Paris dégaine l’arme des visas contre le Maghreb

Des Tunisiens font la queue devant les bureaux de TLS Contact à Tunis, dans l'espoir d'obtenir un visa. (AFP).
Des Tunisiens font la queue devant les bureaux de TLS Contact à Tunis, dans l'espoir d'obtenir un visa. (AFP).
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Publié le Jeudi 30 septembre 2021

Paris dégaine l’arme des visas contre le Maghreb

Paris dégaine l’arme des visas contre le Maghreb
  • De l’aveu même des pays concernés, aucune concertation préalable, aucune information par avance n’a eu lieu entre la France et les pays du Maghreb
  • Cette spectaculaire décision française n’est pas à éloigner du contexte électoral du pays

Sans crier gare, Paris lance une véritable onde de choc sur les pays du Maghreb. Sa décision de réduire de moitié le volume des visas à ces pays a fait l’effet d’une bombe politique et diplomatique.

De l’aveu même des pays concernés, aucune concertation préalable, aucune information par avance n’a eu lieu entre la France et les pays du Maghreb. L’effet de surprise est total, à tel point que la façon dont le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a annoncé cette décision drastique renseigne sur les priorités françaises pour une telle démarche.

Il est vrai que l’affaire des blocages que rencontre l’exécution «des obligations de quitter le territoire» prononcé par la justice française n’est pas nouvelle. Elle est la réalité quotidienne des nombreux gouvernements qui se sont succédé ces dernières années. Blocage dû sans aucun doute aux mauvaises dispositions des pays du Maghreb à accueillir des personnes dont l’identité n’est pas prouvée. Blocage dû aussi aux nombreux recours légaux que la France et l’Europe garantissent aux expulsés.

Mais cette spectaculaire décision française n’est pas à éloigner du contexte électoral abrasif du pays. À sept mois d’un scrutin présidentiel où Emmanuel Macron vise un deuxième mandat, l’immigration est devenue le sujet cardinal des préoccupations françaises. Si Marine Le Pen, icône de l’extrême droite, est presque assurée d’atteindre le second tour, c’est parce qu’elle avait fait de l’immigration son principal cheval de bataille. Si le polémiste Éric Zemmour voit son étoile caracoler dans les sondages, c’est parce qu’il a intégré dans son discours l’immigré, l’Arabe, l’Africain, le musulman comme cibles principales de sa démarche dénonciatrice.

Devant cette féroce compétition, Emmanuel Macron se devait de trouver un angle d’attaque pour promouvoir l’idée selon laquelle il ne laissait pas le monopole du traitement efficace de ces questions au seul duo de l’extrême droite Le Pen/Zemmour.

Et ce n’est donc pas un hasard si réagissant à la décision française sur les visas, le ministère des Affaires étrangères marocain a eu cette charge sous forme de pique : «La gestion de la question migratoire doit être immunisée des contextes politiques internes et ne doit pas subir les conjonctures politiques et électorales.»

Cette décision française de baisser le nombre de visas accordés aux Maghrébins soulève trois interrogations essentielles. 

La première est de savoir si cette sanction est de nature à réaliser les objectifs pour lesquels elle a été dressée. Qui peut imaginer que des pays comme l’Algérie, la Tunisie ou le Maroc, dont certains avaient des réticences structurelles, vont subitement changer de comportement uniquement parce que Paris a froncé les sourcils en ayant recours à la menace des visas?

La deuxième est l’impact immédiat d’une telle décision. Réduire aussi drastiquement la voilure pour les étudiants, les chercheurs, les artistes, les créateurs, les hommes d’affaires qui visitent la France n’est pas forcément une bonne affaire économique et stratégique pour Paris. Cette décision est prise alors que de nombreuses forces hostiles à la France et à la francophonie sont à l’œuvre dans ces pays et militent ouvertement pour remplacer la langue et la culture françaises, si enracinées dans le Maghreb, par l’anglais.

La troisième problématique est européenne. Paris a décidé de réduire les visas accordés sans concertation affirmée avec ses homologues européens. Est-ce à dire que les autres capitales de l’Europe vont devoir suivre ce régime minceur sur le visa? Dans le cas contraire, le plus probable, la décision française ne sera qu’un gigantesque coup d’épée dans l’eau, le visa dit «de Schengen» étant valable sur l’ensemble du territoire européen.

Il n’est d’ailleurs pas certain que la France puisse maintenir ce rythme famélique d’octroi de visas à ces pays du Maghreb, sauf à croire qu’elle a pris la décision stratégique de sacrifier la qualité humaine et économique de ses relations avec la rive sud de la Méditerranée. Et parce que personne de sensé ne peut croire à une telle hypothèse, il paraît clair que cette déflagration politicienne française sur le Maghreb à propos des visas n’aura comme temps de survie que celui de remplir une mission électorale. Cette mission consiste à montrer que le président Macron, loin de céder sur le régalien comme l’en accusent ses adversaires, est un homme de poigne capable de prendre des décisions fermes pour apporter des réponses à des plaies de société chroniques.

Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Il tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.

Twitter : @tossamus

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.