A Calais, le père Philippe Demeestère en grève de la faim contre «l'intolérable»

Un groupe de 80 migrants monte sur l'un des canots pneumatiques pour traverser la Manche en direction de l'Angleterre dans la nuit, près de Wimereux, dans le nord de la France, le 16 octobre 2021. (AFP)
Un groupe de 80 migrants monte sur l'un des canots pneumatiques pour traverser la Manche en direction de l'Angleterre dans la nuit, près de Wimereux, dans le nord de la France, le 16 octobre 2021. (AFP)
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Publié le Mercredi 27 octobre 2021

A Calais, le père Philippe Demeestère en grève de la faim contre «l'intolérable»

  • M. Demeestère en est convaincu: «Les exilés sont une chance.» En risquant «leur peau» pour changer de vie, «ils nous sortent de notre sujétion»
  • Dans cette ville frontalière, il vit d’abord dans un meublé puis rapidement dans une maison où il loge des exilés

CALAIS: Face au "harcèlement quotidien" des migrants à Calais, Philippe Demeestère, prêtre jésuite de 72 ans, voulait "marquer un coup d'arrêt". L'aumônier du Secours catholique, qui a passé sa vie auprès des sans-abris, est en grève de la faim depuis 17 jours.


M. Demeestère doit rencontrer mercredi Didier Leschi, le patron de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), envoyé par le gouvernement pour une mission de médiation.


L'homme est assis seul sur l'une des chaises en bois de l'importante église Saint-Pierre. En polaire, manteau et bonnet, il le répète, après plus de deux semaines de grève de la faim, il "va bien". 


"Question de décence", par "pudeur pour tous les gens dehors qui ne jouissent pas des conditions formidables que j'ai moi ici", soutient cet homme aux yeux clairs. "Je fais partie des riches même si je n’ai pas un sou en poche." 


Philippe Demeestère est arrivé à Calais en février 2016 quelques mois avant le démantèlement de "la grande Jungle". Ce fut pour lui un "lieu de renaissance". 


Dans cette ville frontalière, il vit d’abord dans un meublé puis rapidement dans une maison où il loge des exilés. "On a vécu plusieurs mois à 17 l'hiver dernier", se rappelle-t-il. Sous sa légère barbe blanche, il sourit: "Les rythmes de vie sont différents, ce sont des jeunes !" 

Aux côtés d'Orban en Hongrie, Marine Le Pen fustige l'UE et la «submersion migratoire»

Contre "l'asservissement" de l'UE et la "submersion migratoire", Marine Le Pen a fait bloc mardi à Budapest avec le dirigeant ultraconservateur hongrois Viktor Orban, à l'occasion de leur premier tête-à-tête.


C'était pour la candidate du Rassemblement national (RN) un rendez-vous très attendu, un mois après la visite du polémiste Eric Zemmour, son rival potentiel mais non encore déclaré à la présidentielle française de 2022, et de sa nièce Marion Maréchal.


Escorte policière, tapis rouge, déjeuner en petit comité et conférence de presse "officielle": Mme Le Pen s'est dite "honorée" de l'accueil que M. Orban lui a réservée au monastère des Carmélites, aujourd'hui bureau du Premier ministre, surplombant le Danube. 


M. Zemmour n'avait eu, lui, droit qu'à un entretien privé.


Menacée d'être écartée dès le premier tour de la présidentielle d'avril 2022 selon certains sondages récents, Marine Le Pen a cherché à asseoir sa stature en s'affichant aux côtés du Premier ministre hongrois, défenseur des valeurs "illibérales" en Europe.


Interrogé sur le scrutin à venir, Viktor Orban s'est cependant gardé de "prendre position", "la décision revenant au peuple français".

«Brutalité idéologique»
Devant la presse, tous deux ont martelé leur message souverainiste, à quelques mois d'élections nationales délicates pour elle, très serrées pour lui.


A l'unisson de M. Orban, Marine Le Pen a vivement critiqué la "brutalité idéologique" de l'Union européenne, refusant tout principe de primauté du droit européen en référence au récent bras de fer polonais.


Et de fustiger un "pouvoir centralisé bruxellois enivré de sa propre existence, de sa puissance et de son omnipotence",  une "volonté d'asservissement" de l'Union européenne.


Dans ce contexte, les deux figures souverainistes ont prôné une alliance des nations.


M. Orban, dont le parti a quitté en mars le groupe PPE (droite) au Parlement européen, a expliqué être "en quête de partenaires pour coopérer dans cette nouvelle ère". Et le camp de Marine Le Pen est "incontournable", a-t-il dit, saluant son "soutien" inébranlable au fil des ans.


Au sujet de cette alliance des nations, la visite n'a toutefois donné lieu à aucune annonce concrète.


"Je pense que tant que les forces patriotes et souverainistes ne sont pas alliées au sein du Parlement européen, elles ont évidemment moins de poids que si nous arrivons à constituer ce grand groupe que nous appelons de nos voeux depuis déjà un certain nombre de temps", a-t-elle insisté ensuite devant la presse.


Le sujet n'a guère avancé depuis la publication, en juillet, d'une "déclaration commune" entre la candidate du RN et une quinzaine d'alliés en Europe, dont le Premier ministre hongrois.

Pas des «clones»

En attendant, Marine Le Pen a pris soin de gommer les divergences, mettant plutôt en avant la "question de l'immigration", chère aux deux responsagles.


Elle a ainsi étrillé "ce fléau dont nos nations doivent impérativement se préserver" et la "submersion migratoire que veut organiser l'UE".


Sur le reste, M. Orban est, comme Eric Zemmour et Marion Maréchal, plus libéral sur le plan économique, et plus conservateur sur le plan des valeurs sociétales que Mme Le Pen. 


Une proximité idéologique affichée par le trio fin septembre, prompt à brandir la "théorie du grand remplacement" (théorie complotiste d'un remplacement de la population européenne par une population immigrée, NDLR) sur la scène d'un "sommet de la démographie" à Budapest.


A six mois de la présidentielle, ces différences paraissent secondaires au regard de son "besoin de regonfler son image à elle", et "de dire à cet électorat tenté par Eric Zemmour que question autoritarisme, elle a aussi quelques galons", commente l'historien Nicolas Lebourg, auteur d'un essai sur "Les droites extrêmes en Europe".

«Intellectuel de terrain»
Depuis le début de sa grève de la faim, le 11 octobre, il dort sur un lit de camp dans l'église avec deux militants associatifs. En pleine campagne électorale "où la pression sur les exilés s’accentue", c'était pour lui "le bon moment" pour "marquer un coup d'arrêt", "dire ça suffit". 


"On fait des exilés un enjeu électoral et ici à Calais on s’habitue à l’intolérable. Il y a une routine des pratiques policières et les associations courent après les dommages que causent ces policiers", tance le retraité, à l'origine ces deux dernières années de l'ouverture de lieux d’accueil hivernaux pour les réfugiés.


Il en est convaincu : "Les exilés sont une chance." En risquant "leur peau" pour changer de vie, "ils nous sortent de notre sujétion".


C'est une personne "libre", un "intellectuel de terrain", "très généreux", décrit Juliette Delaplace, l'une de ses proches chargée de mission pour le Secours Catholique à Calais. 


"Entièrement mobilisé", "sans cesse auprès des plus précaires", Philippe Demeestère "a des valeurs profondes qu'il continue à cultiver", lisant beaucoup pour "réfléchir", "prendre du recul", "enrichir nos actions", ajoute-t-elle. 


Il a d'ailleurs apporté un sac de lectures en retard, mais il n'a eu le temps de relire qu'une douzaine de pages de "La Pédagogie des opprimés" de Paulo Freire.

Migrants: reprendre la «route des Balkans» pour fuir la Grèce inhospitalière

En Grèce depuis cinq ans, Mohamed Bilal n'a plus d'espoir: comme lui, de nombreux migrants et réfugiés lassés des restrictions croissantes au droit d'asile cherche à repartir, en direction de l'Europe du nord via "la route des Balkans".


"Quand je suis arrivé en Grèce en 2016, j'avais 15 ans et après toutes ces années, je n'arrive toujours pas à être régularisé", se désole ce Pakistanais de 20 ans.


Sans papiers, comme son frère, il campe près d'Idomeni, poste-frontière avec la Macédoine du Nord, à une heure de route du port de Thessalonique, la deuxième ville de Grèce dans le nord du pays.


Sa demande d'asile a été récemment rejetée comme celles de milliers d'autres migrants après le tour de vis appliqué aux politiques migratoires par le gouvernement conservateur de Kyriakos Mitsotakis, au pouvoir depuis deux ans. 


"Je risque chaque jour d'être arrêté et renvoyé dans mon pays, donc j'ai décidé de me rendre dans un autre pays européen", poursuit le jeune homme.


En mars 2016, Idomeni était devenu un cul-de-sac pour les migrants quand Skopje et les pays européens ont décidé de fermer les frontières. Athènes avait alors créé des camps pour y cantonner les milliers de migrants bloqués.


Cinq ans après, les migrants y sont de retour: dans la forêt proche d'Idomeni, des jeunes demandeurs d'asile syriens se chauffent autour d'un feu de camp, se protégeant du froid avec des couvertures et sacs de couchage.


"On veut aller s'installer aux Pays-Bas ou en France (...) trouver un travail et continuer notre vie", explique Mezit, 26 ans, originaire de Deir ez-Zor en Syrie.


Arrivé en Turquie en 2017, Mezit a été travailleur agricole puis est reparti en raison de la situation économique dégradée et il a franchi la rivière Evros pour passer en Grèce le mois dernier. Il a l'air exténué, sans presque rien à manger.

Va-et-vient constant 
A Idomeni, la voie ferrée est jonchée des boîtes de conserve, de bouteilles d'eau vides, de vêtements et de chaussures. 


"Chaque jour, des migrants se déplacent dans cette zone. Les traversées ne s'arrêtent jamais", assure un vigile embauché par la gare d'Idomeni.


Ce sont en majorité des hommes jeunes qui "ne sont rattrapés que lorsque, épuisés après des jours à tenter de traverser la frontière, ils se rendent aux autorités", dit-il.


Le gouvernement grec, de son côté, met en avant une réduction importante du nombre de migrants et réfugiés ces deux dernières années.


Pour y parvenir, le pays s'est barricadé: un mur équipé de caméras et de drones a été construit à la frontière terrestre avec la Turquie (nord-est) et les patrouilles se sont intensifiées au large des îles en mer Egée, face à la Turquie, avec l'aide de l'Agence européenne de surveillance des frontières, Frontex.


Avec comme mot d'ordre "la sécurité", Athènes a aussi durci la législation sur le droit d'asile et déclaré la Turquie comme "pays sûr" pour le renvoi des déboutés d'asile, au grand dam des ONG soutenant que les droits de l'homme n'y sont pas respectés.


Plusieurs médias ont documenté une stratégie de refoulement illégal des migrants par des unités spéciales de la police grecque, que dément Athènes. La Commission européenne a toutefois demandé une enquête sur ce sujet.


Une trentaine d'organisations humanitaires ont aussi accusé les autorités grecques d'exclure certains migrants de l'aide alimentaire dans les camps mais le ministère des Migrations a expliqué que la distribution de l'aide ne concernait pas les déboutés du droit d'asile qui "doivent quitter" les camps.


En juin, six pays de l'UE, dont la France, l'Allemagne et les Pays-Bas, ont adressé une lettre à la Commission chiffrant à plus de 17.000 les réfugiés ayant obtenu l'asile en Grèce mais repartis pour un autre pays européen faute de logement décent et du minimum vital pour vivre. 


La Grèce ne cesse de répéter que sa contribution à l'accueil des réfugiés est "substantielle" et que le fardeau doit être partagé par tous en Europe.

«Peu cadrable»
Né d'un père agent d’assurance et d'une mère au foyer, l'aumônier est le "petit dernier" d’une famille de trois. Il a grandi à Halluin, dans le Nord, à la frontière belge.


"Je suis un privilégié. Je suis parti de chez moi les mains dans les poches et je savais que j’étais armé pour la vie, indépendamment de toute richesse financière. Je me considère éternellement débiteur de tout ce que j’ai reçu", témoigne le nordiste pas avare en digressions.


Le bac en poche en 1969, "après l'avoir raté deux fois" se souvient-t-il en riant, il part deux ans en coopération militaire à Azazga, en Algérie, comme instituteur. "Peu cadrable, je ne me voyais pas revêtir l’uniforme, j’avais trouvé cette échappatoire." 


En rentrant en France, il rejoint la Compagnie de Jésus. "Je voulais travailler pour que les gens qui n’ont pas de place dans la société en trouvent une". En parallèle d'une vie aux côtés des sans-abri entre Paris, Marseille ou Nancy, il travaille comme déménageur et chauffeur de car scolaire.   


Le 1er novembre, premier jour de la trêve hivernale, Philippe Demeestère "constatera" l'arrêt ou non des expulsions de campements, l'une de ses principales revendications. Il n'en dira pas plus, mais il confesse déjà avoir "une autre cartouche".


Les députés s'apprêtent à baisser le rideau sur la partie «recettes» du budget de l'Etat

Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle. (AFP)
Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle. (AFP)
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  • Au menu lundi, la poursuite des discussions sur la justice fiscale, avec notamment des amendements sur la taxation des plus-values immobilières, ou les droits de succession
  • La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin devrait dresser un bilan des mesures adoptées jusqu'à présent

PARIS: Les députés bouclent lundi huit jours de débats sur la partie "recettes" du budget de l'Etat, sans espoir de voter sur ce premier volet mardi comme initialement prévu. Mais à l'heure où chacun dresse un premier bilan, il semble peu probable que le texte puisse trouver une majorité dans l'hémicycle.

Au menu lundi, la poursuite des discussions sur la justice fiscale, avec notamment des amendements sur la taxation des plus-values immobilières, ou les droits de succession.

La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin devrait dresser un bilan des mesures adoptées jusqu'à présent.

Les députés s'empareront mardi en séance du budget de la Sécurité sociale, rejeté en commission vendredi.

Celui-ci doit faire l'objet d'un vote solennel le 12 novembre, après lequel pourront reprendre les discussions sur le projet de loi de finances, jusqu'au plus tard le 23 novembre à minuit - les délais constitutionnels obligeant alors le gouvernement à transmettre le texte au Sénat. Le gouvernement tablait ces jours-ci sur un vote le 18 novembre pour la partie "recettes" du budget de l'Etat.

Mais d'ores et déjà le rapporteur général du Budget, Philippe Juvin (LR), anticipe son rejet: "Je ne vois pas très bien comment cette partie 1 pourrait être votée, parce qu'en fait elle ne va satisfaire personne", a-t-il dit sur LCI dimanche.

En cas de rejet de cette première partie, le projet de budget partirait au Sénat dans sa version initiale.

"Ecœurement" 

L'adoption du texte nécessiterait l'abstention des socialistes et des écologistes (et le vote positif de la coalition gouvernementale). Or rien ne la laisse présager à ce stade.

Le chef des députés PS, Boris Vallaud, a ainsi fait part dans une interview à La Tribune Dimanche de son "écœurement", après le rejet vendredi de la taxe Zucman sur le patrimoine des ultra-riches, et alors que la gauche peine de manière générale à "mettre de la justice dans ce budget".

"Si on devait nous soumettre le budget aujourd'hui, nous voterions évidemment contre, en sachant tout ce que cela implique, à savoir la chute du gouvernement", a ajouté celui dont le groupe avait décidé de laisser sa chance à Sébastien Lecornu en ne le censurant pas.

Les écologistes se montrent eux aussi sévères, vis-à-vis du gouvernement mais aussi des socialistes, dont ils semblent critiquer une quête du compromis à tout prix: "Je ne comprends plus ce que fait le PS", a déclaré la patronne des députés écolos Cyrielle Chatelain sur franceinfo vendredi soir.

Mais le texte ne fait pas seulement des mécontents à gauche. Le gouvernement a lui aussi marqué ses réticences face à des votes souvent contraires à ses avis, qui ont abouti à alourdir la pression fiscale.

"Je pense qu'il faut qu'on arrête de créer des impôts (...) Aujourd'hui, si je compte les mesures sur l'impôt des multinationales, sur les rachats d'actions, sur la taxe sur les super-dividendes et l'ensemble des amendements qui ont été votés, le taux de prélèvements obligatoires atteindrait au moins (...) 45,1% du PIB, c'est plus qu'en 2013 où il était à 44,8%", a fustigé Amélie de Montchalin vendredi soir.

"Sorcellerie fiscale" 

Le ministre de l'Economie Roland Lescure a lui mis en garde contre la "sorcellerie fiscale" et le vote de mesures "totalement inopérantes". Particulièrement dans son viseur, une "taxe Zucman" sur les multinationales censées rapporter 26 milliards d'euros, selon son initiateur Eric Coquerel, le président LFI de la commission des Finances.

Montré du doigt par la droite pour son soutien à la mesure, le Rassemblement national a assumé son vote: le président du RN Jordan Bardella a défendu sur X un "mécanisme de lutte contre la fraude fiscale des grandes multinationales étrangères".

Sur France Inter dimanche, le vice-président du RN Sébastien Chenu a cependant fustigé un budget "de bric et de broc", qui crée "beaucoup d'impôts" sans s'attaquer "aux dépenses toxiques".

Vendredi, reconnaissant les limites de la discussion budgétaire pour parvenir à une copie d'ensemble cohérente, le Premier ministre a demandé "à l'ensemble des ministres concernés" de réunir les représentants des groupes pour "essayer de se mettre d'accord sur les grands principes de l'atterrissage d'un texte pour la Sécurité sociale et pour le projet de loi de finances".

 


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.