cherche à former une liste commune avec le Hamas dans laquelle il y aurait parité entre les deux mouvements. Selon lui, cela priverait l'élection de tout sens.
Malgré les divisions au sein du Fatah, Mukhaimar Abou Saada, politologue à l'université al-Azhar de Gaza, estime que le Hamas est l'acteur le plus vulnérable. Il perdra du terrain, parce que les Gazaouis ont connu une expérience amère avec le mouvement islamique au pouvoir, à la différence de 2006, où il s’agissait d’un groupe d'opposition non testé qui apparaissait comme une alternative propre au Fatah: «Cette élection pourrait changer la politique palestinienne. Le Hamas ne sera plus majoritaire au sein du CLP», prédit-il.
Toutefois, Menachem Klein, éminent spécialiste israélien sur les questions relatives aux Palestiniens, qui travaille à l'université Bar-Ilan près de Tel Aviv, est d'accord avec M. Masri, l'analyste palestinien: le décret électoral de M. Abbas ne doit pas être pris au pied de la lettre. «Je doute qu'Abbas soit sérieux. C'est plutôt un appel du pied à Biden et à la communauté internationale» pour attirer leur attention sur la question palestinienne, estime-t-il.