Mojeb al-Zahrani, directeur général de l'IMA, un passionné de la France

Mojeb al-Zahrani a notamment créé au sein de l’IMA une collection de livres qui porte sur des personnalités françaises et arabes, intitulée «Cent et un livres». Photo Daria Riachi
Mojeb al-Zahrani a notamment créé au sein de l’IMA une collection de livres qui porte sur des personnalités françaises et arabes, intitulée «Cent et un livres». Photo Daria Riachi
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Publié le Mercredi 23 juin 2021

Mojeb al-Zahrani, directeur général de l'IMA, un passionné de la France

  • Mojeb al-Zahrani a notamment créé au sein de l’IMA une collection de livres qui porte sur des personnalités françaises et arabes, intitulée «Cent et un livres»
  • «La présence culturelle arabe fait intimement partie de ce que l’on pourrait appeler la “scène culturelle française”», explique-t-il

PARIS: Mojeb al-Zahrani a la passion de la France. Né dans un petit village des montagnes du sud-ouest de l’Arabie saoudite, il débarque à Paris en 1980, à l’âge de 23 ans, après avoir obtenu sa licence à l’université de Riyad. S’il ne connaît alors pas un mot de français, ou seulement «bonjour» et «au revoir», il a dans ses bagages une connaissance intime des grands auteurs – traduits en arabe –, de l’histoire et du patrimoine artistique français. Il se lance dans la rédaction d’une thèse, soutenue à la Sorbonne, consacrée à l’image de l’Occident dans le roman arabe contemporain. En 1989, son doctorat en poche, Mojeb al-Zahrani retourne à Riyad pour y enseigner la littérature comparée, l’esthétique et la critique modernes. Son ambition est d’apporter à son université «une approche différente» grâce à ce regard francophone.

En 2016, il est appelé par le Conseil des ambassadeurs arabes à Paris pour occuper la fonction de directeur général de l’Institut du monde arabe, sous la présidence de Jack Lang. Il retrouve alors la France avec beaucoup de bonheur.

À l’institut, il lance – ou relance, plutôt – la chaire de l’IMA, développant deux grands axes: des rencontres-débats organisées chaque mois avec de grands intellectuels, à Paris ou dans d’autres villes françaises, ainsi que dans les capitales arabes, et la création d’une collection de livres qui porte sur des personnalités françaises et arabes intitulée «Cent et un livres», en partenariat avec le Prix du roi Faisal. Autant de ponts et passerelles entre les deux cultures, qui visent à briser les stéréotypes, «ces images simplistes qui empêchent de penser».

En 2019, Mojeb al-Zahrani est reconduit pour un deuxième – et «dernier» mandat, affirme celui dont le désir est de retourner mourir dans le village de son enfance, au plus près des arbres et de la terre.

Par une belle matinée du mois de juin, alors que le soleil se reflète sur la Seine en contrebas, il reçoit Arab News en français dans son bureau du 8e étage pour discuter littérature, art et francophonie.

Mojeb al-Zahrani, qui êtes-vous?

 

J’ai commencé ma vie comme paysan, dans un petit village oublié parmi les grandes montagnes du sud-ouest de l’Arabie. Puis, par hasard, je suis allé à Riyad pour y effectuer mes études universitaires et, par hasard de nouveau, je suis venu en France, où je suis maintenant, comme directeur général. Et j’ai aujourd’hui envie de retourner dans mon petit village.

Je suis un grand amateur d’arbres et j’aime la terre. Je souhaite finir ma vie de la même façon qu’elle a commencé. Entre-temps, j’ai travaillé plus qu’un quart de siècle comme professeur. J’ai assisté à des centaines, pour ne pas dire des milliers de conférences, des pays du Golfe au Maroc en passant par la France. J’ai écrit sept livres, participé à deux grandes encyclopédies en Arabie saoudite, l’une sur la littérature – en dix volumes – et, en ce qui concerne la seconde, qui est en quelque sorte notre encyclopédie Universalis, j’étais responsable des domaines culturels.

L’Arabie saoudite est un pays anglophone. Comment se fait-il que vous soyez francophone?

 

Pourquoi ai-je choisi la France? C’est justement en recherchant la différence. Quand on était à l’université, on lisait beaucoup [...]. Les grands auteurs de la littérature française étaient traduits en arabe. C’est cette passion française qui m’a poussé à choisir la France comme destination pour mes études, et je dois dire que j’ai eu de la chance de choisir ce chemin différent, parce que c’est ce choix qui m’a amené, à la fin de ma carrière, ici, à Paris, une ville que j’aime beaucoup.

Quel est le plus grand défi auquel vous êtes confronté en tant que directeur général de l’IMA?

 

C’est peut-être le défi que toutes les grandes structures culturelles affrontent partout dans le monde: le manque d’argent. Nous sommes une structure caritative qui dépend de ce qu’on lui donne. Le ministère des Affaires étrangères français est généreux avec nous, mais, malgré tout, il nous manque de l’argent. C’est pour cela que, de temps à autre, nous faisons appel aux gens généreux et conscients des pays arabes.

Vous avez écrit un livre consacré à l’image de l’Occident dans le roman arabe: quelle est aujourd’hui l’image de la France en Arabie saoudite?

 

Étudier et parler de l’image des autres est un travail qui doit être mené avec beaucoup de sérieux et d’honnêteté. La France est tellement riche, et chaque région a son identité, son image propre. Et puis, la France de la mode et de la littérature n’est pas la France des délinquants ou la France raciste. C’est ce genre d’images riches, dialogiques, qu’on doit véhiculer. Elles nous aident à mieux nous connaître et mieux échanger, à tous les niveaux et dans tous les domaines.

À quel point la culture française est-elle importante pour l’Arabie saoudite?

La culture française est devenue importante à partir de l’expédition de Napoléon Bonaparte en Égypte, avant même que l’Arabie saoudite moderne n’existe – ni l’Égypte, ni la Syrie, ni l’Algérie modernes. Cette expédition n’était pas une conquête militaire dans le sens classique du terme, puisqu’elle comptait plus de cinq cent quarante savants, qui furent choisis et amenés par Napoléon Bonaparte dans le but d’étudier l’Égypte, de propager et de diffuser un grand nombre d’idées modernes et modernistes à cette époque.

Beaucoup d’historiens, de critiques littéraires et de sociologues considèrent ce moment historique comme la renaissance de la culture arabe moderne. [...] D’ailleurs, jusqu’aux années 1960, les grands intellectuels arabes étaient francophones.

La culture française est présente, attractive et appréciée dans le monde arabe, pas seulement dans les pays francophones, mais aussi dans les pays du Golfe.

Et, à l’inverse, dans quelle mesure la culture, l'art et la littérature arabes sont-ils connus en France?

 

Je pense que la culture arabe fait partie intégrante de la culture française. En effet, il y a l’histoire officielle, mais il y a aussi ce que le grand philosophe allemand Hegel appelait «les ruses de l’histoire». Il y a des centaines de milliers, puis des millions de gens qui sont venus en France, à cause de la colonisation ou grâce à elle, d’Égypte et de Palestine au début et dans une moindre mesure, puis d’Afrique du Nord. Ils sont venus porteurs de leur langue, de leurs croyances, de leurs héritages, de leur culture, de leur littérature...

Au début des années 1980, quand j’étais étudiant ici, à Paris, il y avait seulement quelques noms d’origine arabo-musulmane dans les médias français. Aujourd’hui, il y en a des milliers, dans tous les domaines, du sport à la littérature, en passant par la chanson, les arts. C’est pour cela que la présence culturelle arabe fait intimement partie de ce que l’on pourrait appeler la «scène culturelle française».

Que peut-on dire de la connaissance de la culture saoudienne en France?

 

L’Arabie saoudite est un pays anglophone. Pour autant, des écrivains saoudiens ont été traduits et ont également reçu des prix littéraires, à l’exemple de Raja Alem, Abdallah Thabet ou Mohammed Hasan Alwan. Le chemin est ouvert. Seulement, il ne faut pas s’attendre à ce que la culture saoudienne, dans le sens large du terme, soit présente en France comme la culture marocaine, algérienne, syrienne ou libanaise: nous sommes un pays anglophone, et nous sommes rentrés sur la scène culturelle arabe à partir des années 1950 grâce à la découverte du pétrole. Auparavant, les conditions de vie n’étaient vraiment pas faciles là-bas.

Vous avez été professeur de faculté en Arabie saoudite jusqu'à une période récente. Que diriez-vous de la jeunesse saoudienne d’aujourd'hui par rapport à l'époque où vous étiez à l’université?

 

Je fais partie de ce que l’on appelle les «intellectuels critiques», «modernistes», «laïcs» même, cela depuis mes années universitaires, avant même de venir en France.

Nous étions toujours en train d’écrire pour développer la condition des femmes, pour changer un peu la société, pour s’ouvrir encore plus au monde extérieur. [...]

Quand je reviens maintenant dans mon petit village et que je vois des jeunes étudiantes qui conduisent leur voiture, souriantes, avec leurs beaux visages, je me dis que le but de toute notre vie culturelle était de réaliser quelque chose comme ça. Et maintenant, heureusement, il y existe un grand esprit d’ouverture pour le cinéma, pour les arts en général, comme c’était auparavant. En effet, je fais partie d’une génération qui admirait Oum Kalthoum, Fayruz, Sabah, Warda al-Jazaira et les plus illustres chanteuses et chanteurs arabes à la télévision saoudienne, en noir et blanc. Il y avait aussi, quand j’étais jeune, deux grandes chanteuses saoudiennes de La Mecque.

Avec votre fonction et votre culture, vous êtes un modèle pour les jeunes générations arabes en général et pour les jeunes Saoudiens en particulier. Quel message avez-vous pour eux?

 

Je vais recourir à cette métaphore paysanne et rurale: «On récolte toujours ce que l’on sème.» Ainsi, je souhaite que l’on travaille encore plus pour diversifier la culture et les arts [...] et que la jeune génération d’Arabie saoudite et d’ailleurs soit à la hauteur de cette responsabilité, dans un monde moderne qui change et évolue à chaque instant.


La bibliothèque Jadal est une oasis culturelle dans la province orientale de l'Arabie saoudite

Ali Al-Herz (photo) a transformé sa maison en une bibliothèque contenant plus de 37 000 livres. (Photo Fournie)
Ali Al-Herz (photo) a transformé sa maison en une bibliothèque contenant plus de 37 000 livres. (Photo Fournie)
Ali Al-Herz (photo) a transformé sa maison en une bibliothèque contenant plus de 37 000 livres. (Photo Fournie)
Ali Al-Herz (photo) a transformé sa maison en une bibliothèque contenant plus de 37 000 livres. (Photo Fournie)
Ali Al-Herz (photo) a transformé sa maison en une bibliothèque contenant plus de 37 000 livres. (Photo Fournie)
Ali Al-Herz (photo) a transformé sa maison en une bibliothèque contenant plus de 37 000 livres. (Photo Fournie)
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  • Ali Al-Herz a transformé sa maison en une bibliothèque contenant plus de 37 000 livres, offrant aux visiteurs un espace où la mémoire, la philosophie et la culture prennent vie.
  • adal n'est pas seulement une bibliothèque, c'est bien plus que cela. C'est un musée à explorer, un espace philosophique propice à la réflexion et un rempart contre l'oubli des histoires culturelles importantes.

DHAHRAN : Dans le village tranquille d'Umm Al-Hamam, situé dans la province orientale de l'Arabie saoudite, une passion de longue date pour les livres s'est transformée en un havre culturel.

Ali Al-Herz, bibliophile et archiviste littéraire, a transformé sa maison en une bibliothèque d'exception nommée Jadal, un véritable trésor contenant plus de 37 000 livres, plus de 100 000 journaux et magazines, ainsi que des antiquités, dont certaines datent de plus d'un siècle.

Mais Jadal n'est pas seulement une bibliothèque, c'est bien plus que cela. C'est un musée à explorer, un espace philosophique propice à la réflexion et un rempart contre l'oubli des histoires culturelles importantes.

Al-Herz a déclaré à Arab News : « Depuis ma naissance, j'ai été entouré des livres de ma mère. J'ai grandi immergé dans cette passion, à tel point qu'elle m'a complètement envahi ; je suis devenu un rat de bibliothèque. »

L'étincelle qui a tout déclenché a été la rencontre d'Al-Herz avec l'épopée Sirat Antar à l'âge de 13 ans. « À partir de cette épopée, et à travers elle, j'ai commencé à explorer d'autres mondes », a-t-il déclaré. 

C'est cette curiosité et cette fascination qui ont finalement conduit Al-Herz à créer l'une des initiatives les plus originales du royaume d'Arabie saoudite.

Le nom « Jadal » signifie « débat » ou « discussion » en arabe, reflétant l'esprit curieux de la bibliothèque. Pour Al-Herz, l'objectif n'est pas seulement de préserver les textes, mais aussi l'idée de questionner et d'explorer les idées.

Al-Herz a déclaré : « J'ai choisi ce nom pour la bibliothèque, car il est profondément ancré dans l'histoire philosophique de la Grèce antique, ainsi que dans notre propre tradition culturelle arabo-islamique, en particulier dans notre héritage religieux. »

L'atmosphère philosophique imprègne les trois salles principales, nommées d'après Socrate, Platon et Aristote, qui accueillent les visiteurs dans un univers dédié à la lecture et à la réflexion. 

Des manuscrits rares, des textes anciens, des journaux et des antiquités ont été soigneusement archivés. Chaque pièce est un murmure du passé qui s'adresse à l'avenir. 

Al-Herz explique : « Même mon intérêt récent pour l'achat de livres s'est principalement orienté vers les éditions rares et les imprimés anciens, afin de créer une harmonie entre patrimoine et modernité. »

Mais Jadal ne se laisse pas envahir par la nostalgie, car Al-Herz organise toutes les deux semaines une réunion littéraire. Cet événement fait revivre une tradition qui était autrefois importante dans la vie intellectuelle des Arabes.

C'est un environnement où écrivains, universitaires et penseurs se réunissent autour d'un café arabe pour échanger des idées dans une atmosphère animée. 

À une époque où les gens recherchent des informations instantanées en ligne, Al-Herz continue d'utiliser des méthodes traditionnelles. « Il y a une lutte permanente entre deux générations », observe-t-il. « La victoire reviendra finalement à cette dernière génération, une fois que ma génération aura disparu. Les bibliothèques papier seront alors transformées en musées. »

Il a peut-être raison, mais pour l'instant, au cœur de la campagne de Qatif, la bibliothèque Jadal continue d'exister, et c'est un lieu où l'encre, la mémoire, le débat et le patrimoine continuent de façonner l'âme culturelle du Royaume. 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com 


Amin Maalouf apporte un soutien inattendu aux langues régionales

Cette photographie montre la façade de l'Institut de France avant la présentation de la 9e édition du Dictionnaire de l'Académie française, qui est le dictionnaire officiel de la langue française, à Paris, le 14 novembre 2024. (Photo de Ludovic MARIN / POOL / AFP)
Cette photographie montre la façade de l'Institut de France avant la présentation de la 9e édition du Dictionnaire de l'Académie française, qui est le dictionnaire officiel de la langue française, à Paris, le 14 novembre 2024. (Photo de Ludovic MARIN / POOL / AFP)
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  • Ce dernier a écrit au Premier ministre François Bayrou et à la ministre de l'Éducation nationale, Elisabeth Borne, pour leur proposer un corpus d'œuvres en langues régionales destiné aux professeurs,
  • Le Collectif pour les littératures en langues régionales a constitué, avec l'aide de spécialistes, un recueil intitulé Florilangues, comprenant 32 textes en langue originale.

PARIS : Une initiative d'un collectif visant à enseigner le patrimoine littéraire dans les langues régionales de France a reçu lundi  un soutien inattendu : celui du secrétaire perpétuel de l'Académie française, Amin Maalouf.

M. Maalouf, écrivain franco-libanais, a été élu en 2023 à la tête d'une institution dont la mission est de veiller au rayonnement et à l'intégrité de la langue française.

Toutefois, il soutient la démarche du Collectif pour les littératures en langues régionales, qui suggère un enseignement de ce type au collège ou au lycée, a indiqué ce collectif à l'AFP.

Ce dernier a écrit au Premier ministre François Bayrou et à la ministre de l'Éducation nationale, Elisabeth Borne, pour leur proposer un corpus d'œuvres en langues régionales destiné aux professeurs, afin de sensibiliser à la « richesse de la production littéraire » dans d'autres langues que le français. 

« M. Maalouf, comme nous, est convaincu qu'il est nécessaire que les élèves français découvrent ces trésors culturels », écrit ce collectif à M. Bayrou, qui parle lui-même le béarnais.

Le Collectif pour les littératures en langues régionales a constitué, avec l'aide de spécialistes, un recueil intitulé Florilangues, comprenant 32 textes en langue originale (de l'alsacien au tahitien, en passant par le basque ou le corse), traduits en français.

On y trouve entre autres un poème en provençal de Frédéric Mistral (prix Nobel de littérature en 1904) intitulé Mirèio, une chronique en breton de Pierre-Jakez Hélias intitulée Bugale ar Republik, un court récit en créole martiniquais de Raphaël Confiant intitulé Bitako-a, ainsi qu'une chanson en picard d'Alexandre Desrousseaux intitulée Canchon dormoire (plus connue sous le nom de P'tit Quinquin).

« Il ne s'agit pas de donner des cours de langues régionales, mais de présenter des œuvres issues des littératures en langues régionales, que ce soit en français ou en version bilingue », précise le collectif.

Idéalement, selon lui, les élèves aborderaient des langues issues d'autres régions que la leur. « Pourquoi seuls les élèves antillais apprendraient-ils qu'il existe une littérature en créole ? », demande ce collectif, qui présente son initiative à la presse lors d'une visioconférence lundi après-midi. 


L'artiste saoudien Ahaad Alamoudi présente « The Social Health Club » à Bâle

L'artiste saoudien Ahaad Alamoudi présente « The Social Health Club » à Bâle. (Photo Fournie)
L'artiste saoudien Ahaad Alamoudi présente « The Social Health Club » à Bâle. (Photo Fournie)
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  • Fraîchement conçue, cette installation baignée de jaune, ancrée dans les œuvres passées de l'artiste, offre une expérience sensorielle riche et complexe ainsi qu'un commentaire culturel incisif.
  • « The Social Health Club » s'articule autour d'objets trouvés au marché Haraj de Djeddah en 2018.

RIYAD : Ce mois-ci, l'artiste saoudienne Ahaad Alamoudi fait monter la température au Basel Social Club qui se tient jusqu'au 21 juin dans la ville suisse avec sa dernière installation, « The Social Health Club ». 

Fraîchement conçue, cette installation baignée de jaune, ancrée dans les œuvres passées de l'artiste, offre une expérience sensorielle riche et complexe ainsi qu'un commentaire culturel incisif. Elle marque également une première pour l'artiste avec un élément de performance en direct.

Basée à Djeddah, Alamoudi est connue pour créer des installations multimédias immersives s'inspirant de la dynamique complexe de son pays natal en pleine évolution. « The Social Health Club » s'articule autour d'objets trouvés au marché Haraj de Djeddah en 2018, notamment divers équipements de sport, dont un rameur.

« Ce sont des pièces que j'ai chinées dans des brocantes. J'aime le fait qu'aucune instruction n'accompagne ces machines : je ne connais ni leur nom, ni leur provenance, ni leur fabricant. Mais elles font désormais partie du paysage urbain dans lequel j'évolue. J'ai essayé de créer un espace ludique », a-t-elle déclaré à Arab News. 

Dans « The Social Health Club », les équipements, peints principalement dans un jaune vif et saturé, restent intacts, symbolisant une culture obsédée par l'auto-optimisation. Au cœur de l'installation se trouve un caméo représentant un fer à repasser peint en jaune, déjà présent dans son œuvre vidéo de 2020 intitulée « Makwah Man » (Makwah signifie « fer à repasser » en arabe).

« Beaucoup de mes œuvres sont issues d'un récit que je crée dans une vidéo. Dans « Makwah Man », cet homme vêtu d'une thobe jaune repasse un long morceau de tissu jaune au milieu du désert. Et pendant qu'il repasse, il nous dit comment vivre notre vie. Mais en nous disant comment vivre notre vie, il commence aussi à remettre en question la sienne, à comprendre le rôle du pouvoir, à prendre conscience de la pression du changement et de l'adaptation », explique Alamoudi. 

« Le jaune est présent dans la vidéo, mais l'artiste porte également une thobe jaune. Il y a aussi, dans cette version présentée à Art Basel, un portant de thobes jaunes qui tournent dans l'exposition. Pour moi, la thobe jaune est un symbole unificateur. J'essaie de dire que nous vivons tous cela différemment. Ainsi, dans la performance (pour « The Social Health Club »), un culturiste local vêtu d'une thobe jaune fera des exercices sur ces machines. Il n'a pas de règles à suivre. Il ne connaît rien, ne sait pas comment utiliser « correctement » l'équipement. Il entrera dans l'espace et utilisera les machines comme il le pourra.

« La performance sera enregistrée. Mais je pense que c'est plutôt une activation », a-t-elle poursuivi. « Ce n'est pas l'œuvre elle-même. L'œuvre existe sous la forme des machines. 

« Le Social Health Club » a été créé en étroite collaboration avec la conservatrice Amal Khalaf. Ensemble, ils se sont rendus à Djeddah où Alamoudi a pu découvrir avec elle des « machines un peu inhabituelles, différentes des machines classiques que l'on trouve dans les salles de sport et dont tout le monde connaît immédiatement l'utilité », explique Alamoudi.

« Elle est vraiment incroyable », a-t-elle poursuivi. « Nous avons vraiment construit cet espace ensemble. En gros, j'ai principalement créé la vidéo ; tout le reste a été construit à partir de là. Elle m'a beaucoup aidée. Elle s'est vraiment intéressée aux changements sociaux et à la manière dont nous les abordons. Notre collaboration a été parfaite. »

Le jaune domine chaque centimètre carré de l'œuvre, de manière délibérée et intense. 

« Je suis obsédé par les symboles dans certaines de mes œuvres. Et cela s'accompagne également d'une couleur », explique Alamoudi. « Je voulais mettre en valeur quelque chose de luxueux, de coloré, presque comme de l'or, mais qui n'est pas de l'or. Son apparence est assez austère. » 

Le jaune est à la fois une invitation et un avertissement. « Je pense que le jaune est également assez trompeur. J'aime cette couleur qui incite les gens à s'approcher pour voir ce qui se passe, mais qui les amène en même temps à se demander ce que c'est  elle est si agressive qu'elle en devient un peu inconfortable. »

L'interaction du spectateur est essentielle à la signification de l'œuvre. 

« Je pense que les machines représentent quelque chose et qu'elles véhiculent quelque chose, mais elles sont en réalité activées par les gens, par ce que les gens font avec elles », explique Alamoudi. « C'est pourquoi j'encourage beaucoup de spectateurs à interagir avec les œuvres, à les utiliser ou à essayer de les utiliser sans aucune instruction. Beaucoup de personnes qui entrent dans l'espace peuvent avoir peur de les toucher ou d'interagir avec elles. La présence de l'artiste qui active les structures ajoute une autre dimension à l'œuvre elle-même. »

Elle espère que les visiteurs se sentiront libres d'explorer les œuvres, sans être encombrés par des attentes.

« Les gens sont censés les utiliser à leur guise. Ils peuvent s'asseoir dessus, se tenir debout dessus, les toucher — ils peuvent aussi les laisser tranquilles », conclut-elle en riant. 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com