Pourrait-on voir le gaz à 2 dollars américains (1 dollar = 0,85 euro) en Europe en 2020? C'était là le titre d'un commentaire analytique publié sur le site web de l'Oxford Institute of Energy Studies en octobre 2019.
À peine deux ans plus tard, le prix du gaz est à un point charnière de 7 dollars. Que s'est-il passé pour rendre cette question superflue?
En 2019, les deux prix de référence européens du gaz – le UK National Balance Point (NBP) britannique et le Title Transfer Facility (TTF) néerlandais – sont passés en dessous de 4 dollars pour 1 million de British thermal units (Mmbtu) – unités thermiques britanniques –, alors que l'offre excédentaire de gaz naturel liquéfié (GNL) des États-Unis déferlait sur le marché européen.
Les prix du gaz naturel en Europe ont commencé à augmenter lentement à partir de décembre 2020 et, en avril 2021, ils avaient déjà atteint le niveau d'octobre 2019 (environ 7 dollars pour 1 Mmbtu, soit 20 euros pour 1 MWh). Cependant, le prix ne s'est pas stabilisé par la suite et le marché s'est encore resserré. D'avril à octobre 2021, le prix des contrats à terme TTF pour une livraison en novembre 2021 a bondi de plus de 350%.
Le 1er octobre 2021, les prix des contrats à terme du gaz pour le Royaume-Uni et TTF, pour une expédition en novembre 2021, ont clôturé à 33 dollars et 32 dollars par Mmbtu, comparativement aux prix de clôture de 7 dollars et 6,5 dollars par Mmbtu respectivement, le 7 octobre 2021.
Deux ans après la spéculation selon laquelle le gaz pourrait chuter à 2 dollars, se pose maintenant la question la plus pertinente, compte tenu de la hausse exponentielle des prix: pourrions-nous voir le gaz à 50 dollars en Europe en 2022?
L'une ou l'autre des réponses à cette question comporte des conséquences inquiétantes. Si le prix continue d'augmenter, est-ce à cause de facteurs fondamentaux que le marché de l'énergie doit encore admettre et rationaliser?
À l'inverse, si le coût n'est qu'une parenthèse temporaire, le monde doit-il se préparer à l'éclatement d'une bulle qui pourrait déclencher une nouvelle situation de crise sur l'un ou l'autre des marchés de l'énergie? Alors que l'économie mondiale se remet encore sur pied après la pandémie, un crash alimenté par l'énergie pourrait porter un coup fatal aux États fragiles.
Kirill Bakhtin, analyste pétrolier et gazier auprès de Sinara Financial Corporation, basée à Moscou, a codirigé un rapport sur le secteur gazier russe qui a été publié le mois dernier.
Il a déclaré à Arab News qu'il était plus difficile d'effectuer un bilan de santé sur le marché mondial du gaz, car celui-ci est plus fragmenté et offre moins d'informations que le marché pétrolier.
Cependant, Bakhtine a signalé la baisse dans les inventaires des stocks de gaz européens depuis juillet – chutant en dessous de la moyenne des cinq dernières années – comme sujet de préoccupation.
Bakhtine a déclaré qu'il y avait une «combinaison de plusieurs facteurs» derrière la hausse spectaculaire des prix du marché du gaz, expliquant: «Premièrement, la reprise économique après la pandémie, et deuxièmement, la grande chaleur en été cette année qui a nécessité davantage d'électricité pour la climatisation.»
«De plus, la production de gaz en Europe au premier semestre de 2021 n'a pas augmenté par rapport au premier semestre de 2020, car sur un certain nombre de champs au Royaume-Uni et en Norvège, les délais d'achèvement des travaux de maintenance avaient connu un retard.»
Un autre facteur important a été la baisse des apports de GNL en Europe, les marchés asiatiques étant tout simplement prêts à payer plus cher pour le gaz.
Ces facteurs combinés ont vu la demande en Europe au premier semestre de 2021 augmenter de 14%, tandis que la production nationale chutait de 11% et les importations de GNL chutaient de 16%.
«Bien que les importations totales de gaz de l'Europe aient augmenté de 13% au cours du premier semestre de 2021, cela n'a pas suffi à compenser la croissance de la demande ainsi que les pertes dues à la production temporairement suspendue», a précisé Bakhtine.
Les contrats à terme pour le gaz TTF sur l'Intercontinental Exchange montrent que les chiffres pour une expédition en novembre 2021 ont plus que quintuplé depuis le début de l'année, passant de 17,6 euros à 94 euros pour 1 MWh.
Entretemps, les prix d'expédition en octobre 2022, arrivant après la fin de la prochaine saison de chauffage 2021/2022, se situent actuellement au niveau de 44 euros, ce qui représente une croissance plus modérée x2,8 depuis le début de l'année.
Bakhtine fait valoir que cela montre que le déficit de gaz, bien qu’apparemment de moindre importance que cette année, se poursuivra jusqu'en 2022.
Il a également affirmé que le prix croissant du pétrole par rapport à 2018 «nous permet de prévoir un prix du gaz relativement plus élevé, en partant de l'hypothèse que les prix de ces deux vecteurs énergétiques sont en corrélation».
La vision à long terme de Sinara pour le prix TTF est de 300 dollars par 1 000 mètres cubes.
Quant au GNL américain, dont le prix est actuellement de 5,2 dollars pour 1 Mmbtu sur Henry Hub, il joue le rôle de facteur d'équilibre sur le marché mondial du gaz, selon Bakhtine. Les frais d'expédition incluant son coût actuel en Europe devraient être de 11 dollars pour 1 Mmbtu, mais à plus long terme, son coût de livraison sur le marché européen devrait tomber à 8 dollars pour 1 Mmbtu, selon les prévisions de Sinara.
Le 30 septembre, le Japan-Korea-Marker (JKM), une référence pour les contrats Spot de GNL en Asie, est passé à 34,47 dollars par Mmbtu, soit 100,3 dollars par 1 MWh, ce qui constitue toujours un avantage par rapport au TTF. Cela signifie que les vendeurs américains de GNL seront toujours plus incités à diriger leurs expéditions vers l'Asie plutôt que vers l'Europe.
«Selon nos estimations, a conclu Bakhtine, le prix du gaz en Europe est actuellement à son sommet et diminuera progressivement en 2022-2023, tout en restant encore assez élevé.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com