Coronavirus : Exit Pasteur, place à Descartes?

Photo d'illustration AFP
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Publié le Mercredi 11 août 2021

Coronavirus : Exit Pasteur, place à Descartes?

Coronavirus : Exit Pasteur, place à Descartes?
  • Avec le coronavirus, l’esprit «gaulois», réputé grincheux, semble avoir repris du poil de la bête
  • La parole politique, déjà décrédibilisée par la gestion des mouvements sociaux, a du mal à retrouver la confiance de la rue

Jamais, même durant les années «Sida», la science, au pays de Pasteur, n’aura connu un tel désaveu de la part d’un grand nombre de citoyens! Avec le coronavirus, l’esprit «gaulois», réputé grincheux, semble avoir repris du poil de la bête. Tant que l’on était au stade de consignes («distanciation sociale», port du masque et lavage assidu des mains), les Français firent preuve de bonne volonté et, pour certains, même de patriotisme.

Tout le monde aura noté l’absence du pays de Pasteur dans la course au vaccin. Absence embarrassante (euphémisme) pour la notoriété de l’Institut du même nom…  Mais ce n’est pas ce qui pose problème, apparemment. C’est qu’à force d’annonces contradictoires d’une semaine à l’autre, de déclarations officielles tour à tour alarmantes et rassurantes, les consignes prenant peu à peu le caractère de contraintes, l’esprit «gaulois» a fini par se cabrer. Et le doute par s’installer. Après tout, nous sommes au pays de Descartes, le philosophe du doute (mais, certes, du «doute méthodique»), dont la tradition a retenu le principe: «Dans le doute, abstiens-toi», et qu’un poète-chansonnier, Alexis Piron, un siècle après Descartes, traduisit à sa façon: «Ne décidons jamais là où nous ne voyons goutte.» Or, justement, dans l’affaire du coronavirus, nombre de Français «n’y voyaient goutte»!...

Et c’est ainsi que le doute s’est peu à peu mué en méfiance, voire en défiance: la parole politique, déjà décrédibilisée par la gestion des mouvements sociaux, et bien avant celui des «Gilets jaunes», a du mal à retrouver la confiance de la rue.

«Solde»: le mot malheureux

Les choses avaient commencé par une histoire de… solde.  Chaque jour, et durant des mois, sur le ton froid d’un cérémonial qui se voulait neutre et, donc, sans compassion, pour communiquer la différence entre le nombre de contaminés et le nombre d’admis en réanimation, le directeur de la Santé parlait de «solde». Le mot étant réservé ordinairement à l’état d’un compte pour désigner une «différence positive» ou «négative», il devait être pénible, pour les familles des victimes, d’entendre parler de «solde» quand il s’agit de vies humaines.

Lorsque l’on vous dit: «Le nombre de patients graves en réanimation a enregistré son solde net le plus bas depuis le début des mesures de confinement avec 94 patients de plus», faut-il comprendre que la population a enregistré un solde débiteur, en nombre de vies humaines, ou un solde créditeur?

Les citoyens eurent droit, de la bouche même d’une ministre de la Santé, à un déni: «Le virus n’arrivera pas en France!» ; puis, de la bouche de son successeur: «Les masques ne servent à rien». Et le jour même où se tenait un conseil des ministres, au cours duquel le président décida d’alléger le quotidien des Français en optant pour le retrait des masques, une dépêche de l’AFP annonça: «Retrait des masques en extérieur: encore trop tôt pour Castaner»! Selon Le Parisien du 17 juin 2021, un fou-rire fit résonner la salle du Conseil, «y compris du côté d'Emmanuel Macron»!... Comment voulez-vous que le citoyen s’y retrouve? 

Vous avez dit: «complotisme»?

Les choses devinrent ingérables dès lors que le terrain se trouva ouvert à la redoutable théorie du complotisme. Comme le nota la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury (professeur titulaire de la chaire «Humanités et Santé» au Conservatoire national des Arts et Métiers, Paris): «Le logos qui nous permet de retrouver de la confiance, on ne peut plus l’activer. Car le complotisme est un délire paranoïaque et tout signe va venir renforcer la thèse émise, il permet de donner aux biais de confirmation un terrain absolu. Tout ce qui va être dit, vu, va être interprété pour confirmer la thèse.»

Cela dit, à force d’entendre crier au loup, peut-être que l’on deviendra sourd lorsque le loup, pour de vrai, fera entendre ses hurlements?… Le hic, c’est que la France n’est pas seule à faire face aux complotistes, ni aux incrédules. Même en Allemagne, pays si souvent pris en exemple à Paris, le citoyen lambda a succombé à la vague conspirationniste:

«Je ne crois pas au virus, il n’y a pas de preuves», dit la bonne dame dans ce dessin glané sur Internet. – «Et ce n’est pas mon seul avis, ajoute-t-elle: Les autres, dans le Groupe-Licorne, pensent exactement la même chose!»...

«Je ne crois pas au virus, il n’y a pas de preuves ;

 «Et ce n’est pas mon seul avis ;

«Les autres, dans le Groupe-Licorne (Sic), pensent exactement la même chose!»...

Du chantage au complotisme?… Il n’y a pas plus pernicieux que ce concept! Pernicieux et, surtout, imparable! Frédéric Lordon en a néanmoins dégagé le principe moteur. Pour cet économiste, chercheur au Centre de sociologie européenne, le complotisme consiste tout bonnement à «disqualifier pour mieux dominer», en versant dans le «Complotisme de l’anticomplotisme»: «L’image est familière: en haut, des gens responsables se soucient du rationnel, du possible, du raisonnable, tandis que ceux d’en bas, constamment ingrats, imputent à leurs dirigeants une série de malveillances. Mais l’obsession du complot ne relève-t-elle pas plutôt des strates les plus élevées de la société? Les journalistes reprenant les idées du pouvoir privilégient eux aussi cette hantise»

Au demeurant, on est tenté de se poser des questions… On se souvient du fameux documentaire Hold-up, retour sur un chaos, sorti le 11 novembre 2020, par lequel le réalisateur Pierre Barnérias pensait «dévoiler la face cachée de l’épidémie». Le film, qui devait connaître une adaptation en anglais, espagnol, italien, allemand, allait mettre en émoi autant l’opinion publique qu’un grand nombre de scientifiques.

Bien évidemment, il eut aussi ses détracteurs, et des plus virulents. Mais le caractère fantasmagorique de la thèse d’un complot mondial dédouane-t-il des arguments (zappés allègrement) mettant en évidence l’illégalité des tractations, la désinformation organisée et les intérêts en jeu dans cette tragique affaire du coronavirus, et ce, au détriment de la santé publique et mentale des citoyens? Quelles que soient l’évolution de l’épidémie et sa «résolution», pour le bien-être de l’humanité, la question restera posée.  

 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

TWITTER: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.