Le vote de la diaspora révèle la division nationale du Liban

Le Liban doit aller au-delà du vote des expatriés et intégrer une loi électorale dans la conception d'un nouveau système politique. (AFP)
Le Liban doit aller au-delà du vote des expatriés et intégrer une loi électorale dans la conception d'un nouveau système politique. (AFP)
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Publié le Vendredi 19 décembre 2025

Le vote de la diaspora révèle la division nationale du Liban

Le vote de la diaspora révèle la division nationale du Liban
  • Le blocage du vote de la diaspora illustre les limites d’un système confessionnel fondé sur l’équilibre permanent et la peur de perdre le pouvoir
  • Seule une refonte du système politique — notamment vers un modèle fédéral — peut offrir au Liban stabilité, souveraineté et cohésion nationale

Les Forces libanaises et le parti Kataëb ont décidé de boycotter la séance plénière parlementaire prévue jeudi. La raison principale était de protester contre le refus du président de la Chambre, Nabih Berri, d’autoriser un débat sur une proposition d’amendement de la loi électorale qui permettrait aux citoyens libanais vivant à l’étranger de voter pour l’ensemble des 128 sièges lors des élections de 2026, au lieu d’être limités à six sièges spécifiques comme le prévoit la législation actuelle. L’objectif des partis chrétiens était de faire tomber le quorum de la séance, la tactique la plus utilisée lors des votes parlementaires au Liban, et qui a déjà bloqué le fonctionnement du Parlement depuis septembre. La question du vote de la diaspora met en lumière la fracture confessionnelle créée par le système politique actuel.

Plus de 225 000 expatriés étaient inscrits dans 59 pays lors des dernières élections de 2022. Cela représente près d’un triplement par rapport à 2018. En analysant ces chiffres, on constate que les plus fortes concentrations se trouvent en France, aux Émirats arabes unis, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Mais ce n’est pas leur pays de résidence ou d’adoption qui importe — ce sont leurs comportements électoraux.

Les votes de la diaspora sont majoritairement influencés par l’appartenance confessionnelle. Les expatriés votent principalement pour des candidats du changement, un phénomène plus marqué chez les électeurs chrétiens, sunnites et druzes que parmi la diaspora chiite. On comprend ainsi pourquoi les Forces libanaises et les Kataëb s’opposent frontalement au Hezbollah et au mouvement Amal. Le déploiement de cette dynamique pro-réforme, passant de six sièges parlementaires à 128, représenterait une perte claire d’influence et de pouvoir pour ces derniers. C’est pourquoi l’objectif de Berri est d’isoler ces électeurs dans ce qui a été qualifié de « circonscription de la diaspora », afin de préserver le statu quo intérieur — ou, plus précisément, le chaos intérieur.

Un système politique confessionnel qui doit maintenir un équilibre constant est une invitation aux ingérences étrangères. 

                                             Khaled Abou Zahr

Le changement proposé concernant le vote de la diaspora, qui constitue une demande légitime des Forces libanaises et des Kataëb, révèle la persistance et la profondeur de la division nationale libanaise. Bien que la justification soit différente, il s’agit, d’une certaine manière, de la même problématique de fond que celle liée à l’octroi de droits libanais aux Palestiniens installés dans le pays dans les années 1960, ce qui avait rompu l’équilibre entre les différents groupes confessionnels.

Un système politique confessionnel qui doit maintenir un équilibre permanent n’est pas seulement une recette pour la sclérose et la stagnation, mais aussi une invitation aux ingérences étrangères et, potentiellement, à des démonstrations de force violentes. Chaque groupe cherche des soutiens pour prendre l’avantage sur les autres. C’était l’essence du rôle de l’arsenal du Hezbollah jusqu’à la dernière intervention militaire israélienne, qui l’a rendu obsolète.

Il est désormais clair que le Liban doit dépasser la seule question du vote des expatriés et intégrer une nouvelle loi électorale dans la conception d’un nouveau système politique. En bref, le Liban doit évoluer vers sa deuxième république, ou un Taëf 2.0. Espérons qu’il n’aura pas besoin de cinq constitutions comme la France, son sponsor historique, pour trouver la stabilité.

Le moment est venu, car tous les soutiens internationaux ont conclu que le système actuel ne fonctionne pas. L’émissaire américain Tom Barrack l’a dit sans détour le mois dernier : « Le Liban est un État failli. » Et en effet, il l’est. Il fonctionne grâce à l’ingéniosité de son peuple, qui a appris à contourner l’État, mais cela ne peut être soutenu dans un environnement géopolitique et économique hautement volatile.

Le peuple libanais doit exiger la mise en place d’un nouveau système politique. Je maintiens qu’au sommet de la liste doit figurer le fédéralisme. Bien que ce ne soit pas une solution infaillible, beaucoup reste à faire pour atteindre la stabilité. Cela permettrait au moins de poser les bonnes bases. Cela éviterait également les blocages actuels causés par les positions confessionnelles, comme celui entourant le vote des expatriés. Permettre aux citoyens de résoudre leurs problèmes et d’établir leurs propres règles au niveau local dissiperait les tensions et, j’en suis convaincu, rapprocherait les Libanais.

Le Liban n’est pas un État indépendant. Il reste accroché aux équilibres régionaux, qui le tiennent en laisse. 

                                              Khaled Abou Zahr

Nous devons également reconnaître que, sans les Libanais chrétiens, il n’existerait pas le même attachement nationaliste qui se développe aujourd’hui au sein d’autres communautés, comme les sunnites. Ils ont rendu le Liban unique. Nous devons le reconnaître et le célébrer — et c’est là le cœur de la question du vote des expatriés. Les chrétiens ont planté la graine de l’amour de la nation. En tant que sunnite, je suis heureux de voir aujourd’hui des jeunes de toutes confessions partager et célébrer de courtes vidéos des déclarations de courage et d’amour pour le Liban de Bachir Gemayel. Nous ne devons jamais oublier l’histoire ni ceux qui l’ont assassiné, ainsi que tant d’autres combattants pour l’indépendance.

Nous devons comprendre que le Liban n’est toujours pas un État indépendant. Il reste accroché aux équilibres régionaux, qui le tiennent en laisse, sans parler des chaînes de son système politique confessionnel. Un nouveau système politique est le seul moyen de le libérer et de lui permettre de prospérer, et le fédéralisme est la seule solution.

Les Libanais doivent également être conscients que le temps presse. Rappelons que Barrack a également déclaré que l’armée libanaise ne serait pas en mesure de désarmer le Hezbollah. De plus, durant l’été, il a averti que « si le Liban ne bouge pas, il retournera à Bilad al-Cham ». Cette remarque implique clairement que, si le Liban ne résout pas ses problèmes, il risque de retomber sous l’influence syrienne. Pire encore, certains y ont vu une possible réabsorption dans une identité syrienne élargie.

La nouvelle direction à Damas est occupée à stabiliser son propre territoire et affiche un soutien sincère à l’avenir du Liban. Malheureusement, les actions du Hezbollah pourraient devenir une invitation à l’ingérence. C’est pourquoi le véritable débat doit porter sur un nouveau système politique capable d’apporter une solution à tous les risques actuels. La voie la plus simple consiste à évoluer vers une fédération, préservant les intérêts et la prise de décision de chaque communauté tout en les unissant sous le drapeau libanais.

Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plateforme d'investissement axée sur l'espace. Il est PDG d'EurabiaMedia et rédacteur en chef d'Al-Watan al-Arabi.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com