Le prix à payer pour la trahison de Biden

Joe Biden a défendu la décision qu’il a prise de retirer les troupes américaines d'Afghanistan. (Reuters)
Joe Biden a défendu la décision qu’il a prise de retirer les troupes américaines d'Afghanistan. (Reuters)
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Publié le Jeudi 19 août 2021

Le prix à payer pour la trahison de Biden

Le prix à payer pour la trahison de Biden
  • Au mois de juillet, Biden avait assuré que le pays ne courait pas de risques, ou très peu, d'être envahi par les talibans après le départ des troupes américaines
  • Le président US affronte désormais un flot de critiques sur les modalités du retrait militaire non seulement dans son pays, mais aussi dans le monde entier

Le président américain, Joe Biden, a pris quelques jours avant d'interrompre ses vacances à Camp David et de s'adresser aux Américains et au monde, en état de choc à la suite du carnage survenu en Afghanistan.

En dix minutes, M. Biden a défendu la manière dont il a géré le retrait des troupes américaines tout en imputant la responsabilité de la situation dans ce pays à son prédécesseur, le président Donald Trump, ainsi qu'aux forces de sécurité afghanes et à leurs dirigeants.

Au mois de juillet, M. Biden avait assuré que le pays ne courait pas de risques, ou très peu, d'être envahi par les talibans après le départ des troupes américaines. Dans son allocution, il a toutefois admis que son administration n'avait pas anticipé une progression aussi rapide de la part du groupe.

«En vérité, les choses ont évolué plus rapidement que nous ne l'avions prévu. Que s'est-il donc passé? Les dirigeants afghans ont baissé les bras et ils ont fui le pays. L'armée afghane s'est effondrée, sans chercher à se battre dans certains cas», explique M. Biden.

En effet, le commandant en chef de l'armée américaine n'a justifié ni devant ses amis ni devant ses ennemis l'absence d'un plan de sortie stratégique. Il n’a pas non plus évoqué les raisons pour lesquelles les alliés de l'Otan, qui ont soutenu ses forces, n'ont pas été informés de ce retrait.

M. Biden affronte désormais un flot de critiques sur les modalités du retrait militaire venues non seulement de son pays, mais aussi du monde entier. Dans son discours, il a préféré en faire abstraction; il a même refusé de répondre aux questions des journalistes.

Il est inutile de se demander à qui profitera cette issue honteuse. La réponse transparaît dans les rapports des pays de l'Union européenne et du Royaume-Uni, selon lesquels ces pays évacuent les membres de leur corps diplomatique et ferment leurs ambassades à Kaboul, au moment même où la Russie et la Chine affirment que leurs ambassades resteront ouvertes.

La plus grande bévue commise par les États-Unis en matière de politique étrangère depuis plusieurs générations se traduit par la fermeture de l'ambassade américaine et par la décision de mettre en berne son drapeau à la mission diplomatique. Cette scène donne raison aux propos de Robert Gates, le secrétaire à la défense des États-Unis sous Barack Obama, dans son livre Duty: Memoirs of a Secretary at War Le devoir: mémoires d'un secrétaire pendant la guerre»), publié en 2014: «Je pense que [Biden] s'est trompé sur pratiquement toutes les grandes questions relatives à la politique étrangère et à la sécurité nationale au cours des quarante dernières années.»

Par ailleurs, la Chine a été l'un des premiers rivaux des États-Unis à exprimer son soutien au gouvernement dirigé par les talibans à Kaboul. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying, précise que «la situation en Afghanistan connaît déjà une transformation profonde, et nous respectons la volonté et la décision du peuple afghan».

Les Américains sont partis, et alors? Grâce au soutien du gouvernement pakistanais, la Chine deviendra la puissance de substitution qui garantira la sécurité et fournira une aide économique au nouvel «Émirat islamique d'Afghanistan».

«Les talibans afghans ont exprimé à maintes reprises leur désir d'entretenir de bonnes relations avec la Chine dans l’espoir que cette dernière contribuera à la reconstruction et au développement de l'Afghanistan. Aussi ce pays ne permettra-t-il à aucune armée de se servir de son sol pour porter préjudice à la Chine», précise Mme Hua Chunying.

 

Pékin, Moscou et Islamabad, un trio solide qui contrôlera la région et tiendra à l'écart les États-Unis et leurs alliés européens

Dalia al-Aqidi

En effet, Pékin investit déjà en Afghanistan: il a versé des fonds dans les infrastructures du pays et pourrait servir, dans un avenir proche, de passerelle entre Kaboul et les marchés de l'Europe et du Moyen-Orient.

En se retirant sans ménagement de l'Afghanistan et en abandonnant leurs plus puissants alliés, les États-Unis ont offert à la Chine l'occasion rêvée de faire savoir aux pays proaméricains d'Asie qu'ils ne peuvent plus compter sur Washington.

Un éditorial paru dans le quotidien Global Times, média officiel de la Chine, souligne que l'évolution de la situation en Afghanistan doit servir de leçon au parti prodémocratique de Taïwan. «Taïwan est le pays d'Asie qui compte le plus sur la protection des États-Unis et les responsables du Parti démocratique progressiste (PDP) poussent de plus en plus Taïwan sur cette voie déraisonnable», est-il notamment écrit.

Dans le même temps, Moscou a lui aussi les yeux rivés sur ce pays déchiré par la guerre. Zamir Kabulov, l'envoyé du président russe en Afghanistan, a adressé aux talibans un message explicite: son pays ne nourrit pas de ressentiments historiques envers eux et souhaite tourner la page.

«À en juger par la faculté de négociation de mes collègues et de mes partenaires, j'ai constaté depuis bien longtemps que les talibans sont plus à même de conclure des accords que les marionnettes du gouvernement de Kaboul», a lancé M. Kabulov lors d'une interview télévisée.

Au regard du soutien inconditionnel apporté par le Pakistan au régime islamiste, Pékin, Moscou et Islamabad formeront un trio solide qui contrôlera la région et tiendra à l'écart les États-Unis et leurs alliés de l'Europe.

En effet, la défaillance de la politique étrangère actuelle des États-Unis a porté un coup à leur réputation et à leur crédibilité. Et, avec un ami comme les États-Unis de Biden, qui a besoin d'un ennemi?

 

Dalia al-Aqidi est chercheure principale au Centre de politique de sécurité.

 

Twitter : @DaliaAlAqidi

 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com