Au Liban, Macron réveillera-t-il les consciences ?
« Bhebak ya Loubnan » (Je t’aime, Liban) c’est par ces mots prononcés en arabe que le président français Emmanuel Macron a touché le cœur des Libanais le 6 Août quand il est venu au chevet d’un peuple essoufflé de douleur au lendemain d’une explosion gigantesque qui a fauché un grand nombre de victimes et occasionné des malheurs incommensurables. Un peuple déjà meurtri par la nullité et la corruption d’un pouvoir autiste. Ce lundi soir, Emmanuel Macron ira rendre hommage à Feyrouz, la diva libanaise qui lui a inspiré ses mots d’amour pour le Liban. Macron dit vouloir aller voir cette grande dame qui représente « un Liban rêvé dont tant de Libanais et Libanaises ont la nostalgie ».
Cette nostalgie d’un Liban que la jeunesse d’aujourd’hui n’a pas connu, c’est celle d’un pays que certains, à tort, décrivaient comme la Suisse du Proche Orient, celle des années d’insouciance, d’ouverture, de prospérité et de joie de vivre, les années d’avant 70, avant l’arrivée au pouvoir à Damas des Assad père et fils qui ont largement contribué à la dégradation de la situation du Liban en attisant, pour le premier, une guerre civile fratricide que le patron de presse et ancien ministre et député Ghassan Tuéni avait qualifiée de « guerre pour les autres », suivie d’une occupation syrienne désastreuse qui a activement contribué à la formation du parti chiite pro-iranien, le Hezbollah ; et pour le second en orchestrant des assassinats de personnalités politiques et médiatiques, symboles d’un Liban libre, moderne et ouvert .
Macron revient pour la seconde fois dans ce Liban au sauvetage duquel le peuple ne croit plus, aussi longtemps que cette classe politique sera aux manettes, tant elle a malmené les institutions et provoqué de souffrances, la jeunesse cherchant à émigrer par manque de perspective. Le président français continue, depuis le 6 août, à faire pression pour que les conditions soient réunies pour la formation d’un gouvernement de mission capable de mener la reconstruction et les réformes demandées par la France et la communauté internationale afin d’obtenir de celle-ci le soutien et l’aide financière qui sauveraient le Liban de la « disparition » qui le menace, selon les propos du chef de la diplomatie française Jean Yves Le Drian. Avant sa deuxième visite au Liban Macron avait déclaré que « le système libanais s’est auto-bloqué, les contraintes du système confessionnel ajoutées aux intérêts liés ayant conduit à une situation où il n’y a quasiment plus de renouvellement, et où il y a une impossibilité de le faire, et c’est ce qu’on a vu depuis 2016 et de manière plus aiguë depuis 2018 (la conférence Cèdre). Nous savons les réformes qui doivent être conduites et méritées par le peuple libanais pour réduire la corruption et permettre à une partie de l’économie de fonctionner pour l’intérêt du peuple. Si on ne fait pas cela l’économie libanaise va s’effondrer, et la victime sera le peuple libanais et celui qui ne peut s’exiler ».
« La France se bat pour que ce Liban soit sauvé, pour l’amitié et l’histoire qui lient les deux pays, mais c’est aussi parce que le Liban est une des dernières formes existantes de la coexistence la plus pacifique possible des religions, d’un modèle pluraliste qui repose sur l’éducation, la culture, la capacité à commercer en paix. Si nous le laissons aux mains des turpitudes régionales, ce sera la guerre civile, la défaite de l’identité même du Liban », a-t-il ajouté.
C’est ce qui conduit Macron à mettre la pression. Les Libanais sur place sont reconnaissants de l’implication de la France, mais sont généralement sceptiques sur sa capacité à réveiller la conscience de politiciens incapables de répondre à ces exigences soit parce que leur allégeance va en premier à l’Iran et non à la patrie, comme le puissant parti chiite Hezbollah, soit parce qu’ils sont dans un déni absolu de la souffrance et la révolte d’une population qui les méprise. Macron a promis aux Libanais qu’il ne les lâcherait pas. Il a enfin obtenu du président Aoun de commencer ses consultations pour nommer un Premier ministre. Jusqu’au coup de fil du président français, Aoun prenait son temps comme si le pays pouvait se le permettre. Macron téléphonera sans doute à Saad Hariri pour lui demander de nommer son candidat pour le poste de Premier ministre, afin que celui-ci ait une couverture de la rue sunnite. Le président français rencontrera le Patriarche maronite qui lui soumettra son idée, appréciable mais difficilement réalisable, de faire du Liban un pays neutre.
Macron pourra-t-il cependant tenir sa promesse de ne pas lâcher le Liban s’il se heurte à l’obstruction d’une classe politique animée par ses propres intérêts loin de ceux du pays ? C’est le grand défi d’un jeune président qui vient apporter de l’espoir et de l’optimisme à un peuple qui ne croit pas à sa classe dirigeante. Réussira-t-il ? Le Général De Gaulle avait dit qu’il ne faut pas désespérer, même dans les situations les plus douloureuses. À l’occasion du centenaire du Grand Liban, Macron a certes le désir et la volonté d’en convaincre le peuple libanais, mais la difficulté sera de pouvoir trouver une entente interne pour imposer un nouveau mode de gouvernance et de fonctionnement des institutions pour lequel l’aide de la France sera précieuse. Pour définir son initiative, Macron a choisi en anglais la formule suivante : « France is an honest broker » (La France est un médiateur honnête)









