Liban: un nouveau cabinet franco-iranien?

Le nouveau président du gouvernement libanais Najib Mikati, un homme d’affaires milliardaire originaire de la ville de Tripoli au nord du Liban. (Photo, AFP)
Le nouveau président du gouvernement libanais Najib Mikati, un homme d’affaires milliardaire originaire de la ville de Tripoli au nord du Liban. (Photo, AFP)
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Publié le Vendredi 17 septembre 2021

Liban: un nouveau cabinet franco-iranien?

Liban: un nouveau cabinet franco-iranien?
  • Il est clair que le cabinet Mikati n’aurait pas vu le jour sans que de fortes pressions extérieures ne soient exercées par la France, l’Iran et même les États-Unis
  • Le nouveau gouvernement Mikati, qui est le fruit d’un «deal» complexe, devra affronter de nombreux défis, à l’extérieur comme à l’intérieur du pays

Après treize mois de vide au niveau de l’exécutif, on n’y croyait même plus… Le Liban a un nouveau gouvernement présidé par Najib Mikati, homme d’affaires milliardaire originaire de la ville de Tripoli au nord du Liban. C’est le troisième cabinet que préside M. Mikati depuis 2005. Les tractations autour de la formation du dernier gouvernement auraient duré environ six semaines.

 

La dernière semaine a été cruciale et déterminante, à la suite de plusieurs développements régionaux et internationaux ayant conduit à accentuer les pressions en vue de la formation du gouvernement. On peut à ce stade mettre en avant les informations qui circulent dans les sphères politiques et diplomatiques à Beyrouth à propos du dernier «forcing» régional entrepris par le président français, Emmanuel Macron, à partir de la conférence de Bagdad qui s’est tenue le 29 août dernier.

 

Conférence durant laquelle M. Macron réussit une percée diplomatique en direction de Téhéran. Il rencontre le nouveau ministre des Affaires étrangères iranien, Hussein Amir Abdellahian, et lui fait part de son souhait d’une coopération étroite avec l’Iran dans la région à commencer par le Liban. Mercredi dernier, le président Macron appelle son homologue iranien, Ebrahim Raïssi, et obtient de ce dernier la promesse que Téhéran s’activera pour aider à la formation d’un nouveau gouvernement au Liban. Dès lors, le bras armé de l’Iran au Liban, le Hezbollah, se lance sur le terrain des tractations en vue de boucler la boucle des pourparlers à Beyrouth. Il réussit à finaliser les derniers arrangements entre les trois pôles de la «troïka» gouvernementale, les présidents de la république, Michel Aoun; du Parlement, Nabih Berri et du gouvernement, Najib Mikati.

Quant au Liban, M. Macron se rend à l’évidence, rien ne se peut se faire sans la milice pro-iranienne, le Hezbollah, qui règne en maître sur la classe politique libanaise

Ali Hamade

Tout a été mis en œuvre pour que la diplomatie française, appuyée par une position favorable américaine à ce que le Liban sorte de cette impasse gouvernementale, réussisse à ce que le Liban ne sombre pas dans le chaos total. Il faut aussi signaler que les relations entre Paris et Téhéran n’ont cessé de s’améliorer à plusieurs niveaux. À aucun moment les contacts entre les deux pays n’ont baissé d’intensité. M. Macron, qui mise sur le retour des États-Unis à l’accord nucléaire de 2015 à la suite des négociations de Vienne, voudrait se placer en «pole position» politique et économique, dans l’éventualité d’une ouverture de Téhéran sur le bloc occidental.

 

Un bloc qui n’attend que le moment où un nouvel accord serait scellé entre Washington et Téhéran, suivi de la levée des sanctions américaines qui freinent toute activité ou échanges économiques entre l’Iran et l’Europe. C’est la carte maîtresse d’Emmanuel Macron au Moyen-Orient. Quant au Liban, M. Macron se rend à l’évidence, rien ne se peut se faire sans la milice pro-iranienne, le Hezbollah, qui règne en maître sur la classe politique libanaise, laquelle résignée, se contente de ramasser les «miettes» au niveau des postes clefs au sein de l’appareil d’État libanais.

 

Il est clair que le cabinet Mikati n’aurait pas vu le jour sans que de fortes pressions extérieures ne soient exercées par la France, l’Iran et même les États-Unis qui ont fait savoir à maintes reprises aux dirigeants libanais notamment au président de la république, Michel Aoun, qu’il était temps que le Liban se dote d’un nouveau gouvernement, qui n’est que le passage obligé menant à un plan de sauvetage économique avec le soutien de la communauté internationale.

 

Les États-Unis avaient contribué à raviver le plan d’approvisionnement du Liban en gaz égyptien via la Jordanie et la Syrie en levant informellement et exceptionnellement les sanctions sous la loi César visant toute activité commerciale avec le régime syrien. Le Liban pourra importer le gaz égyptien subventionné avec un prêt de la Banque mondiale. D’un côté, l’Égypte et la Jordanie, de l’autre, la France et les États-Unis, se mobilisent afin de tenter de stopper la descente aux enfers du Liban. L’Iran pour sa part jouera la carte du compromis qui la confortera dans sa position dominante au Liban. 

 

Malgré sa composition diversifiée, le gouvernement Mikati reflétera une mainmise iranienne sous la bienveillance de la France et de l’administration Biden. L’Égypte et la Jordanie avanceront que le Liban ne peut pas être laissé aux Iraniens. Tout cela tandis que les pays du Golfe, historiquement principaux bailleurs de fonds du Liban, restent en retrait et se gardent bien de se prononcer sur le sujet. Ils attendent de voir un changement au niveau de la politique étrangère du Liban. Plus précisément la position du gouvernement vis-à-vis des actions du Hezbollah dans la région, qualifiées «d’actes terroristes».  

 

Dès le premier jour, le nouveau gouvernement libanais fera face à des problèmes «gargantuesques» qui rongent le pays. Il ne jouira pas d’une période de grâce, car de grandes décisions seront au rendez-vous: sujet brûlant, la levée des mécanismes de subvention sur le carburant (principale source du déficit budgétaire). Le cabinet Mikati devra mettre l’accent sur un plan visant à freiner l’effondrement du pays. Un plan qui proposerait des solutions aux problèmes de l’électricité, du carburant, de la protection des dépôts bancaires, ainsi que les réformes exigées par la communauté internationale, comme le contrôle des capitaux, l’audit juricomptable des comptes des départements officiels et de la Banque centrale. Enfin, l’organisation des élections législatives prévues au printemps 2022.

 

En conclusion, le nouveau gouvernement Mikati, qui est le fruit d’un «deal» complexe, devra affronter de nombreux défis, à l’extérieur comme à l’intérieur du pays. Le tout est de savoir si le pays du Cèdre pourra tirer son épingle du jeu de cette affaire si complexe, et éviter l’effondrement total, ou son engloutissement dans le giron iranien.

 

Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban. 

Twitter: @AliNahar

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.