L’explosion de Beyrouth, symptôme d’un pays qui se meurt

(Joseph EID/AFP)
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Publié le Mercredi 05 août 2020

L’explosion de Beyrouth, symptôme d’un pays qui se meurt

L’explosion de Beyrouth, symptôme d’un pays qui se meurt
  • Alors que Hassan Nasrallah et ses hommes de main se cachent dans des abris fortifiés, le peuple libanais brûle sous le feu de leurs erreurs
  • La raison pour laquelle ce pays se meurt est que la souveraineté de l’Etat a été annihilée par le Hezbollah ; c’est là le vrai crime

Le Liban est une plaie béante, après l’explosion mortelle de mardi à Beyrouth. Il n’y a pas d’autre mot que la colère pour décrire ce que chacun ressent. Le Liban a appelé d’urgence à une aide humanitaire, car le pays est au bord de l’effondrement et ne peut en aucun cas surmonter une telle tragédie seul. L’appel au secours du Liban a reçu une réponse immédiate de la part de gouvernements et d’individus à travers la planète, ce qui montre encore en fois la place si particulière qu’occupe le Liban dans leurs cœurs.

Malheureusement, alors que les Libanais sont en pleine détresse, et pansent leurs blessures, ils ont déjà compris pourquoi et comment plus de 2000 tonnes de nitrate d’ammonium se sont retrouvées stockées au port de Beyrouth, dangereusement situées à proximité de zones résidentielles.

Ce qui semble à première vue être une négligence, est le résultat fatal d’un chevauchement des responsabilités, le contrôle de la sécurité du port de Beyrouth étant réparti entre le gouvernement libanais et le Hezbollah.

Protéger les intérêts du Hezbollah, et laisser le port contaminé par une corruption rampante a conduit à la perte de ces vies innocentes et à une énorme destruction. Peu de gens le savent, mais le Hezbollah contrôle de nombreux autres points sensibles et des infrastructures clé au Liban. Cela ne peut plus continuer ainsi. Il est temps de mettre un terme à la source de cette corruption et de mettre fin au contrôle et à la manipulation par le Hezbollah des institutions fondamentales du pays.

Les Libanais comprennent très bien que lorsqu’il s’agit de sécurité, le Hezbollah reste le vrai décideur. C’est la seule vérité qui ressort de ce drame. Ces fausses batailles ont méthodiquement détruit le Liban. Le Hezbollah échappe à tout contrôle, alors qu’il fait le commerce d’armes et de drogue, opprime et tue ceux qui le contestent, aliène un pays entier, et tient sa population en otage. Il contrôle le port, l’aéroport, les frontières, le gouvernement, le président, et les premiers ministres passés et présents. Il décide qui et comment récompenser dans le monde des affaires.

Alors que Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, et ses hommes de main se cachent dans des abris fortifiés, le peuple libanais brûle sous le feu de leurs erreurs. Quelles que soient les raisons de l’explosion, les hommes du Hezbollah en charge de la sécurité du port doivent être identifiés et interrogés, et l’entière chaîne de commandement tenue pour responsable. En fait, le Hezbollah doit être tenu pour responsable bien au-delà de cette explosion. Il doit être tenu pour responsable de laisser brûler le pays entier et de toujours placer ses intérêts au-dessus de ceux du pays et de ses citoyens. Cela n’est plus acceptable.

La question des responsabilités de cette immense déflagration va se régler en sacrifiant certains fonctionnaires de second ordre, afin de protéger les vrais coupables. Si s’on se fie à la situation actuelle, la responsabilité sera probablement partagée entre les institutions, et les preuves dissimulées. La vraie justice, elle, ne verra jamais le jour. Le Liban n’a plus le temps de se perdre dans des processus légaux sans fin alors que le verdict ne pourra en définitive même pas être appliqué.

Cette horrible explosion est le symptôme d’un pays qui se meurt. La raison pour laquelle ce pays se meurt est que la souveraineté de l’Etat a été annihilée par le Hezbollah. C’est là le vrai crime. Cette organisation criminelle reste incontrôlée. Elle peut dicter sa volonté, partir en guerre, décider qui mérite de récolter les fruits de la corruption et qui mérite une balle ou une bombe dans une voiture. Ses dirigeants dictent leur volonté au peuple libanais et se cachent derrière des institutions étatiques en sacrifiant des boucs-émissaires quand le besoin s’en fait sentir. Ils ont utilisé la corruption politique pour récompenser leurs partisans, mais pas seulement : ils ont aussi enrichi leurs soi-disant opposants politiques. Ces prétendus opposants – qui ont par ailleurs voté à plusieurs reprises pour valider les lois électorales proposées par le Hezbollah, ont couvert leurs actions en Syrie, et leur ont permis de prendre part au gouvernement.

En fait, tous les politiciens libanais et les élites du monde des affaires ont accepté et souvent même bénéficié de cette situation de complicité avec le Hezbollah. Ils ont accepté l’extension de la théocratie iranienne dans le pays, et l’ont aidée à gagner du terrain au Liban. Ils n’ont pas cherché les moyens de résister, mais ils ont au contraire cherché des moyens d’en bénéficier. Lorsque les Libanais ont vu une menace pour leur pays, ces élites y ont vu une opportuni.  Cependant, alors que les élites du monde des affaires et les élites politiques libanaises acceptaient les règles du Hezbollah, le Libanais moyen ne l’a pas fait et ne le fera pas. Aujourd’hui, nous devons comprendre que les traitements palliatifs ne peuvent plus continuer et que le mal doit être traité à la racine.

Alors que le pays était déjà plongé dans le chaos, le Hezbollah a tenté de se présenter comme la solution qui apporterait la stabilité et la sécurité. Certains Libanais désespérés et affamés ont même commencé à ne plus voir d’autre alternative. Mais alors que Beyrouth est détruite une fois de plus, le peuple restera-t-il cette fois silencieux ? Qu’a-t-il encore à perdre ? Le Liban ne surmontera jamais cela à moins que sa souveraineté ne lui soit rendue et que l’arsenal militaire du Hezbollah ne soit démantelé.

Garder le silence ou retarder cette demande ne fera que créer davantage de misère et de danger pour le Liban. Le Hezbollah ne se souciera jamais de servir quiconque en dehors de ses propres rangs ou des intérêts des mollahs.

En ces temps sous haute tension, on peut se demander où sont les valeureux hommes et femmes de l’armée libanaise ? Combien de temps accepteront-ils d’être considérés comme des personnes de seconde zone par ce groupe terroriste qui fait preuve d’entière négligence ? Quand écouteront-ils les voix et les cris du peuple ? Quand répondront-ils à leur appel du devoir ? S’ils craignent la division dans leurs rangs, ils devraient comprendre que plus ils attendent, plus grand sera le risque. Les marécages nauséabonds de Beyrouth ont besoin d’être assainis. Les complicités parmi les hommes d’affaires et les dirigeants politiques de Beyrouth, sous la supervision du Hezbollah, doivent cesser. Le peuple et l’armée doivent s’unir tous ensemble face à ces dangers. 

Ce à quoi est confronté le Liban va au-delà de cette horrible explosion. Il y a un temps pour la justice légale et il y a un temps pour la justice politique. Le Liban a besoin aujourd’hui de justice politique. Il lui faut une refonte totale du système du pays. Les Libanais, quelle que soit leur religion, doivent arrêter d’obéir à leurs dirigeants, en pensant qu’ils peuvent les protéger. En ce moment, le Liban n’a pas besoin d’un nouveau gouvernement, d’un nouveau président, ou d’un nouveau Parlement. Il a besoin que son armée se lève et mette en place un comité de direction qui suspendra la constitution actuelle et affrontera les vrais défis. Si un nouveau Liban devait être construit, il ne le sera pas avec l’aide internationale, il le sera seulement grâce à la volonté de son peuple et de son armée, combattant ensemble pour un avenir meilleur.

Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une société de médias et de technologie. Il est également le rédacteur d'Al-Watan Al-Arabi.

Twitter: @KhaledAbouZahr

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com