Islamo-gauchisme, antisémitisme, ma phobie des «ismes»

Lors d’une manifestation « contre l’islamophobie » le 10 novembre 2019 à Paris. Photo d'archives GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
Lors d’une manifestation « contre l’islamophobie » le 10 novembre 2019 à Paris. Photo d'archives GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
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Publié le Mercredi 14 juillet 2021

Islamo-gauchisme, antisémitisme, ma phobie des «ismes»

Islamo-gauchisme, antisémitisme, ma phobie des «ismes»
  • Voir de l’islamophobie dans toute critique de l’islam, de la christianophobie dans toute critique du christianisme ou de la judéophobie, et même de l’antisémitisme, dans toute critique du judaïsme, cela révèle une bien mauvaise foi
  • Pour avoir moult fois dénoncé le chantage à l’antisémitisme, qui interdit toute critique de l’État d’Israël, je me garderai de voir systématiquement du racisme là où il n’y a qu’un réflexe primaire

Il faut vraiment avoir l'esprit creux, pour assumer un concept aussi creux que celui d’islamo-gauchisme! Demandez donc aux lexicologues ce qu’ils pensent de la morphologie même de l’expression: s’il ne s’agit pas d’un amalgame sémantique, par exemple…

Dans Le Monde (25-11-20), le critique littéraire Jean Birnbaum écrivait: «Si “islamogauchisme” est une étiquette hasardeuse, trop souvent utilisée pour dire n’importe quoi et disqualifier n’importe qui, il n’en désigne pas moins quelque chose de solide». Que «l’islamo-gauchisme» soit «une étiquette hasardeuse, utilisée pour disqualifier n’importe qui», c’est un fait. Et pourtant, il y a maldonne! Cette expression, des plus forcées, n’a pas le sens qu’on veut lui donner: c’est juste une association artificielle, sans aucune pertinence conceptuelle. Loin de désigner «quelque chose de solide», sa formation est un calque opportuniste, elle frise même le contresens: dire «islamo-quelque chose», c’est mettre l’islam comme principe premier, et à la rigueur l’islamisme.

Pour prendre une image culinaire (sic), «lier une préparation» c’est «la rendre consistante et homogène en faisant une liaison». De même, nos alchimistes du liant islamo-gauchisme croyaient rendre leur «préparation consistante et homogène». Et c’est justement là qu’il y a maldonne! Prenez donc la liaison judéo-bolchévisme: c'est bien des juifs dont il était alors question, des juifs bolchéviques ou complices du bolchévisme, et non des bolchéviques complices des juifs. Morphologiquement, le composé islamo-gauchisme désignerait plutôt un «islam gauchiste», ou d’extrême-gauche (sic), plutôt qu’une gauche complice de l’islamisme. CQFD.

Cela dit, voir de l’islamophobie dans toute critique de l’islam, de la christianophobie dans toute critique du christianisme ou de la judéophobie, et même de l’antisémitisme, dans toute critique du judaïsme, cela révèle une bien mauvaise foi. On peut avoir une perception phobique (étymologiquement, «aversion irraisonnée ou peur instinctive») de la violence qui émane de tel verset du Deutéronome, du Lévitique ou du Coran, sans pour cela mériter l’anathème de «raciste». Tout comme «islamo-gauchisme», le qualificatif «islamophobe» relève d’un emploi fautif, sinon dévoyé.

Contrairement aux affirmations souvent approximatives de Caroline Fourest, l’islamophobie n’a pas été conceptualisée par de cyniques mollahs. Selon Alain Quellien, à qui on doit le premier emploi attesté, en 1910, «Il y a toujours eu, et il y a encore, un préjugé contre l’Islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne»1. J’ajouterai que le terme «islamisme» n’est pas né avec les Frères musulmans: calqué sur «christianisme» et «judaïsme», au XVIIIe siècle, il désignait tout simplement la religion de Mahomet, et c’est dans ce sens que Voltaire l’emploie dans son Dictionnaire philosophique (1764), et Stendhal dans De l’amour (1822). 

Certes, tout comme l’antisionisme peut être, selon les inconditionnels d’Israël et Manuel Valls en tête, une forme euphémique de l’antisémitisme, l’islamophobie cache souvent un racisme antiarabe inavouable, même si les Arabes ne sont pas tous musulmans et les musulmans pas tous arabes.

Shlomo Sand va plus loin, en affirmant que «l’islamophobie a remplacé la judéophobie», voire: «Si on remplace dans le livre de Houellebecq (Soumission), toutes les descriptions concernant les musulmans par des descriptions des juifs, on obtiendrait un pamphlet judéophobe»1.

La logique perverse du chantage à l’antisémitisme

Pour avoir moult fois dénoncé le chantage à l’antisémitisme, qui interdit toute critique de l’État d’Israël, je me garderai de voir systématiquement du racisme là où il n’y a qu’un réflexe primaire.

Sous prétexte de défendre la laïcité, on pointe du doigt l’islam, à travers ces «accoutrements» et l’exploitation marketing qui en est faite. Et lorsqu’Élisabeth Badinter fait dans le boycott sélectif, en appelant au boycott des grandes marques, après avoir appelé au boycott du boycott (BDS), est-ce vraiment la cause féministe qu’elle défend ou son pré carré? D’autres, de bonne foi, en viennent même à faire de l’islamophobie par… inadvertance! 

C’est Simone Veil qui, un jour, a eu cette curieuse expression: «antisémitisme par inadvertance»1.

Peut-on vraiment être antisémite ou islamophobe par «paresse d’esprit»? Il ne saurait y avoir d’antisémitisme par inadvertance, pour la simple raison qu’on n’est pas juif par inadvertance. Et de même que l’on n’est pas musulman par inadvertance, on ne saurait être islamophobe par inadvertance.

Mais qui se souvient de l’audacieuse profession de foi de Claude Imbert, directeur du Point, qui, le 24 octobre 2003, avouait sur LCI: «Il faut être honnête. Moi, je suis un peu islamophobe. Cela ne me gêne pas de le dire». Or, si l’on en croit Nicolas Sarkozy, dans une déclaration faite à Alger (3-12-07), «Il n'y a rien de plus semblable à un antisémite qu'un islamophobe». On imagine aisément les réactions si, au lieu d’«islamophobe», Claude Imbert s’était dit «judéophobe»... Même s’il est vrai que dans le premier cas, c’est une religion, et non l’individu arabe, que l’on vise, alors que dans le second, on est censé viser à la fois l’individu juif et sa religion.

En fait, tout le problème dans cette bivalence du mot «juif», qui se rapporte à la fois à un peuple et à une religion (ce qui n’est pas le cas des mots «chrétien» et «musulman», qui se rapportent à la religion, pas à l’origine). Et même s’il est des juifs laïcs, voire athées, le mot désigne l’être social en même temps que l’être religieux: touchez à l’un et vous toucherez immanquablement à l’autre; touchez au judaïsme et vous toucherez fatalement à la judéité. C’est de cette bivalence que tire toute sa force d’intimidation le chantage à l’antisémitisme.

1 Alain Quellien, La politique musulmane dans l’Afrique occidentale, p. 133, Émile Larose, 1910. L’auteur y évoque également l’«islamophilie»!
1 Interview, sur Médiapart, 19-4-16.
1 Après le discours de Jacques Chirac, le 8-7-2004, Le Chambon-sur-Lignon.

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

TWITTER: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.