L'ultimatum de Mahmoud Abbas montre que les Palestiniens ont atteint un point de rupture

Mahmoud Abbas prend la parole devant l'Assemblée générale des nations unies, à New York, le 24 septembre 2021. (Reuters)
Mahmoud Abbas prend la parole devant l'Assemblée générale des nations unies, à New York, le 24 septembre 2021. (Reuters)
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Publié le Lundi 18 octobre 2021

L'ultimatum de Mahmoud Abbas montre que les Palestiniens ont atteint un point de rupture

L'ultimatum de Mahmoud Abbas montre que les Palestiniens ont atteint un point de rupture
  • La situation des Palestiniens a atteint un point de rupture, et M. Abbas en porte une part de responsabilité
  • L'administration Biden refuse d'agir pour mettre un terme au conflit israélo-palestinien; elle ne s'est même pas prononcée en faveur d'une «feuille de route» pour tenter de trouver une solution

Le président palestinien, Mahmoud Abbas, n'avait que 10 ans lorsque les Nations unies ont été créées. Lors de la 76e Assemblée générale de cette organisation, qui s’est tenue au cours du mois dernier, il a lancé un ultimatum audacieux: dans un délai d'un an, Israël doit se retirer des territoires palestiniens qu'il occupe depuis 1967, dont Jérusalem-Est, sans quoi les Palestiniens ne reconnaîtront plus Israël sur la base des frontières de 1967 et le poursuivront devant de la Cour internationale de justice.

À l'instar de la moitié des Palestiniens, voire davantage, M. Abbas est un réfugié. Il détient toujours le certificat de propriété des terres qui appartiennent à sa famille dans ce qui constitue aujourd'hui la ville israélienne de Safed; ce certificat est inscrit dans les registres des Nations unies, comme il l'a lui-même souligné.

Les Palestiniens ne sont guère responsables de cette situation, selon lui. «À ceux qui prétendent que les Palestiniens ne sont pas favorables à la paix et que nous veillons à “passer à côté de toutes les opportunités qui s'offrent à nous”, je dis: je vous défie de prouver que nous avons rejeté, ne serait-ce qu'une seule fois, une initiative de paix sérieuse et authentique.»

Force est de souligner que les dirigeants arabes ont souscrit aux «trois non» (non à la paix avec Israël, non à la reconnaissance d'Israël et non aux négociations avec Israël) au lendemain de la guerre des Six-Jours, plus précisément en septembre 1967. Mais les choses ont bien changé. Le Premier ministre palestinien, Mohammed Shtayyeh, l'a dit récemment: ce sont les Israéliens qui refusent désormais de dialoguer avec M. Abbas, de s'engager dans des négociations de bonne foi ou de reconnaître l'État de Palestine.

En revanche, M. Abbas défend que les Palestiniens sont «désireux d'œuvrer tout au long de cette année pour délimiter les frontières et régler les problèmes liés au statut final des territoires, sous les auspices du Quartet pour le Moyen-Orient (les Nations unies, les États-Unis, l'Union européenne et la Russie) et dans le respect des résolutions des Nations unies. Néanmoins, il faudra mettre un terme à l'occupation israélienne dans un délai d'un an.

Bien entendu, ce scénario ne convient pas aux dirigeants israéliens, et il est peu probable que leurs partenaires américains les contraignent à y adhérer. Lors de la visite du Premier ministre israélien, Naftali Bennett, à la Maison Blanche, le mois dernier, le président américain, Joe Biden, a rappelé, sans surprise, que son administration s'opposait à la construction de colonies israéliennes et a préconisé la solution à deux États.

Mais rien ne laisse présager que Joe Biden souhaite faire pression sur Israël au sujet de ces deux dossiers. Il s'en abstiendra, notamment pour éviter de briser la coalition gouvernementale fragile qui existe aux États-Unis. En effet, pour Bennett comme pour Biden, le moment n’est pas venu pour entamer des négociations directes entre Palestiniens et Israéliens. Les deux hommes souhaitent, semble-t-il, s'attaquer à la problématique de la «qualité de vie» des 5 millions de Palestiniens qui vivent sous occupation militaire sans pour autant chercher à en éliminer la cause.

La situation des Palestiniens a atteint un point de rupture, et M. Abbas en porte une part de responsabilité. Au mois d’avril dernier, il a une nouvelle fois reporté les élections législatives – prétendument en raison du litige relatif au vote à Jérusalem-Est, mais il souhaitait en réalité épargner une défaite à son parti, le Fatah – et a utilisé la force contre les manifestants. Quand un peuple vit sous l'occupation depuis tant d'années et que le processus politique se trouve paralysé, il devient forcément sinistre.

Par ailleurs, la diplomatie a laissé la place à la violence et constitue désormais le principal mode de communication entre Israéliens et Palestiniens. Au mois de mai, le Hamas a lancé des roquettes à partir de Gaza en direction des villes israéliennes. L'été dernier, des attentats à la bombe incendiaire et des actes de résistance armée contre les forces israéliennes se sont perpétrés tous les jours ou presque. Si Israël a riposté avec brutalité et efficacité, le Hamas s'est montré lui aussi prêt à se battre.

En riposte à ces actes de violence, Israël a imposé de nouvelles restrictions d'ordre économique à la bande de Gaza. En outre, il a fait savoir que la reconstruction de Gaza, à commencer par la levée du blocus illégal, était soumise à une condition: l'échange de prisonniers. Néanmoins, en refusant de faire des concessions, Israël compromet cette opération, et la tension ne cesse de croître.

Dans ce contexte, six prisonniers palestiniens se sont échappés de la prison de Gilboa, l'un des centres de détention les mieux protégés d'Israël, au début du mois de septembre. Pendant la poursuite et l’arrestation de ces prisonniers, Israël et Gaza échangeaient des tirs de roquettes. En effet, le Hamas détient deux soldats israéliens ainsi que les corps de deux autres soldats israéliens impliqués dans l'attaque menée sur Gaza en 2014. Il exige la libération des prisonniers qui se sont évadés.

Pendant ce temps, les États-Unis se tiennent à l'écart. L'administration Biden refuse d'agir pour mettre un terme au conflit israélo-palestinien; elle ne s'est même pas prononcée en faveur d'une «feuille de route» pour tenter de trouver une solution. Si les anciens présidents américains ont affecté un émissaire pour la paix entre Israël et la Palestine, M. Biden s'est contenté de nommer un secrétaire d'État adjoint pour surveiller l'évolution du conflit.

Comme les administrations américaines précédentes, celle de Biden continue cependant à inonder d'argent les Israéliens. Elle se fait désormais complice du non-respect du droit des Palestiniens à l'autodétermination. Elle sera responsable, du moins en partie, des violences qui surviendront. Comme l'a dit Abbas dans son discours devant l'Assemblée générale des nations unies, «il y a des limites à notre patience et à celle de notre peuple».

Le président palestinien espère tirer les États-Unis de leur torpeur et contraindre Israël à entamer de véritables négociations susceptibles de mettre un terme à l'occupation.

Daoud Kuttab

Cela fait des dizaines d'années que le monde entier autorise les Israéliens à occuper les terres palestiniennes. Le prétexte invoqué est celui des crimes atroces commis contre les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais cette excuse ne peut plus suffire pour assujettir les Palestiniens. Il est temps de lever le blocus imposé par Israël sur Gaza, de supprimer véritablement les colonies en vertu de la résolution 2334 du Conseil de sécurité des nations unies et d'engager de véritables négociations dans le but de faire cesser l'occupation.

M. Abbas espère progresser sur la voie de la paix avant de se retirer de la scène politique. En lançant un tel ultimatum à l'Assemblée générale des nations Unies, il espère tirer les États-Unis de leur torpeur et contraindre Israël à entamer de véritables négociations susceptibles de mettre un terme à l'occupation. Pour les Palestiniens, il s’agit du strict minimum.

 

Daoud Kuttab, ancien professeur de journalisme à l'université de Princeton, est le fondateur et l'ancien directeur de l'Institut des médias modernes à l'université Al-Quds de Ramallah. Droits d'auteur: Project Syndicate.

Twitter : @daoudkuttab

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com