Entreprendre dans le Golfe: des barrières culturelles et psychologiques?

La capitale de Bahreïn, Manama. (Photo, AFP)
La capitale de Bahreïn, Manama. (Photo, AFP)
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Publié le Jeudi 14 octobre 2021

Entreprendre dans le Golfe: des barrières culturelles et psychologiques?

Entreprendre dans le Golfe: des barrières culturelles et psychologiques?
  • Les différents plans de développement stratégiques lancés et promus dans les monarchies du Golfe valorisent énormément l’entrepreneuriat
  • La société du Golfe peut paraître un peu trop figée pour favoriser la «disruption» nécessaire à l’innovation

Les différents plans de développement stratégiques lancés et promus dans les monarchies du Golfe valorisent énormément l’entrepreneuriat: cette valeur, volontiers affichée, vise à pousser les ressortissants de ces pays, particulièrement les jeunes, à se lancer et à créer leurs entreprises.

Cela semble a priori une bonne chose, tant l’entrepreneuriat et la création de richesses sont valorisés, socialement et politiquement: anthropologiquement, cela s’explique par la situation de la région, au carrefour de l’Orient et de l’Occident, et par l’attrait pour le commerce. Après tout, le Prophète de l’islam était lui-même un commerçant, ce qui montre que la valorisation sociale du statut de créateur de richesse remonte à une période très lointaine.

Toutefois, cet essor de l’entrepreneuriat n’est pas si évident et le décollage des créations d’entreprises, s’il est indéniable, ne se fait pas sur des bases très solides. Une récente étude menée sur 500 Bahreïniens a cherché à vérifier si les sociétés du Golfe et les gouvernements étaient perçus comme suffisamment favorables à l’entrepreneuriat. Les résultats de cette enquête permettent de mieux comprendre où se situent les problèmes et comment les résoudre.

Une population enthousiaste face à l’entrepreneuriat, mais un peu frileuse devant le risque

D’abord, les Bahreïniens sont 56% à estimer qu’être un entrepreneur est plus gratifiant socialement qu’être un salarié, ce qui confirme l’image d’une culture naturellement orientée vers le commerce, l’innovation et la création de richesse. De même, 65% voudraient être leurs propres patrons et 80% rêvent de créer leur propre richesse. D’un autre côté, les Bahreïniens interrogés ne se définissent qu’à 36% comme des personnes qui aiment prendre des risques, ce qui peut doucher quelque peu leurs espoirs de créer leur entreprise.

Une culture qui ne pousse pas à l’entrepreneuriat

Entreprendre, c’est prendre un risque, mais c’est aussi, souvent, bousculer un ordre établi, une hiérarchie. La société du Golfe peut donc paraître un peu trop figée pour favoriser la «disruption» nécessaire à l’innovation. Ainsi, pour 47% des personnes interrogées, il faut obéir à son supérieur sans poser de questions. 54% estiment que le pouvoir est concentré dans les mains de l’échelon exécutif, 39% que le système économique est conçu pour aider au bien collectif, et 40% considèrent que les leaders favoriseront le bénéfice collectif au risque de frustrer les ambitions individuelles. Ces opinions ne sont pas tranchées, mais elles laissent entrevoir un problème culturel avec, notamment, l’importance de la notion de hiérarchie, qui peut freiner l’appétit de l’entrepreneur. Par ailleurs, 28% pensent que l’esprit de compétition n’est pas une valeur individuelle dans le Golfe.

Un pouvoir qui doit accompagner et sécuriser

La troisième partie du questionnaire porte sur la perception des aides gouvernementales et de l’accompagnement des pouvoirs publics ainsi que sur la possibilité concrète pour les personnes interrogées de pouvoir lancer et financer une entreprise. Ainsi, seulement 19% d’entre elles estiment qu’elles peuvent lever des fonds pour financer un projet facilement. De même, seuls 16% pensent que leur propre famille dispose d’une culture entrepreneuriale.

Autrement dit, il y a une volonté d’entreprendre, mais les Bahreïniens sollicités se trouvent souvent face à des obstacles qui les handicapent plus qu’autre chose. C’est en prenant en compte ces données que les gouvernements peuvent tenter de réagir. Ainsi, lorsqu’on leur demande si les politiques gouvernementales sont favorables à l’entrepreneuriat, 34% sont d’accord et 13% ne le sont pas; il reste donc plus de 50% des personnes interrogées qui n’apportent pas de réponse.

En revanche, ils sont 54% à estimer que le gouvernement produit des politiques publiques qui peuvent aider les entrepreneurs. Toutefois, ils sont 27% à penser que l’environnement fiscal est stable et 29% à affirmer qu’il est facile d’obtenir les autorisations nécessaires pour lancer une entreprise. 47% répondent que les subventions de l’État pour les entrepreneurs sont intéressantes, contre 5% seulement qui pensent qu’elles sont inefficaces.

Cette étude est assez représentative du dilemme que rencontrent les habitants du Golfe face à l’entrepreneuriat. On y trouve des personnes motivées, prêtes à se lancer, mais une culture jugée trop pyramidale et conservatrice bride les élans individuels. Le rôle du gouvernement, dans ce cas, est de compenser cette difficulté culturelle. Il semble que, financièrement, cela soit le cas, mais que les points sur lesquels il est attendu soient ceux de la sécurité, en termes de législation, et la stabilité fiscale. Plus que d’argent, les entrepreneurs ont besoin d’un environnement stable et sécurisant. Les monarchies du Golfe gagneront donc à intégrer ces données dans leurs plans stratégiques pour atteindre leurs objectifs en termes d’entrepreneuriat.

 

Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.

TWITTER: @LacheretArnaud

NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.