Dans la ville irakienne de Ramadi dévastée par la guerre, la toxicomanie fait des ravages

Un Irakien pleure un proche foudroyé par le Captagon: après des décennies de guerre, d'occupation et de négligence de la part du gouvernement central, la population de Ramadi s'en sort à peine, avec des taux de chômage élevés, une reconstruction d'après-guerre lente, et la double menace posée par ce qui reste de Daesh et les milices pro-iraniennes. (Photo fournie)
Un Irakien pleure un proche foudroyé par le Captagon: après des décennies de guerre, d'occupation et de négligence de la part du gouvernement central, la population de Ramadi s'en sort à peine, avec des taux de chômage élevés, une reconstruction d'après-guerre lente, et la double menace posée par ce qui reste de Daesh et les milices pro-iraniennes. (Photo fournie)
Des pilules de Captagon et un verre qui contient de la cocaïne dans un bureau de la Division anti-narcotiques des Forces de sécurité intérieure libanaises à Beyrouth. (Photo, AFP/Archives)
Des pilules de Captagon et un verre qui contient de la cocaïne dans un bureau de la Division anti-narcotiques des Forces de sécurité intérieure libanaises à Beyrouth. (Photo, AFP/Archives)
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Publié le Jeudi 12 août 2021

Dans la ville irakienne de Ramadi dévastée par la guerre, la toxicomanie fait des ravages

  • Autrefois voie de transit pour les substances illicites de contrebande, l'Irak connaît aujourd'hui une augmentation importante de la consommation de stupéfiants
  • Les habitants de Ramadi exhortent les autorités à donner la priorité à la réhabilitation plutôt qu'à la prison pour maîtriser le fléau du Captagon

RAMADI, IRAK / BOGOTA, COLOMBIE : Ramadi a été libéré par les forces de sécurité irakiennes dans les derniers jours de 2015, après plusieurs mois sous le contrôle de Daech.

Depuis, les habitants de cette capitale provinciale ravagée par la guerre, à 110 km à l'ouest de Bagdad, ont du mal à reconstruire leur vie face aux graves difficultés économiques.

Après des décennies de guerre, d'occupation et de négligence de la part du gouvernement central, la population de Ramadi s'en sort à peine, avec des taux de chômage élevés, une reconstruction d'après-guerre lente, et la double menace posée par ce qui reste de Daesh et les milices pro-iraniennes.

Dans la vaste province désertique d'Anbar, frontalière de la Syrie à l'ouest, les conditions sont propices à l'exploitation par des cellules terroristes et des gangs criminels exerçants le trafic d'êtres humains, d'armes et de drogue.

Longtemps utilisée comme voie de transit pour déplacer les marchandises par voie terrestre, la province offre désormais un marché prêt pour de nombreux articles illicites, en particulier le Captagon.

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Les forces gouvernementales irakiennes se rassemblent dans la région de Khalidiya, à l'est de Ramadi, la capitale de la province d'Anbar, lors de la lutte contre Daech. (Photo, AFP/Archives)

Le Captagon, une amphétamine également connue sous son nom de rue «0.1», est l'une des drogues les plus couramment utilisées sur les champs de bataille du Moyen-Orient. Les combattants accros aux stupéfiants disent que cela les aide à rester éveillés pendant des jours et engourdit leurs sens, leur donnant de l'endurance pour de longues batailles et leur permettant de tuer avec abandon.

Ahmed Ali refuse de donner son vrai nom car il a honte de sa toxicomanie. Le jeune homme de 23 ans a commencé à utiliser cette substance à des fins récréatives, après la défaite de Daech. Mais il en est rapidement venu à dépendre des petites pilules jaunes pour rester alerte pendant ses heures de travail pénibles.

«J'ai commencé à prendre du Captagon en 2017 lorsqu'un ami m’en a offert. J'étais curieux. Je voulais juste l'essayer», raconte Ali à Arab News, de son domicile à Ramadi. «C'est la drogue la plus populaire ici. La plupart des jeunes la prennent», avoue-t-il.

En raison de ses effets énergisants et stimulants pour l'humeur, le Captagon est devenu une drogue récréative populaire dans la région au sens large. «Les gens croient que cela les fait sentir mieux. Mais pour moi, je l'utilise pour rester alerte car mon travail m'oblige à rester éveillé longtemps », a déclaré Ali.

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Ahmed Ali, qui n’est pas son vrai nom, a commencé à utiliser du Captagon à des fins récréatives après la défaite de Daech dans sa ville natale, Ramadi, et il est rapidement devenu accro. (Photo, AN/Meethak Al-Khatib)

«Il n'y a pas beaucoup d'opportunités d'emploi ici, donc quand vous avez un travail, vous devez vous y tenir. Si vous perdez votre emploi, vous n'en aurez peut-être pas d'autre pendant de nombreuses années. Le plus longtemps que j’ai tenu sans sommeil est trois jours».

Le Captagon est populaire parmi les étudiants qui l'utilisent pour étudier toute la nuit, dans la croyance erronée qu'ils obtiendront ainsi de meilleures notes. En pratique, Ali trouve que c’est l'effet inverse.

«Une fois, j'ai passé un examen et j'ai pris deux comprimés et demi à la fois. Mon corps a commencé à trembler. Je ne pouvais rien écrire. Mes mains tremblaient. C'est la plus grosse quantité que j'ai prise en une seule fois».

La valeur marchande de deux pilules Captagon à Ramadi est de IQD 5 000 ($3,43). Si les trafiquants de drogue sont capables de déplacer des millions de ces minuscules pilules dissimulées dans des envois de marchandises légales, les revendeurs ont tout à gagner d'une base fiable de toxicomanes locaux.

La police d'Anbar a refusé de parler à Arab News de son combat contre le Captagon, mais a récemment vanté son succès dans plusieurs raids, qui ont conduit à 19 arrestations et à la saisie de 134 589 comprimés entre avril et juillet de cette année.

Néanmoins, le Captagon continue de se répandre partout en Anbar et dans les provinces voisines. Beaucoup de personnes exhortent maintenant les autorités à changer de tactique et à traiter les toxicomanes comme des patients ayant besoin d'une réadaptation, plutôt que comme des criminels et des déviants moraux.

Noureddine Al-Hamdani, 28 ans, est bénévole pour Peace Forum, un groupe indépendant fondé en 2017 pour lutter contre les nombreux maux sociaux qui empoisonnent la vie des habitants de Ramadi, de la violence conjugale aux violations des droits civils.

Noureddine rejoint régulièrement son équipe de bénévoles dans le bazar animé d'Anbar pour distribuer des brochures sur la toxicomanie. Il croit que la propagation de la consommation de drogue peut être directement liée à l'impact psychologique de la guerre.

«La guerre avec Daech est l'une des principales raisons de la propagation de Captagon ici», a expliqué Noureddine.

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Noureddine Al-Hamdani, 28 ans, est bénévole pour Peace Forum, un groupe indépendant fondé en 2017 pour lutter contre les nombreux maux sociaux qui empoisonnent la vie des habitants de Ramadi. (Photo, AN/Meethak Al-Khatib)

Par conséquent, la province est non seulement devenue un important intermédiaire régional pour le trafic de drogue, mais aussi un marché lucratif. «L'Anbar est une zone stratégique bordant plusieurs pays dont des drogues sont introduites dans le pays. (…) C’est devenu une zone de consommation de drogue», dit-il.

Noureddine est convaincu que la police locale mène une bataille perdue d'avance, et que les ressources pourraient être bien mieux dépensées sur des services de réadaptation, ce qui pourrait contribuer à réduire la demande de Captagon.

«Il n'y a pas d'établissements de santé qui peuvent aider les toxicomanes à Anbar. Ceci signifie que les consommateurs de drogue craignent de se confier aux gens, ou d'aller voir les autorités pour avouer qu'ils sont des toxicomanes et qu'ils ont besoin d'aide médicale. Les autorités les considèrent comme des criminels. Ainsi, la consommation de drogues augmente de jour en jour», dit-il.

«Les consommateurs de drogues ne sont pas des criminels. Malheureusement, les autorités les emprisonnent avec des criminels et des personnes accusées de terrorisme et d'autres crimes», se désole-t-il.

«Nous voulons que le gouvernement fournisse des soins de santé aux consommateurs de drogue, (des centres) où ils peuvent obtenir de l'aide et vaincre leur dépendance. Malgré nos nombreux appels aux autorités locales et centrales, nous n'obtenons aucune réponse», conclut le bénévole.

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La police d'Anbar expose des paquets de pilules de Captagon saisis devant un suspect lors d'une récente saisie de drogue. (Photo fournie)

Sous le dictateur irakien Saddam Hussein, les délits liés à la drogue étaient passibles de la peine de mort. Depuis son éviction en 2003, la position du système judiciaire irakien s'est assoupli à cet égard, mais continue d'emprisonner des personnes même pour des délits mineurs en relation avec la drogue.

La loi n° 50 sur les stupéfiants et les substances psychotropes, promulguée en 2017, autorise les tribunaux à prononcer des peines d'emprisonnement d'un à trois ans, et à imposer de lourdes amendes pour l'importation, la production ou la possession de stupéfiants. L'article 288 de la même loi prévoit la réclusion à perpétuité pour les personnes reconnues coupables d'avoir ouvert des repaires de drogue.

Hamid Ali Jassim, un avocat de Ramadi spécialisé dans les affaires de stupéfiants, estime que le système actuel ne fonctionne pas. «Avant 2003, l'Irak était toujours un pays de transit de drogue, où la drogue était acheminée de l'Iran vers la Syrie, les États du Golfe et le Liban. L'Irak n'était pas un pays consommateur ou producteur de drogue avant 2003», précise Jassim.

«Avant 2003, les lois antidrogue étaient si sévères que la possession de quelques pilules de stupéfiants pouvait entraîner une condamnation à mort. Puis, en 2017, une nouvelle loi sur les drogues a été promulguée en Irak, qui a également classé le Captagon comme une drogue psychoactive».

Mais lorsque les autorités ont réalisé que les revendeurs et les consommateurs de drogue n'étaient pas découragés, ils ont imposé des peines encore plus sévères. Désormais, la possession d'une centaine de pilules de Captagon peut entraîner jusqu'à six ans de prison et une amende minimale de IQD 10 millions ($6 850).

«Le système judicaire estime que de lourdes peines entraînerait une diminution de la consommation de drogue», souligne Jassim. «Nous n'avons pas d'établissements de santé qui peuvent offrir un traitement aux toxicomanes condamnés, et les autorités pensent que l’incarcération des personnes résoudra le problème de la drogue».

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Hamid Ali Jasim, un avocat de Ramadi spécialisé dans les affaires de stupéfiants, estime que la politique irakienne actuelle de lutte contre les stupéfiants ne fonctionne pas. (Photo, AN/Meethak Al-Khatib)

Jassim pense que l'épidémie de consommation de drogue est également aggravée par la corruption au sein du système pénitentiaire. «Après 2003, de nombreux policiers,  je ne dirais pas tous, mais la majorité, n'étaient pas satisfaits de leurs taux de rémunération, alors ils ont commencé à chercher d'autres sources de revenus, comme passer des appels téléphoniques ou d'autres choses aux détenus contre de l'argent, notamment du Captagon», révèle-t-il.

Jassim prétend aussi que les propriétés sont fréquemment perquisitionnées sans une décision de justice valide, que les suspects se voient souvent refuser le droit d'avoir un avocat présent lors de l'interrogatoire et que la torture est courante en garde à vue.

«Dans la plupart des cas, la police utilise des méthodes illégales pendant l'interrogatoire pour savoir où le suspect a obtenu son approvisionnement», affirme Jassim.

D'autres policiers auraient extorqué des pots-de-vin à des trafiquants de drogue en échange de peines de prison réduites. «Dans certains cas, les revendeurs concluent un «arrangement» avec les autorités pour être renvoyés devant les tribunaux en tant que consommateurs, et non en tant que revendeurs, pour obtenir une peine réduite».

Avec les dossiers qui s’accumulent, les enquêtes sont souvent précipitées, les preuves déposées de manière incorrecte et les condamnations prononcées sans respecter les procédures. «Les procès de drogue ici ne prennent pas plus de 15 minutes», martèle Jassim, «de nombreuses personnes ont été injustement poursuivies».

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Les forces de sécurité irakiennes protègent les bénévoles du Forum de la paix au centre-ville de Ramadi. (Photo, AN/Meethak Al-Khatib)

Pour les consommateurs de Captagon comme Ali, trop effrayés pour s'exprimer ouvertement, le système est défectueux. «J'aimerais bien qu'il y ait une clinique de réadaptation ici. J'irais certes s'il y en avait une», dit-il.

Mais avant que l'infrastructure juridique et médicale de l'Irak puisse s'adapter, le langage autour de la toxicomanie et de la maladie mentale doit changer. «Les gens pensent que si vous prenez des substances illégales, vous êtes une personne dangereuse», reconnaît Ali.

«Vous trouvez des jeunes déprimés partout en Irak. La vie ici n'est pas normale. Mais les gens ont peur d'aller voir un psychologue. Les coutumes et les traditions les en empêchent. Les gens pensent que vous êtes fou».

«Les jeunes ici naviguent sur les réseaux sociaux et peuvent voir à quoi ressemble la vie en dehors de l'Irak, comment elle est meilleure. Ça les rend déprimés. Et ça peut leur donner une raison de consommer le Captagon».

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Nouveaux bombardements israéliens au Liban malgré des discussions «positives»

Israël a de nouveau bombardé jeudi le sud du Liban, disant viser des sites du Hezbollah pro-iranien qu'elle accuse de se réarmer, au lendemain des premières discussions directes depuis plusieurs décennies entre des représentants des deux pays. (AFP)
Israël a de nouveau bombardé jeudi le sud du Liban, disant viser des sites du Hezbollah pro-iranien qu'elle accuse de se réarmer, au lendemain des premières discussions directes depuis plusieurs décennies entre des représentants des deux pays. (AFP)
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  • Le président libanais Joseph Aoun, saluant les réactions "positives" à la réunion de mercredi, a annoncé que les discussions reprendraient le 19 décembre afin d'éloigner "le spectre d'une deuxième guerre" au Liban
  • "Il n'y a pas d'autre option que la négociation", a-t-il ajouté

JBAA: Israël a de nouveau bombardé jeudi le sud du Liban, disant viser des sites du Hezbollah pro-iranien qu'elle accuse de se réarmer, au lendemain des premières discussions directes depuis plusieurs décennies entre des représentants des deux pays.

L'armée israélienne, qui a multiplié ses frappes ces dernières semaines, a encore frappé jeudi le sud du Liban après avoir appelé des habitants de plusieurs villages à évacuer.

Les bombardements ont touché quatre localités, où des photographes de l'AFP ont vu de la fumée et des maisons en ruines.

Dans le village de Jbaa, Yassir Madir, responsable local, a assuré qu'il n'y avait "que des civils" dans la zone. "Quant aux dégâts, il n'y a plus une fenêtre à 300 mètres à la ronde. Tout le monde est sous le choc", a-t-il ajouté. 


« La Syrie n’est pas condamnée » : les leçons d’un an de transition, selon Hakim Khaldi

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  • Parmi les scènes les plus marquantes, Khaldi se souvient d’une vieille dame de Homs qui, voyant les portraits d’Assad retirés des bâtiments officiels, murmure : « On peut respirer ? Est-ce que c’est vrai ? »
  • Mais ce soulagement intense laisse rapidement place à une inquiétude plus sourde : celle du vide

PARIS: La Syrie post-Assad, carnets de bord, de Hakim Khaldi, humanitaire chez Médecins sans frontières, publié chez L’Harmattan, n’est pas seulement un récit de témoins, mais une immersion dans la réalité d’un pays brisé mais pas vaincu, où la chute d’un pouvoir omnipotent n’a pas suffi à étouffer l’exigence de dignité.
Ce qu’il raconte, c’est l’envers des discours diplomatiques, la géographie vécue d’une société projetée brutalement hors d’un demi-siècle d’autoritarisme dans un vide politique, économique et moral.

Les premiers jours après la chute du régime de Bachar Al-Assad ressemblent, selon Khaldi, à un moment de bascule irréel.

Dans ses carnets, comme dans ses réponses à Arab News en français, revient une même conviction : la chute d’un régime ne signifie pas la naissance immédiate d’un pays. La Syrie, aujourd’hui, est entre les deux, « en état de transformation ».

Les premiers jours après la chute du régime de Bachar Al-Assad ressemblent, selon Khaldi, à un moment de bascule irréel : « On ne savait pas si c’était la fin d’une époque ou le début d’une autre tragédie », confie-t-il.
Dans les villes « libérées », les scènes oscillent entre euphorie et sidération ; la population découvre, sans y croire encore, la possibilité de parler librement, de respirer autrement.

Il raconte ces familles qui, pendant quarante ans, n’avaient jamais osé prononcer le mot « moukhabarat » (services secrets en arabe), ne serait-ce qu’à voix basse chez elles.
Et brusquement, les voilà qui se mettent à raconter : les disparitions, les tortures, les humiliations, et la peur devenue routine.
Des parents ressortent des photos d’adolescents morts sous la torture, des certificats de décès maquillés, des lettres écrites depuis la prison mais jamais envoyées.

Parmi les scènes les plus marquantes, Khaldi se souvient d’une vieille dame de Homs qui, voyant les portraits d’Assad retirés des bâtiments officiels, murmure : « On peut respirer ? Est-ce que c’est vrai ? »
Ce qui l’a le plus frappé, c’est « ce sentiment presque physique d’un poids qui tombe. C’est ce que j’ai le plus entendu », affirme-t-il.

Mais ce soulagement intense laisse rapidement place à une inquiétude plus sourde : celle du vide. En quelques jours, l’État s’est évaporé : plus de police, plus d’électricité, plus d’école, plus de justice.
Les anciens bourreaux disparaissent dans la nature, mais les réseaux de corruption se reconstituent, et les premières milices locales émergent, prêtes à occuper le terrain déserté par les institutions.

Pourtant, au fil de ses déplacements, Khaldi est frappé par la force de résilience et d’auto-organisation de la population : « Les Syriens n’ont jamais cessé d’exister comme société, même quand l’État les avait réduits au silence », assure-t-il.
Dans les villages, des comités improvisés se forment et organisent la distribution alimentaire, la remise en marche d’une station d’eau, la sécurité ou la scolarisation d’urgence.

Un an après la chute du régime (le 8 décembre 2024), la Syrie tente de se relever lentement, mais elle demeure une mosaïque de composants hybrides.

Cette responsabilité populaire est, pour Khaldi, l’un des rares points lumineux du paysage syrien, la preuve qu’une société peut exister en dehors de l’appareil répressif qui prétendait être l’État.

Un an après la chute du régime (le 8 décembre 2024), la Syrie tente de se relever lentement, mais elle demeure une mosaïque de composants hybrides, de milices rivales, de zones d’influence et d’ingérences étrangères. « Une mosaïque qui ne ressemble plus au pays d’avant », estime Khaldi.
Le territoire est éclaté entre forces locales, groupes armés (notamment les milices druzes à Soueida, au nord-est du pays), gouvernances provisoires ou structures étrangères. Les routes sont coupées, les administrations doublées ou contradictoires.

Avec des infrastructures détruites, une monnaie en chute libre et un secteur productif quasi paralysé, la survie quotidienne est devenue un exercice d’équilibriste.
Les Syriens ne nourrissent plus d’illusions sur l’arrivée immédiate d’un modèle démocratique idéal : il s’agit d’abord de survivre, de reconstruire, de retrouver un minimum de continuité.

Le traumatisme est profond, à cause des disparitions massives, de l’exil et des destructions psychologiques. Pourtant, affirme Khaldi, « jamais je n’ai entendu un Syrien regretter que la dictature soit tombée ».

De ses observations et des témoignages qu’il a collectés en arpentant le pays, Khaldi tire les priorités pour éviter que la Syrie ne devienne ni un conflit gelé ni un espace livré aux milices.
De son point de vue, la reconstruction politique ne peut se réduire à remplacer un gouvernement par un autre : il faut rebâtir les fondations, à savoir une justice indépendante, une police professionnelle et des administrations locales.

Des dizaines de groupes armés contrôlent aujourd’hui une partie du territoire, et une transition politique sérieuse est impensable sans un processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration, soutenu par une autorité légitime et par un cadre international solide.
Au-delà des aides internationales, la Syrie a besoin d’un cadre empêchant la capture des fonds par les anciens réseaux de corruption ou les factions armées.
Elle doit donner la priorité à la relance de l’agriculture, au rétablissement de l’électricité, des réseaux routiers et des petites industries, les seules capables à court terme de soutenir la vie quotidienne.

Le pays porte une blessure immense : celle des prisons secrètes, des fosses communes, des disparitions et des exactions documentées. « Sans justice, il n’y aura pas de paix durable », affirme Khaldi.
Il ne s’agit ni de vengeance ni de tribunaux-spectacle, mais de vérité et de reconnaissance, conditions indispensables à une réconciliation nationale.

De cet entretien se dégage une idée forte : malgré la faim, la peur, les ruines, malgré la fragmentation politique et l’ingérence étrangère, les Syriens n’ont pas renoncé à eux-mêmes.
Ils ouvrent des écoles improvisées, réparent des routes avec des moyens dérisoires, organisent l’entraide, résistent au chaos. « La Syrie n’est plus la Syrie d’avant, mais elle n’est pas condamnée pour autant », affirme Khaldi.
Son témoignage rappelle qu’un pays ne meurt pas quand un régime tombe ; il meurt lorsque plus personne ne croit possible de le reconstruire. Et les Syriens, eux, y croient encore.


Liban: Israël annonce des frappes dans le sud, appelle à des évacuations

L'armée israélienne a annoncé jeudi après-midi des frappes imminentes dans le sud du Liban contre ce qu'elle présente comme des infrastructures du mouvement islamiste Hezbollah, et a appelé à des évacuations dans deux villages de cette région. (AFP)
L'armée israélienne a annoncé jeudi après-midi des frappes imminentes dans le sud du Liban contre ce qu'elle présente comme des infrastructures du mouvement islamiste Hezbollah, et a appelé à des évacuations dans deux villages de cette région. (AFP)
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  • Les forces israéliennes vont "bientôt attaquer des infrastructures terroristes du Hezbollah à travers le sud du Liban afin de contrer ses tentatives illégales de rétablir ses activités dans la région"
  • Dans un "message urgent" en arabe, le colonel Adraee signale, cartes à l'appui, deux bâtiments dans les villages de Jbaa et Mahrouna, dont il appelle les riverains dans un rayon d'au moins 300 mètres à s'écarter

JERUSALEM: L'armée israélienne a annoncé jeudi après-midi des frappes imminentes dans le sud du Liban contre ce qu'elle présente comme des infrastructures du mouvement islamiste Hezbollah, et a appelé à des évacuations dans deux villages de cette région.

Cette annonce survient au lendemain d'une rencontre entre responsables civils libanais et israélien, lors d'une réunion de l'organisme de surveillance du cessez-le-feu entré en vigueur il y a un an, présentée comme de premières discussions directes depuis plus de 40 ans entre les deux pays toujours techniquement en état de guerre.

Les forces israéliennes vont "bientôt attaquer des infrastructures terroristes du Hezbollah à travers le sud du Liban afin de contrer ses tentatives illégales de rétablir ses activités dans la région", a annoncé le colonel Avichay Adraee, porte-parole de l'armée israélienne pour le public arabophone.

Dans un "message urgent" en arabe, le colonel Adraee signale, cartes à l'appui, deux bâtiments dans les villages de Jbaa et Mahrouna, dont il appelle les riverains dans un rayon d'au moins 300 mètres à s'écarter.

Accusant le Hezbollah de se réarmer dans le sud du pays et de violer ainsi les termes de la trêve entrée en vigueur fin novembre 2024, l'armée israélienne a multiplié depuis plusieurs semaines les frappes aériennes dans le sud du Liban mais a marqué une pause dans ses attaques pendant la visite du pape Léon XIV cette semaine.

Israël a même frappé jusque dans la banlieue de Beyrouth le 23 novembre pour y éliminer le chef militaire du Hezbollah, Haitham Ali Tabatabai.

Le Liban dénonce ces attaques comme des violations patentes du cessez-le-feu.

Mais Israël, qui peut compter sur l'aval tacite des Etats-Unis pour ces frappes, affirme qu'il ne fait qu'appliquer la trêve en empêchant le Hezbollah, allié de la République islamique d'Iran, ennemie d'Israël, "de se reconstruire et de se réarmer".

Tout en déclarant que les discussions directes de mercredi avec le Liban s'étaient déroulées dans "une atmosphère positive", le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a rappelé mercredi soir que le désarmement du Hezbollah restait une exigence "incontournable" pour son pays.