Au Liban, le grand échec des dirigeants après l’explosion

Short Url
Publié le Vendredi 18 septembre 2020

Au Liban, le grand échec des dirigeants après l’explosion

Au Liban, le grand échec des dirigeants après l’explosion
  • Comparer le Liban à la Nouvelle-Zélande ne serait pas vraiment juste, pour des raisons évidentes
  • Pour mémoire, six semaines après l'explosion tragique, un seul des responsables mentionnés ci-dessus a démissionné. Aucun des autres n’a senti un peu de responsabilité ou ne s’est excusé auprès du peuple libanais

Quelques heures seulement après l'attaque terroriste de mars 2019 à Christchurch, la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern a déclaré : « La personne qui a perpétré cette violence contre nous… n'a pas sa place ici. Il n'y a pas de place parmi nous pour de tels actes de violence extrême et sans précédent. »

L'attaquant avait choisi une mosquée et un centre islamique pour commettre son crime odieux, au cours duquel il a utilisé six armes à feu, dont deux fusils semi-automatiques de type AR-15, pour tuer cinq civils musulmans pendant les heures de prière, tout en diffusant l'attaque en direct sur sa page Facebook. C'est une attaque sans précédent qui a secoué l'opinion publique dans le monde entier.

Le lendemain, Ardern – la plus jeune Première ministre à assumer ses fonctions en Nouvelle-Zélande depuis plus de cent cinquante ans et la plus jeune dirigeante mondiale de l'époque – était vêtue de noir et portait un foulard en rendant visite aux familles des victimes et aux autres membres de la communauté musulmane afin de leur présenter personnellement ses condoléances. « Tout le pays vous accompagne dans votre douleur », affirmait-t-elle.

Sa capacité à faire preuve d'empathie en tant que leader a été rapidement suivie de lois strictes destinées à interdire la plupart des armes semi-automatiques et à restreindre l'accès aux armes dans le pays. Sa promesse de demander justice pour les familles des victimes a été tenue lorsque l’agresseur, Brenton Tarrant, un suprématiste blanc, a été emprisonné à perpétuité, en août, sans possibilité de libération conditionnelle. Avec sa prise de décision définitive et ses réponses rapides face à cette tragédie sans précédent, la jeune Première ministre est devenue l'une des leaders les plus populaires de la scène politique internationale.

Comparer le Liban à la Nouvelle-Zélande ne serait pas vraiment juste, pour des raisons évidentes. Cependant, dans les jours et les semaines qui ont suivi la plus grande explosion qui ait jamais frappé la capitale libanaise – l'explosion du port de Beyrouth le 4 août, qui a fait près de 200 morts civils, des milliers de blessés, et qui a détruit plus de 300 000 maisons et entreprises –, j'ai cherché en vain une seule déclaration responsable, décisive, empathique ou indignée de la part de n'importe quel dirigeant libanais. L'absence totale de qualités des dirigeants au lendemain de la catastrophe est une autre tragédie au Liban.

J'ai donc décidé d'énumérer certaines des déclarations qui ont été faites. La plupart d'entre elles sont intervenues dans les jours qui ont immédiatement suivi l'explosion massive du port, où 2 700 tonnes de nitrate d'ammonium avaient été stockées illégalement pendant des années sans la moindre responsabilité.

Le président Michel Aoun a affirmé: « Je n’ai pas l’autorité directe pour intervenir dans le port. »

Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré de son côté : « Nous n’exploitons ni ne contrôlons le port, nous n’y intervenons pas, et nous ne savons pas non plus ce qu’il contient ni ce qui se passe dans ses locaux. »

Le Premier ministre, Hassan Diab, a annoncé pour sa part: « Je promets aux Libanais que cette catastrophe ne passera pas sans que les responsables en paient le prix. L'enquête ne prendra pas longtemps et inclura tous ceux qui sont impliqués. »

Le dirigeant du Courant patriotique libre et ancien ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, a indiqué, lui : « Les autorités ne peuvent pas dire qu’elles ne le savaient pas. Bien sûr, elles savaient… Maintenant, si le Hezbollah s’avérait impliqué dans cette explosion, bien sûr, il devrait être tenu responsable. »

L'ancien Premier ministre Saad Hariri a appelé à une enquête arabe ou internationale sur l'explosion.

Le président du Parlement, Nabih Berri, a déclaré : « Les réformes nécessaires doivent être mises en œuvre. Pour ma part, je suis désormais plus engagé dans leur mise en œuvre. »

Le chef du parti des Forces libanaises, Samir Geagea, a déclaré : « Nos démissions sont prêtes à être présentées. »

Le député Walid Joumblatt a quant à lui fait savoir: « Si nous soumettons nos démissions aujourd'hui, quelles lois électorales seront utilisées lors des prochaines élections ? Quelle est la nouvelle loi ? Nous exigeons une nouvelle loi électorale non sectaire. »

Pour mémoire, six semaines après l'explosion tragique, un seul des responsables mentionnés ci-dessus a démissionné. Aucun des autres n’a senti un peu de responsabilité ou ne s’est excusé auprès du peuple libanais. Gardez à l'esprit que tous ont occupé divers postes au sein du gouvernement depuis que le nitrate d'ammonium a été stocké pour la première fois au port en 2013.

En vérité, les déclarations ci-dessus ont tout fait pour écarter toute responsabilité directe ou toute obligation de rendre des comptes, lancer de vagues accusations à d'autres, et certains des soi-disant dirigeants ont refusé de démissionner avant d'avoir l'audace d'exiger pour leurs sièges une transition sûre dans un avenir politique proche.

En période de crise, qu'elle soit politique ou commerciale, voici les trois principales qualités qu'un dirigeant ou un chef d'entreprise doit démontrer à son peuple ou à son entreprise.

  1. La capacité à faire preuve d’empathie : non seulement avec des déclarations authentiques et compatissantes, comme celle d'Ardern immédiatement après l'attaque terroriste dans son pays, mais aussi avec la capacité d'être physiquement présent sur le terrain. Dans le cas du Liban, aucun fonctionnaire ne s’est présenté dans les rues et les quartiers détruits de Beyrouth, alors que les gens pelletaient les décombres de leurs maisons en ruines. Aucun fonctionnaire ne s’est rendu sur place pour aider les initiatives humanitaires de fortune lancées par des civils.
  2. L’aptitude à la communication : un leader qui gère une crise doit montrer sa capacité à interagir et à communiquer avec les gens. Les tenir au courant des dernière nouvelles permettra de rétablir une partie de l’inévitable perte de confiance. Dans le cas du Liban, une conférence de presse quotidienne aurait dû être tenue pour tenir les gens informés des efforts de sauvetage, de la situation humanitaire et des répercussions économiques.
  3. Le pouvoir décisionnel : un leader compatissant en temps de crise qui manque de pouvoir décisionnel échouera sans aucun doute à imposer des solutions ou à changer le statu quo, perdant ainsi la confiance de ses employés ou de son peuple. Une telle perte entraînera certainement sa disparition, ce qui pourrait bien arriver aux responsables libanais actuellement au pouvoir.

Certains dirigeants ont géré la crise en faisant des déclarations irresponsables et provocantes.

Jessy El-Murr

Aucun des chefs de parti libanais des gouvernements actuel et passé n'a réussi à montrer ces trois qualités de leadership en temps de crise et au-delà. En réalité, certains d'entre eux ont géré la crise en faisant des déclarations irresponsables et provocantes, menaçant les Libanais de la levée des subventions sur le blé ou le carburant, plongeant le pays dans un désespoir économique supplémentaire. En outre, d'autres responsables de partis ont fait ressurgir de vieilles peurs sectaires en provoquant des affrontements armés dans plusieurs régions du pays.

Du début douloureusement lent et suspect à l'enquête sur l'explosion de Beyrouth, en passant par l'audit médico-légal et financier discutable et par les questions entourant le processus d'appel d'offres, ainsi que par la visite provocante à Beyrouth du chef du Hamas Ismaël Haniyeh et ses menaces contre Israël formulées du Liban (malgré le refus officiel du ministère des Affaires étrangères de sa visite, selon les médias locaux), les responsables libanais ont réussi à montrer une qualité unique : la capacité de combiner des titres officiels excessifs avec un manque total de compétences en matière de leadership.

 

Jessy El-Murr est une formatrice certifiée en médias et une journaliste numérique multilingue qui a passé plus de dix-huit ans à écrire et à présenter des informations politiques, militaires et numériques pour des agences de presse internationales. Twitter : @jessytrends

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com