Sans politiques progressistes, les travailleuses succomberont à la pandémie

L'infirmière Anne-Catherine Charlier, du centre, s'entretient avec des collègues lors d'une pause dîner dans le service de soins intensifs pour patients COVID-19 à l'hôpital CHR Citadelle de Liège, en Belgique. (Fichier / AP)
L'infirmière Anne-Catherine Charlier, du centre, s'entretient avec des collègues lors d'une pause dîner dans le service de soins intensifs pour patients COVID-19 à l'hôpital CHR Citadelle de Liège, en Belgique. (Fichier / AP)
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Publié le Lundi 08 mars 2021

Sans politiques progressistes, les travailleuses succomberont à la pandémie

Sans politiques progressistes, les travailleuses succomberont à la pandémie
  • La pandémie révèle à quel point notre économie a sous-estimé et sous-évalué le temps, les efforts et les sacrifices investis par les femmes afin de prendre soin de leur famille
  • Il n'est pas trop tard pour que les nations reconnaissent la place des femmes sur le marché du travail, et prouvent que la parité entre les genres est un puissant moteur de réussite économique et de bien-être au sein de la société

L'ampleur des souffrances humaines durant la pandémie de la Covid-19 est dramatique et désastreuse à tous les niveaux. Comme dans la plupart des crises, les femmes rencontrent des difficultés exacerbées par l’inégalité entre les genres sur le lieu de travail.

Selon un rapport publié en janvier par l'Organisation internationale du travail (OIT), l'emploi des femmes dans le monde a chuté de 5 % en 2020, soit 64 millions d'emplois perdus, contre 3,9 % pour les hommes. Dans certains pays, elles ont reçu moins d’allocations de chômage que leurs collègues masculins. De nombreux experts sonnent l’alerte sur les conséquences potentiellement catastrophiques de l'exode des femmes du marché du travail, et de son impact qui anéantirait des années de progrès dans ce domaine.

Les confinements à l’échelle planétaire, les fermetures des écoles et des services de garde, ainsi que les restrictions sur les déplacements ont contraint des millions de travailleuses à assurer les soins essentiels comme s'occuper des enfants en bas âge, aider leurs petits scolarisés pour leurs cours en ligne, ou soigner un membre de la famille en proie à une maladie chronique ou un handicap. Concilier travail à plein temps et responsabilités familiales est un fardeau difficile, ce qui conduit à la décision de quitter le marché du travail. Cette situation touche plus gravement les ménages qui dépendent de mères célibataires.

La pandémie révèle à quel point notre économie a sous-estimé et sous-évalué le temps, les efforts et les sacrifices investis par les femmes afin de prendre soin de leur famille. En moyenne, près de 75 % des soins non rémunérés dans le monde, dont la garde des enfants et les soins aux personnes âgées, sont assurés par des femmes. Dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, ce chiffre grimpe à 80 ou 90 %. Et pourtant, peu d’initiatives les aident à concilier emploi rémunéré et tâches non rémunérées depuis le début de la pandémie.

Chaque jour, les femmes perdent des gains potentiels, des économies et des fonds destinés à leur pension, ce qui ne manquera pas d’avoir des conséquences désastreuses sur leur sécurité financière à l'avenir. Pour rétablir des années de progrès dans le dossier de l’emploi des femmes, les décideurs doivent investir d’urgence dans une série de politiques centrées autour de la famille, ou risquer des pertes économiques importantes et une crise sociale dans le futur.

Une étude du McKinsey Global Institute prévoit une perte du produit intérieur brut (PIB) mondial de 1 billion de dollars d'ici à 2030 si des mesures ne sont pas prises pour contrer les conséquences négatives de la pandémie sur les travailleuses. Parallèlement, appliquer les interventions nécessaires pour faire progresser l'égalité des genres pourrait rapporter 13 billions de dollars supplémentaires à l'économie mondiale d'ici à 2030.

Les politiques favorables à la famille profitent à toutes les parties concernées; les parents qui travaillent, les enfants, les personnes âgées, les employeurs, les communautés ainsi que l'économie en général. Il est donc primordial que les décideurs politiques introduisent une série d’initiatives qui permettent aux familles de s'épanouir économiquement et socialement.

De plus en plus d’arguments apparaissent en faveur des nombreux avantages des politiques axées sur la famille, telles que la sécurité financière, la réduction des taux de pauvreté, l'augmentation de la productivité, la réduction des coûts associés aux programmes d'assistance publique des familles, l'amélioration du bien-être, la réduction des niveaux de stress et le maintien des travailleuses expérimentées sur le marché.

Les politiques sur les lieux de travail favorables à la famille prennent de nombreuses formes. Les employeurs pourraient par exemple donner aux femmes la possibilité d'opter pour des conditions de travail flexibles, le télétravail, ou un emploi à temps partiel comme moyen de parvenir à un équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Fait intéressant, la pandémie a incité de nombreuses entreprises de premier plan, telles que Facebook, Twitter, Microsoft, Skillshare et Unilever, à privilégier désormais le travail à distance à long terme. Les salariés devraient d’ailleurs pouvoir bénéficier de plusieurs types de congés en fonction de leurs besoins, tels que le congé de maternité, de paternité, parental ou familial, ou pour motif médical. De nombreuses entreprises offrent aussi des avantages sociaux généreux à l’intention des employés et leurs familles, comme une assurance maladie et des abonnements à bas prix pour aller en salle de gym ou dans un spa.

Il faut noter qu’investir dans des services de garde et d’éducation préscolaire universels, abordables et de qualité, dédiés aux enfants dont la mère exerce une activité professionnelle, rapporte au moins 7 % de revenu supplémentaire à la société. Plusieurs études soulignent les avantages des services de garde, tels qu’un meilleur apprentissage, une meilleure santé, des taux de décrochage scolaire réduits et des revenus plus élevés à l'âge adulte. Ils offrent de plus aux femmes la souplesse nécessaire pour préserver l’équilibre entre leurs responsabilités professionnelles tout en étant des mères actives et solidaires.

Ces politiques familiales devraient créer un filet de protection sociale qui soutient les travailleuses en période de crise. Le système pourrait comprendre des allocations de chômage, une assistance pécuniaire pour les ménages à faible revenu, des subventions au logement, et des allocations pour enfants. Ce serait une manière de s’assurer que ces femmes ne se retrouvent pas dans une situation précaire qui compromet leur bien-être et celui de leur famille.

Les gouvernements doivent veiller à ce qu’un salaire minimum soit établi pour les femmes, afin qu'elles puissent subvenir aux besoins de leur famille, comme payer la nourriture, l'éducation et les services de garde.

La pandémie de Covid-19 illustre l’importance des politiques du travail favorables à la famille, qui répondent au besoin des travailleuses modernes de concilier travail rémunéré et travail de soins non rémunéré. En investissant dans ces politiques, on permet aux femmes de jouer un rôle plus important dans la société, de contribuer à l'économie et de bénéficier de tout un éventail d'avantages qui profite à tous.

Il n'est pas trop tard pour que les nations reconnaissent la place des femmes sur le marché du travail, et prouvent que la parité entre les genres est un puissant moteur de réussite économique et de bien-être au sein de la société.

Sara al-Mulla est une fonctionnaire émiratie qui s’intéresse à la politique de développement humain et à la littérature pour enfants. Elle peut être contactée sur www.amorelicious.com.

NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com