Les services de renseignement américains ont perdu la confiance du peuple

Des militaires américains portent un enfant pour le placer en sécurité pendant l'opération d'évacuation de l'aéroport de Kaboul, au mois d’août dernier. (AFP/File)
Des militaires américains portent un enfant pour le placer en sécurité pendant l'opération d'évacuation de l'aéroport de Kaboul, au mois d’août dernier. (AFP/File)
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Publié le Dimanche 07 novembre 2021

Les services de renseignement américains ont perdu la confiance du peuple

Les services de renseignement américains ont perdu la confiance du peuple
  • La compétence des services de renseignement américains a été sérieusement ébranlée après l'effondrement du gouvernement afghan et le retrait chaotique des troupes américaines d'Afghanistan
  • D'après les autorités américaines, l'Émirat islamique d'Afghanistan compte actuellement environ 2 000 combattants de Daech-Khorasan

La compétence des services de renseignement américains a été sérieusement ébranlée après l'effondrement du gouvernement afghan et le retrait chaotique des troupes américaines d'Afghanistan, au mois d'août dernier. Les experts en sécurité et en terrorisme s'emploient aujourd'hui à déterminer les causes de cet échec et les raisons pour lesquelles la CIA et ses agences sœurs ne sont pas parvenues à détecter les intentions des talibans au cours des vingt dernières années.

On se souvient tous de ce 8 juillet, lorsque le président américain, Joe Biden, a refusé, lors d'une conférence de presse, de comparer l'évacuation de l'Afghanistan à la sortie des États-Unis du Vietnam, en 1975. «Les talibans ne sont pas l'armée du Nord-Vietnam», avait-il déclaré. «Ils ne sont pas comparables, en aucun cas, en termes de capacité. Personne ne devra être évacué par les airs du toit d'une ambassade américaine en Afghanistan. Ce n'est pas du tout comparable.» Cela n’a pas empêché les photos d'hélicoptères qui évacuaient des diplomates du toit de l'ambassade américaine à Kaboul de circuler le mois suivant.

Ces images illustrent les analyses erronées qui ont lourdement influencé les décisions et la politique du 46e président américain en Asie centrale.

Les mois ont passé. Les États-Unis font face à un embarras international considérable. Treize militaires, hommes et femmes, ont été tués par Daech-K [Daech-Khorasan, l'antenne de Daech en Afghanistan, NDLR] à l'aéroport de Kaboul. En outre, les capacités de l'une des agences de renseignement les plus puissantes du monde ont été remises en question.

Les États-Unis sont-ils davantage en sécurité désormais? Non, si l'on en croit Colin Kahl, sous-secrétaire des politiques du département de la défense. Il s’est exprimé la semaine dernière lors d'une audition devant la commission sénatoriale des services armés; à cette occasion, il a déclaré que Daech-K et Al-Qaïda pourraient être en mesure d'attaquer les États-Unis dans six mois seulement – et qu'ils avaient l'intention de le faire.

«Les services de renseignement estiment que Daech-Khorasan et Al-Qaïda envisagent de mener des attaques à l'extérieur, y compris contre les États-Unis. Toutefois, ces deux groupes sont aujourd'hui dans l’impossibilité de passer à l'acte. Il se pourrait qu’il faille de six mois à un an pour que Daech-Khorasan restaure sa capacité à mener des attaques hors d'Afghanistan», a expliqué M. Kahl aux sénateurs. Selon lui, il faudrait un an ou deux à Al-Qaida pour y parvenir.

Des analyses erronées ont lourdement influencé les décisions et la politique du président Biden en Afghanistan.

Dalia al-Aqidi

D'après les autorités américaines, l'Émirat islamique d'Afghanistan compte actuellement environ 2 000 combattants de Daech-Khorasan. Le gouvernement taliban les considère comme un ennemi mortel. Cela dit, dans l’hypothèse où Daech-Khorasan déciderait de lancer une attaque terroriste contre l'Occident, les talibans ne seraient probablement pas capables, ni désireux, de les en empêcher. Et qui pourrait compter sur ce groupe radical ou lui faire confiance?

M. Kahl a réitéré devant la commission sénatoriale des services armés que les États-Unis n'attendraient pas que les Talibans déjouent les menaces terroristes qui proviennent d'Afghanistan: «Nous ne saurions compter sur les talibans pour contrer ces menaces; nous disposerons de moyens autonomes.»

Nous ignorons à quels moyens M. Kahl fait allusion. En effet, Washington n'a pas conclu d'accords avec les États voisins de l'Afghanistan pour qu'ils accueillent les troupes américaines. En réalité, ces pays montrent bien peu de chaleur vis-à-vis des États-Unis.

Au cours de l'audition, certains sénateurs républicains ont imputé à l'administration Biden la responsabilité du pétrin dans lequel se trouve l'Afghanistan, notamment parce que le président américain a refusé de suivre les conseils de ses conseillers militaires. Ces derniers lui ont suggéré de garder en Afghanistan au moins 2 500 soldats qui poursuivraient la lutte contre les terroristes et anticiperaient toute attaque éventuelle contre l'Amérique ou contre ses intérêts internationaux.

De son côté, le sénateur Jim Inhofe rappelle que le plan de l'ancien président Donald Trump prévoyait le retrait des troupes américaines à la condition que les talibans remplissent sept conditions. Parmi ces dernières figurait le fait d’interdire à Al-Qaïda de menacer les États-Unis à partir de l'Afghanistan et d’empêcher tout groupe qui représente ce type de menace de résider dans ce pays. «Ces conditions n'ont pas été remplies. En effet, le général [Mark] Milley, président des chefs d'état-major interarmées, nous l'a confirmé: comme il a été dit lors des récentes audiences, Al-Qaïda poursuit ses activités en Afghanistan et menacera probablement les États-Unis dans un avenir très proche», indique M. Inhofe.

Les services de renseignement ont-ils caché la vérité pour assurer une couverture politique à l'administration Biden? Ou l'administration connaissait-elle la réalité et a-t-elle menti aux Américains afin de protéger les intérêts politiques de Biden? Dernière possibilité: les principales agences de renseignement ont fait fausse route, auquel cas le pays court un grand danger, ce qui encouragera tous les groupes terroristes à agir en conséquence.

Pour redonner aux services de renseignement leur crédibilité auprès du peuple, des alliés des États-Unis et de la communauté internationale, il faudra que quelqu'un dise la vérité et fournisse une explication cohérente. Sinon, le «Kabulgate» [«scandale de Kaboul», NDRL] hantera les Américains à tout jamais.

 

Dalia al-Aqidi est chercheure principale au Center for Security Policy.

Twitter : @DaliaAlAqidi

 

 NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com