F. Gouyette: France-Algérie, une relation profonde, douloureuse, qui s'inscrit au présent

Mon attachement à cette région a commencé très tôt. Il me vient de mon histoire familiale, affirme François Gouyette à Arab News en français. (Photo fournie).
Mon attachement à cette région a commencé très tôt. Il me vient de mon histoire familiale, affirme François Gouyette à Arab News en français. (Photo fournie).
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Publié le Mardi 16 février 2021

F. Gouyette: France-Algérie, une relation profonde, douloureuse, qui s'inscrit au présent

  • Liées pour toujours par l’histoire, la France et l'Algérie sont aujourd’hui de grands partenaires en termes d'éducation, de culture et de diplomatie
  • C'est pour aborder ces liens et les problématiques qui en découlent qu'Arab News en français est allé à la rencontre de François Gouyette, Ambassadeur de France en Algérie

PARIS: Liées pour toujours par l’histoire, la France et l'Algérie sont aujourd’hui de grands partenaires en termes d'éducation, de culture et de diplomatie. Mais pour l’historien Benjamin Stora, les plaies du passé doivent être soignées par la réconciliation des mémoires françaises des crimes commis en Algérie et la réconciliation des peuples respectifs d’aujourd’hui. La mission Stora, confiée par le président Emmanuel Macron, montre la détermination à aller de l’avant avec l’Algérie. C'est pour aborder ces problématiques qu'Arab News en français est allé à la rencontre de l'ambassadeur de France en Algérie, François Gouyette. 

Le président Emmanuel Macron a exprimé à maintes reprises sa volonté de donner un nouvel essor aux relations franco-algériennes, comment qualifiez-vous l’état actuel de ces relations ?

L’Algérie et la France entretiennent des liens solides d’amitié. Notre relation s’inscrit dans une histoire longue et profonde, douloureuse également, il faut le reconnaître, mais elle s’écrit aussi et surtout au présent. Elle est très vivante : nos deux pays sont liés par des rapports humains multiples par-delà la Méditerranée. C’est une relation étroite qui unit au quotidien les sociétés civiles (étudiants, entrepreneurs, chercheurs, artistes, intellectuels) dont les projets sont autant de ponts entre nos deux pays. 

Comme vous le voyez, la relation entre la France et l’Algérie ne se limite pas aux échanges politiques, elle est très concrète et bénéficie directement aux populations des deux pays. 

François Gouyette, ambassadeur de France en Algérie

L’Algérie est pour la France un partenaire majeur. D’abord parce que ce pays est une puissance de premier plan en Afrique, une puissance d’équilibre dont la diplomatie joue un rôle utile en faveur du dialogue, en particulier, dans les crises régionales. Ensuite, parce que notre relation est riche et multiple, et que nos intérêts communs sont nombreux: les échanges humains, éducatifs, scientifiques, la coopération économique, les enjeux sécuritaires pour lutter ensemble contre le terrorisme, et la concertation diplomatique afin d’œuvrer ensemble à la résolution des crises régionales.

Nos rapports bilatéraux connaissent un nouvel élan. Les deux chefs d’Etat ont noué une relation de confiance et se parlent régulièrement depuis leur rencontre à Berlin, en janvier 2020. Les échanges à niveau ministériel se sont intensifiés, avec les visites à Alger de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, en octobre dernier, et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, en novembre. Nous préparons la tenue d’un Comité intergouvernemental de Haut niveau au premier semestre 2021. Cette instance, qui réunit nos Premiers ministres respectifs et plusieurs membres de nos gouvernements, apportera une nouvelle impulsion politique à la coopération franco-algérienne.

La France est très engagée aux côtés de l’Algérie. Notre ambassade à Alger dispose d’un budget de coopération de 6 millions d’euros, l’un des tout premiers du réseau diplomatique français. La coopération universitaire et scientifique, en particulier, est très dynamique: il y a 250 accords actifs entre les universités et laboratoires de nos deux pays. En matière de coopération institutionnelle, des dizaines de projets sont financés, chaque année, à parité avec le gouvernement algérien. La France partage ainsi son expertise avec l’Algérie dans des domaines aussi variés que la santé, l’agriculture, la protection de l’environnement, le sport ou la préservation du patrimoine. Des milliers d’Algériens de tous âges fréquentent chaque année les cinq instituts français de Tlemcen, Oran, Alger, Annaba et Constantine. Nous développons d’ailleurs de plus en plus de programmes et d’événements bilingues, en français et en arabe. Nous œuvrons également au rapprochement entre les associations des deux rives de la Méditerranée afin de soutenir les initiatives de la société civile en matière d’insertion économique et sociale des jeunes, de promotion de la citoyenneté et de développement durable. 

Comme vous le voyez, la relation entre la France et l’Algérie ne se limite pas aux échanges politiques, elle est très concrète et bénéficie directement aux populations des deux pays. 

Le rapport de l’historien Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie a été récemment publié à Paris. Dans quelle mesure ce rapport pourra-t-il contribuer à l’apaisement des mémoires liées à cette période ? 

La remise du rapport de Benjamin Stora sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie s’inscrit dans la continuité du travail de reconnaissance historique mené par le président de la République depuis le début de son quinquennat. Depuis son élection, le président Macron a engagé une démarche de reconnaissance lucide des crimes commis durant la période coloniale dans une volonté sincère d’apaisement des mémoires, en France comme dans notre relation avec l’Algérie.

Le chef de l’État a accompli à cet égard plusieurs gestes courageux et concrets. En septembre 2018, il a reconnu la responsabilité de l’État français dans la mort de Maurice Audin et, au-delà, l’utilisation de la torture dans le cadre d’un système légal institué par ce qu’on appelait alors «les pouvoirs spéciaux». La remise à l'Algérie des restes mortuaires de combattants algériens conservés au musée de l'Homme a constitué, en juillet 2020, un autre acte fort, en réponse à une demande des autorités et de la société algériennes. 

La mission Stora entend dresser un état des lieux précis du regard porté sur les enjeux mémoriels de part et d’autre de la Méditerranée. L’historien plaide pour un travail de reconnaissance des faits afin d’amorcer l’œuvre de réconciliation des mémoires qui prendra nécessairement du temps. 

Ce travail comprend deux volets, qui doivent être distingués

- Le premier porte sur la réconciliation des mémoires françaises de la colonisation et de la guerre d’Algérie, qualifiées par M. Stora dans son rapport de «mémoire du malaise», entre déni et non-dits.

- Le second s’inscrit dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien, passant, à la fois, par des mesures symboliques et des actes concrets. 

Benjamin Stora formule plusieurs recommandations qui visent à favoriser cette nécessaire réconciliation des mémoires. Il propose, en particulier, la création d’une Commission «Mémoires et vérité» qui serait chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie et d’assurer un suivi des préconisations de son rapport.

Le président de la République n’a été ni acteur, ni témoin engagé de cette période. Aucun chef de l’État avant lui n’a affiché autant d’ambition en matière de réconciliation mémorielle et de détermination à aller de l’avant avec l’Algérie, tout en regardant notre passé douloureux avec lucidité. Il a engagé cette démarche en toute transparence et dans un dialogue confiant avec son homologue algérien.

Comment voyez-vous l’évolution du conflit autour du Sahara occidental depuis la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur l’enclave par le président américain sortant Donald Trump ?

La France suit la situation avec attention. Nous avons appelé à la retenue et à la reprise du processus politique. Le conflit au Sahara occidental n'a que trop duré et fait peser un risque permanent de tensions, comme nous l’avons vu récemment à Guerguerate. La France est attachée à la recherche d'une solution politique dans le cadre de la légalité internationale. Elle est, sur cette base, favorable à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans cette perspective, elle considère le plan d'autonomie marocain comme une base de discussions sérieuse et crédible. Nous appelons de nos vœux la désignation rapide d’un envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies en vue de relancer le processus politique.

La mission Stora entend dresser un état des lieux précis du regard porté sur les enjeux mémoriels de part et d’autre de la Méditerranée. L’historien plaide pour un travail de reconnaissance des faits afin d’amorcer l’œuvre de réconciliation des mémoires qui prendra nécessairement du temps. 

François Gouyette, ambassadeur de France en Algérie

En fin connaisseur de la région du Maghreb, où vous n’êtes pas à votre premier poste, quel bilan faites-vous de votre expérience dans la région ?

Je suis très attaché à cette région dans laquelle j’ai servi et continue de servir depuis quarante ans. J’ai tissé avec nombre de ses habitants des liens d’amitié durables et me suis également intéressé aux cultures du Maghreb, qu’il s’agisse de littérature, de musique, de cinéma ou de beaux-arts.

J’ai été en poste dans les pays du Maghreb à des moments cruciaux. En Libye, notamment, où j’ai été ambassadeur de 2008 à 2011, puis en Tunisie, que j’ai rejointe en 2012, alors que ce pays connaissait une expérience démocratique unique. Je suis arrivé en Algérie après le mouvement populaire du Hirak, que le monde a observé avec admiration et qui a indéniablement ouvert une nouvelle phase pour ce pays.

Pour un diplomate, c’est à la fois une chance et une immense responsabilité que de servir son pays lorsque l’Histoire est en marche. J’ai le sentiment de l’avoir fait en me montrant toujours ouvert au dialogue avec l’ensemble du spectre politique, soucieux de ne négliger aucune sensibilité au sein de la société, de ne porter aucun jugement a priori. La mission d’un diplomate, c’est de parvenir à une vision d’ensemble des évolutions en cours pour être en mesure de les décrypter de la manière la plus juste possible. C’est aussi de construire des relations de confiance avec les acteurs politiques et la société civile. Cette confiance constitue une assise pour le développement des relations entre les gouvernements, lesquelles peuvent être, à leur tour, fructueuses pour nos peuples respectifs.

Vous êtes considéré comme l’un des diplomates qui éprouvent une attirance particulière pour le Maghreb et le Moyen-Orient, pouvez-vous nous dire d’où vient cette attirance ?

Mon attachement à cette région a commencé très tôt. Il me vient de mon histoire familiale. Mon père a passé une partie de son enfance en Algérie, en Kabylie, d’abord, à Constantine, ensuite, et, enfin à Alger, qu’il a quittée en 1950 pour poursuivre ses études en France. Parfaitement intégré au milieu de ses camarades algériens, il a appris l’arabe dialectal et le kabyle et a conservé de cette période un attachement profond pour ce pays. Au début des années 1970, j’ai découvert l’Algérie où ma famille avait conservé des amitiés fortes. L’adolescent que j’étais y a, par la suite, passé ses vacances estivales et s’est familiarisé avec ce pays, ses habitants, ses langues et sa culture.

Pour un diplomate, c’est à la fois une chance et une immense responsabilité que de servir son pays lorsque l’Histoire est en marche. J’ai le sentiment de l’avoir fait en me montrant toujours ouvert au dialogue avec l’ensemble du spectre politique, soucieux de ne négliger aucune sensibilité au sein de la société, de ne porter aucun jugement a priori.

François Gouyette, ambassadeur de France en Algérie

Vous êtes également passionné par la langue arabe, que vous maîtrisez parfaitement. Quelle est l’origine de cette passion ?

L’Algérie a naturellement été ma porte d’entrée dans la langue arabe, que j’ai ensuite étudiée en France pendant six ans à l’université. Ce choix a été un élément déterminant dans ma carrière diplomatique. J’ai, d’ailleurs, tenu, dès mon arrivée à Alger, à instituer une programmation bilingue, en arabe et en français, dans nos instituts culturels, où chacun est le bienvenu. Un nouveau cycle de débat d’idées en langues arabe et française, «les Rencontres Ibn Khaldoun» s’est, ainsi, ouvert, il y a quelques jours, à l’Institut français d’Alger. Des concerts mettant à l’honneur la musique arabo-andalouse seront également organisés.

Qu’en est-il de votre autre passion pour la musique arabe, notamment nord-africaine, dont vous possédez une collection d’enregistrements rares ?

J’éprouve, en effet, un vif  intérêt pour la musique arabe, en général, et pour  les musiques du Maghreb, en particulier. À la faveur de mes séjours en Algérie, mais aussi au Maroc, en Tunisie et en Libye, j’ai découvert la musique arabo-andalouse et ses différentes écoles. Je me suis particulièrement intéressé aux genres musicaux qui en sont issus: le Hawzi de Tlemcen et son jumeau du Maroc oriental, le Gharnati; le Chaâbi d’Alger; le Malouf, dans ses variantes constantinoise, tunisienne et libyenne. Au Moyen-Orient, le Maqam irakien représente pour moi la quintessence de la musique arabe classique.


Macron et Tusk vont signer un traité renforçant le partenariat franco-polonais

Le président français Emmanuel Macron prononce un discours lors d'une cérémonie à l'Arc de Triomphe pour le 80e anniversaire du Jour de la Victoire en Europe, marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, à Paris, le 8 mai 2025. (AFP)
Le président français Emmanuel Macron prononce un discours lors d'une cérémonie à l'Arc de Triomphe pour le 80e anniversaire du Jour de la Victoire en Europe, marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, à Paris, le 8 mai 2025. (AFP)
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  • Le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre polonais Donald Tusk vont signer vendredi à Nancy, dans l'est de la France, un traité d'amitié renforçant le partenariat entre les deux pays

NANCY: Le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre polonais Donald Tusk vont signer vendredi à Nancy, dans l'est de la France, un traité d'amitié renforçant le partenariat entre les deux pays, signe du poids grandissant en Europe de la Pologne, acteur-clé sur le flanc est face à la Russie.

Les deux dirigeants se retrouveront à 12H45 (10H45 GMT) dans la cité lorraine pour une séquence chargée de symboles, entre la Journée de l'Europe, qui célèbre cette année les 75 ans de la construction européenne, et un imposant défilé militaire sur la Place Rouge pour les 80 ans de la victoire sur l'Allemagne nazie.

Avec en toile de fond la guerre en Ukraine qui, trois ans après le début de l'offensive russe, ne faiblit pas malgré la promesse de Donald Trump d'y mettre fin. Et une menace de désengagement américain qui pousse l'Europe à se réarmer massivement.

Dans ce contexte, le traité d'amitié et de coopération renforcée entre la France et la Pologne va "changer la donne", notamment en matière de sécurité et de défense, promet Donald Tusk.

Les deux pays avaient déjà conclu un tel traité bilatéral en 1991, alors que la Pologne sortait du glacis soviétique, après la chute du Rideau de fer, mais moins ambitieux.

"L'objectif de ce traité, c'est de consacrer l'amitié franco-polonaise, et de renforcer dans la sécurité, la défense, les infrastructures, l'énergie et toute une série d'autres domaines notre partenariat bilatéral", explique la présidence française.

- "Anomalie" -

Emmanuel Macron entend ainsi rehausser la relation avec Varsovie au niveau de celle déjà actée avec l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne à travers les traités de l'Elysée (1963), du Quirinal (2021) et de Barcelone (2023).

La Pologne est "un partenaire que pendant trop longtemps (...) on a un peu négligé", a reconnu vendredi sur RTL le ministre français chargé de l'Europe Benjamin Haddad, qui sera aux côté d'Emmanuel Macron à Nancy.

"Il n'y avait pas de raison, c'était même une anomalie, de considérer que nous avions un traité privilégié avec l'Allemagne (renforcé à Aix-la-Chapelle en 2019, ndlr), que nous avions rehaussé notre relation avec l'Italie et avec l'Espagne, mais pas avec elle", souligne l'Elysée.

Craignant la menace du grand voisin russe et soutien actif de l'Ukraine, la Pologne, pays de quelque 38 millions d'habitants, s'est lancée dans un programme de modernisation accélérée de son armée et est devenue un acteur politique et militaire majeur en Europe.

Jusqu'ici très dépendante des Etats-Unis pour sa défense, elle est profondément ébranlée par le climat d'incertitude généré par les ambivalences de Donald Trump envers l'Europe.

La France espère, elle, renforcer la coordination militaire et diplomatique dans la région, et ne plus laisser les Etats-Unis dominer le dialogue avec les Polonais.

Elle mise aussi sur un nouveau marché pour son industrie de défense au moment où Varsovie cherche à se doter d'avions de transport, d'avions-ravitailleurs ou encore de sous-marins.

- "Intérêts vitaux" -

Varsovie s'intéresse de son côté à l'idée française d'un parapluie nucléaire européen. Une proposition jugée "très prometteuse" par Donald Tusk et qui retient aussi l'attention de Berlin.

La France est le seul pays d'Europe occidentale, avec le Royaume-Uni, doté de l'arme nucléaire. Les autres pays européens membres de l'Otan sont jusqu'ici sous le parapluie de la dissuasion nucléaire américaine.

Mais face aux remous transatlantiques, Emmanuel Macron s'est dit prêt à "ouvrir le débat stratégique sur la protection par notre dissuasion de nos alliés du continent européen".

Comme ses prédécesseurs, il a relevé à plusieurs reprises que les intérêts vitaux de la France, à la base de sa doctrine de dissuasion, avaient une "dimension européenne", qui pourrait donc inclure des pays voisins, voire au-delà.

Mais il a aussi souligné que "quoi qu'il arrive, la décision a toujours été et restera entre les mains du président de la République".

Soucieux des symboles, Emmanuel Macron et Donald Tusk signeront ce nouveau traité dans un décor chargé d'histoire pour les deux pays, déjà liés par une amitié séculaire.

Nancy fut la résidence du roi de Pologne Stanislas Leszczynski, devenu duc de Lorraine après avoir été exilé de son pays, et beau-père du roi de France Louis XV. Les retrouvailles des deux dirigeants auront lieu place Stanislas, joyau architectural de la ville.

La signature interviendra une semaine avant l'élection présidentielle en Pologne, le 18 mai, pour laquelle le maire de Varsovie, Rafal Trzaskowski, candidat de la Coalition civique (KO) de Donald Tusk, est donné favori.


Macron appelle le président al-Chareh à protéger "tous les Syriens" mais justifie sa venue en France

Le président français Emmanuel Macron (à droite) et le président syrien Ahmed al-Sharaa assistent à une conférence de presse commune après une réunion au palais de l'Élysée à Paris, le 7 mai 2025. (AFP)
Le président français Emmanuel Macron (à droite) et le président syrien Ahmed al-Sharaa assistent à une conférence de presse commune après une réunion au palais de l'Élysée à Paris, le 7 mai 2025. (AFP)
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  • Emmanuel Macron a exhorté mercredi à Paris le président syrien Ahmad al-Chareh à protéger "tous les Syriens sans exception" mais a justifié la venue en France de ce dirigeant au passé de jihadiste
  • Le président français semble clairement faire le pari d'accompagner la transition dirigée par une coalition islamiste depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre

PARIS: Emmanuel Macron a exhorté mercredi à Paris le président syrien Ahmad al-Chareh à protéger "tous les Syriens sans exception" mais a justifié la venue en France de ce dirigeant au passé de jihadiste, vivement critiquée par une partie de la classe politique française.

Le président français semble clairement faire le pari d'accompagner la transition dirigée par une coalition islamiste depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre. Ahmad al-Chareh, accueilli à l'Elysée avec les honneurs de la garde républicaine pour sa première visite officielle dans un pays occidental, l'en a vivement remercié.

A ses côtés lors d'une rare conférence de presse conjointe, après un entretien de plus de deux heures, Emmanuel Macron lui a demandé de "tout mettre en œuvre pour assurer la protection de tous les Syriens sans exception, quelles que soient leur origine, leur religion, leur confession, leurs opinions".

Il lui a aussi dit qu'il devait "s'assurer que les auteurs" des récentes violences soient "poursuivis et jugés". Il a même plaidé pour que l'Union européenne "sanctionne systématiquement les auteurs de ces crimes qui ont profondément choqué tous les amis de la Syrie".

Des massacres qui ont fait 1.700 morts, majoritairement alaouites, dans l'ouest du pays en mars, de récents combats avec des druzes, et des sévices documentés par des ONG ont soulevé des doutes sur la capacité des nouvelles autorités à contrôler certains combattants extrémistes qui leur sont affiliés.

Et ce alors même que la coalition islamiste tente de présenter un visage rassurant à la communauté internationale qui l'exhorte à respecter les libertés et protéger les minorités.

- "Postures" -

La sécurité des Syriens est "la première priorité", a assuré Ahmad al-Chareh à l'Elysée.

Il a aussi martelé qu'il n'y aurait "pas de place pour les confrontations confessionnelles" en Syrie, et a estimé avoir "prouvé" être "un partenaire fiable pour la lutte contre le terrorisme".

En jeu, la levée des sanctions imposées au pouvoir de Bachar al-Assad, qui pèsent lourdement sur l'économie du pays, exsangue après 14 années de guerre civile, avec, selon l'ONU, 90% des Syriens vivant sous le seuil de pauvreté.

"Rien ne justifie qu'elles soient maintenues", a lancé le président syrien.

Emmanuel Macron a abondé dans son sens: il a plaidé pour une "levée des sanctions" économiques européennes dès juin, et a appelé les Etats-Unis à en faire autant, quitte à refaire le point régulièrement pour voir si Damas tient ses engagements.

Il a aussi estimé que Washington devait retarder "au maximum" le retrait annoncé de la moitié de leurs militaires déployés en Syrie dans le cadre de la coalition contre les jihadistes du groupe Etat islamique.

Le président al-Chareh a longtemps dirigé le groupe armé Hayat Tahrir al-Sham issu de l'ex-branche d'Al-Qaïda en Syrie. Il a tenu à se démarquer des "actes terroristes", notamment de ceux menés en France par des jihadistes passés en Syrie.

Mais à ce titre, l'invitation faite par Emmanuel Macron a été critiquée par la droite et l'extrême droite françaises.

"Stupeur et consternation", a réagi la leader du Rassemblement national Marine Le Pen. "On ne reçoit pas des dirigeants qui sont d'anciens terroristes membres d'organisations qui veulent attaquer la France", a également affirmé le chef des députés Les Républicains Laurent Wauquiez.

Des "postures à des fins politiciennes pour parler à des électorats", a balayé le président français.

"Ce que je vois, c'est qu'il y a un dirigeant qui est en place. Il a mis fin à un régime que nous avions condamné, combattu, dont nous connaissons la responsabilité et il est prêt à s'engager. Les premiers actes ont conduit à des résultats", a-t-il ajouté, estimant qu'Ahmad al-Chareh était "lucide".

Plusieurs dizaines de membres des minorités religieuses syriennes ont d'ailleurs manifesté mercredi la place de la République, à Paris, sous le drapeau syrien.

"Jolani dégage ! Dégage de France, dégage de Syrie !", ont crié les manifestants issus des communautés alaouites, druzes, chrétiennes ou encore sunnites, en utilisant l'ex-nom de guerre d'Ahmad al-Chareh.

Auparavant, le dirigeant syrien avait rencontré l'homme qui avait été à l'origine de milliers de photos de corps suppliciés dans des centres de détention syriens sous le règne de Bachar al-Assad. Aujourd'hui installé en France, Farid al-Mazhan, alias César, avait témoigné devant une commission du Congrès américain, et ses photos ont inspiré une loi américaine adoptée en 2020 -la loi César-, instaurant des sanctions économiques contre le régime syrien.


Macron reçoit Al-Chareh pour donner un nouvel élan à la transition et à la reconstruction de la paix

Le président intérimaire de la Syrie, Ahmed al-Chareh, prononce un discours à Damas le 29 mars 2025. (AFP)
Le président intérimaire de la Syrie, Ahmed al-Chareh, prononce un discours à Damas le 29 mars 2025. (AFP)
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  • Cette rencontre affirme l’Élysée, s’inscrit dans la continuité d’un engagement historique de la France en faveur du peuple syrien, porté avec constance depuis 2011
  • En effet, dès les premières heures du conflit, la France s’est positionnée sans ambiguïté contre la répression du régime de Bachar el-Assad

PARIS: La rencontre à Paris entre le président français Emmanuel Macron et le président syrien de transition Ahmed al-Chareh (aujourd’hui mercredi 7 mai), qui effectue son premier déplacement en Europe s’annonce comme un moment diplomatique majeur.

Cette rencontre, affirme l’Élysée, s’inscrit dans la continuité d’un engagement historique de la France en faveur du peuple syrien, porté avec constance depuis 2011.

En effet, dès les premières heures du conflit, la France s’est positionnée sans ambiguïté contre la répression du régime de Bachar el-Assad et a soutenu les aspirations du peuple syrien à une Syrie libre, souveraine, pluraliste et stable.

La visite d’Al-Chareh à Paris vise à amorcer une nouvelle étape dans ce soutien, d’autant plus qu’elle intervient dans un contexte brouillé et complexe, marqué par des exactions alarmantes contre les minorités.

À la fragilité des jeunes autorités de transition face à un contexte politique et économique tendu, s’ajoutent des marqueurs de tensions régionaux, tels que l’instabilité sur les frontières libanaises, et les incursions militaires israéliennes perpétuelles, sans oublier la présence des terroristes de Daech.

Autant d’enjeux, pour la sécurité des Syriens, celle de la région et de la France, qui seront au menu des entretiens entre Macron et Al-Chareh.

Depuis la mise en place des autorités de transition, à la suite de la chute du dictateur Bachar el-Assad, le 8 décembre dernier, plusieurs étapes fondamentales ont été franchies, par les autorités de transition.

L’annonce d’un dialogue national, la promulgation d’une déclaration constitutionnelle, la nomination d’un nouveau gouvernement (fin mars), tous ces jalons montrent, selon l’Élysée, la volonté d’instaurer une nouvelle gouvernance inclusive.

Toutefois, ce processus reste incomplet. La France plaidera donc, au cours de la rencontre, pour son approfondissement et pour le respect effectif des droits de tous les Syriens, sans distinction de communauté, d’origine ou de confession.

Les violences récentes, en particulier les massacres sur la côte alaouite et les tensions intercommunautaires dans le sud de Damas, ont ravivé les inquiétudes internationales.

La France réclame des réponses claires, insiste l’Élysée, en appelant à «une enquête impartiale sur ces exactions ainsi qu’à la création d’une commission judiciaire indépendante». Tout en soulignant que plus d’une centaine d’auditions ont déjà eu lieu, Paris rappelle que la justice doit aller jusqu’au bout afin de garantir que «la protection de tous les civils, sans distinction, demeure une priorité absolue».

La France s’est trouvée en première ligne pour que la justice internationale enquête sur les crimes commis par le régime Assad, notamment l’usage d’armes chimiques. Cet impératif de justice demeure inchangé, et c’est dans cette logique que Paris «soutient la mise en place de mécanismes de sanctions européens» visant les responsables de ces exactions, qu’il s’agisse d’anciens cadres du régime ou de nouveaux acteurs de la violence.

Lors de la rencontre, le président français réaffirmera que «la réconciliation nationale ne saurait se construire sans vérité ni justice».

Autre priorité au cœur des échanges, la lutte contre le terrorisme, et en particulier contre Daech, qui demeure une menace persistante. La France, indique l’Élysée, attend de la Syrie «des garanties claires quant à la poursuite des opérations antiterroristes».

Les déclarations du président Al-Chareh vont dans ce sens, mais des engagements concrets seront attendus, notamment en ce qui concerne la coopération avec les alliés kurdes, partenaires historiques de la coalition internationale.

La France a salué l’accord du 10 mars dernier qui relance un processus de dialogue interkurde prometteur. Elle encourage par ailleurs sa poursuite et sa consolidation dans un esprit d’unité nationale.

La rencontre portera également sur l’ancrage régional de la Syrie. «La stabilité au Levant est plus que jamais essentielle», selon l’Élysée, et la France appuie la pleine réaffirmation de la souveraineté syrienne, «condition indispensable à la pacification des frontières, en particulier avec le Liban».

Lors de discussions précédentes, notamment en marge de la visite du président libanais Joseph Aoun à Paris le 25 mars, des échanges ont eu lieu sur la sécurité régionale, la question des réfugiés et la coopération sécuritaire en Méditerranée. Ces sujets, indique l’Élysée, «seront approfondis, dans un esprit de solidarité régionale et de responsabilité partagée».

Concernant la situation économique, le défi est immense. La Banque mondiale estime à 250 milliards de dollars les besoins de reconstruction en Syrie.

L’Union européenne, avec le soutien actif de la France, a récemment allégé certaines sanctions sectorielles pour encourager une reprise économique encadrée.

Ce soutien reste conditionné à des engagements fermes: transparence, lutte contre la corruption, réforme de la Banque centrale et garanties sur l’utilisation des fonds.

Le président français «mettra l’accent sur l’importance d’attirer des investissements internationaux responsables et de jeter les bases d’un développement durable», souligne l’Élysée, rappelant que «la transition en Syrie ne pourra réussir que si elle améliore concrètement les conditions de vie du peuple syrien et permet un retour progressif des réfugiés dans la dignité et la sécurité».

Depuis 2011, la France s’est engagée dans une aide humanitaire continue. L’enjeu actuel consiste à passer à une nouvelle étape, celle de la reconstruction.

La conférence de Bruxelles 9 a marqué un tournant en ce sens, avec 2,5 milliards d’euros mobilisés par l’Union européenne. Ces fonds visent autant à soutenir les Syriens déplacés qu’à appuyer les pays voisins qui les accueillent.

Le président Al-Chareh rencontrera, à Paris, plusieurs partenaires institutionnels et économiques en vue d’initier des projets concrets. La France, affirme l’Élysée, accompagnera cette dynamique, dans le respect du cadre politique défini par la transition.