Le Liban va-t-il gâcher l’initiative Macron ?

Manifestation anti-gouvernementale dans le centre de la capitale libanaise, Beyrouth, le 1er septembre 2020 (Photo, AFP)
Manifestation anti-gouvernementale dans le centre de la capitale libanaise, Beyrouth, le 1er septembre 2020 (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 22 septembre 2020

Le Liban va-t-il gâcher l’initiative Macron ?

Le Liban va-t-il gâcher l’initiative Macron ?
  • Des responsables politiques irresponsables qui prennent leur temps, s’entredéchirent, des égos qui s’affrontent pour le pouvoir dans un pays qui sombre
  • L‘Iran de Khamenei ne laissera pas le Liban sortir de son malheur, tant que son agent libanais, le Hezbollah, tiendra le pays grâce à son alliance avec un président maronite arrivé au pouvoir à la suite d’une erreur politique fatale

« Aidez-nous à vous aider », avait récemment lancé le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves le Drian, aux responsables politiques libanais après l’explosion du port de Beyrouth qui, le 6 août, a poussé Emmanuel Macron à accourir au chevet du Liban. Le 2 septembre, les responsables libanais ont désigné un Premier ministre, Mustapha Adib, qui a accueilli in extremis Emmanuel Macron, de retour au Liban pour exiger des politiciens libanais qu’ils forment un gouvernement de mission afin que ce dernier mette en œuvre les réformes demandées par la communauté internationale.

Des réformes pour venir en aide à une population qui se noie dans le désespoir, le chômage,  la pauvreté, qui touche plus de la moitié des Libanais, à une jeunesse sans perspectives. Aujourd’hui, l’initiative Macron est bloquée et le Premier ministre désigné est prêt à se récuser. Les Libanais, angoissés quant à l’avenir de leur pays, se retrouveront désormais seuls si la France les lâche.

Macron l’avait pourtant promis aux Libanais : « Je ne vous lâcherais pas ». Mais comment aider un pays où la classe politique n’a pas conscience qu’elle coule comme le Titanic ? Des responsables politiques irresponsables qui prennent leur temps, s’entredéchirent, des égos qui s’affrontent pour  le pouvoir dans un pays qui sombre. Le pays se noie et risque de perdre sa seule chance pour que son peuple puisse commencer à relever la tête

 D’un côté, on trouve le Hezbollah, obéissant aux ordres de Téhéran et possédant une armée illégitime plus forte que l’armée nationale, qui profite de son hégémonie sur le pouvoir politique tout en bénéficiant de la couverture d’un président chrétien et de son parti, de l’autre, un ancien Premier ministre, Saad Hariri, leader de la rue sunnite, qui se retrouve soudain dans la position de refuser un compromis avec le parti chiite, qui revendique le Ministère des finances, avec sa tête une personnalité de son choix et de sa confession.

Pour le Hezbollah, l’Iran d’abord

Le parti pro-iranien, qui s’était engagé devant Emmanuel Macron à accepter le principe d’un gouvernement de mission à même de réaliser les réformes pour sortir le Liban de la dure crise qui le frappe, est occupé à défendre les intérêts régionaux de l’Iran qui constituent pour le parti chiite libanais la priorité. Les sanctions américaines qui frappent l’Iran et le Hezbollah sont de nature à pousser le parti chiite libanais à bloquer la sortie de crise libanaise proposée par le président français, lequel essaye d‘obtenir du maillon faible de l’équation du pouvoir libanais – en l’occurrence Saad Hariri - de nommer un ministre de confession chiite capable et respecté pour le ministère des Finances.

Saad Hariri refuse de graver dans le marbre la tradition d’attribuer à la communauté chiite le portefeuille des Finances. Cette impasse dans laquelle se retrouve le pouvoir libanais est très grave pour le pays qui ne possède plus de réserves de devises, et qui ne pourra importer des produits de première nécessité que pour environ deux mois. Le Liban s’effondre littéralement, mais le pouvoir s’agrippe à ses positions comme si de rien n’était. En réalité, le parti chiite n’a rien à perdre. Son argent ne passe pas par les circuits bancaires classiques, ses armes lui sont fournies de manière continue par le régime iranien. Celui qui a tout à perdre, c’est le parti chrétien majoritaire du chef de l’état Michel Aoun et de son gendre. Le Liban devient un pays en voie de disparition, son élite émigre en masse et sa jeunesse est terrifiée pour l’avenir du pays. Les meilleurs médecins quittent le pays, vont chercher du travail au Canada, en Allemagne et en France. La tristesse et la peur du lendemain envahit les Libanais de toutes les classes sociales, en particulier la classe moyenne qui s’est considérablement appauvrie.

L‘Iran de Khamenei ne laissera pas le Liban sortir de son malheur, tant que son agent libanais, le Hezbollah, tiendra le pays grâce à son alliance avec un président maronite arrivé au pouvoir à la suite d’une erreur politique fatale commise par Saad Hariri et Samir Geagea, le leader des Forces libanaises. Les deux alliés se mordent aujourd’hui les doigts suite à un compromis désastreux qui a vu Saad Hariri prendre le poste de Premier ministre, tandis que Michel Aoun a été élu président.

L’ancien Premier ministre essaye aujourd’hui de se rattraper, mais il est trop tard. Il insiste sur un principe auquel la rue sunnite est attachée, à savoir ne pas accepter ce récent diktat du Hezbollah, qui a toutefois beaucoup moins d‘importance que le compromis réalisé précédemment sur la présidence Aoun. Il est désormais trop tard pour faire machine arrière. Il vaut mieux former ce gouvernement de mission car si l’initiative française échoue, c’est la dernière bouée de sauvetage d’un pays en péril qui disparaitra. On aurait souhaité une opposition populaire et une société civile unifiée avec à sa tête un leader ayant une stratégie réaliste, mais on constate avec regret que cette opposition ressemble étrangement à celle qui s’est opposée à la domination syrienne, courageuse, intègre et volontaire, mais qui reste divisée et parfois facilement manipulée face à un parti armé et aguerri comme le Hezbollah.

Le Titanic continue de se noyer malgré la tentative de sauvetage d’Emmanuel Macron, avec la perspective que le Hezbollah  voudrait officialiser sa part du gâteau libanais en demandant un nouveau pacte qui donnerait aux chiites une part plus importante dans l’équation confessionnelle au Liban. Ainsi, ce parti ne se contentera pas de revendiquer le ministère des Finances, mais voudra aussi rouvrir le débat sur les accords de Taef, conclus à la fin de la guerre civile, et refaire une Constitution  pour un Liban qui déjà n’est plus le même.

Randa Takieddine est correspondante en chef d’Arab News en français à Paris.

Twitter : @randaparis

NDLR : Les opinions exprimées dans la présente publication sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.