Six ans après, fallait-il un procès aussi retentissant?

Salah Abdeslam a tendance à expliquer que ces attaques, commises, comme il le dit, au nom de l’islam, étaient en réalité une réponse aux interventions occidentales en Syrie contre l’État islamique. (AFP).
Salah Abdeslam a tendance à expliquer que ces attaques, commises, comme il le dit, au nom de l’islam, étaient en réalité une réponse aux interventions occidentales en Syrie contre l’État islamique. (AFP).
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Publié le Jeudi 18 novembre 2021

Six ans après, fallait-il un procès aussi retentissant?

Six ans après, fallait-il un procès aussi retentissant?
  • Les attentats du 13 novembre 2015 ont marqué le monde entier par leur violence extrême, mais aussi parce qu’ils semblaient complètement gratuits
  • Ce grand procès public et la caisse de résonance qu’il aura donnée aux propos orduriers d’Abdeslam aura procuré l’occasion de toucher aux limites de la récupération politique

Les attentats du 13 novembre 2015 ont marqué le monde entier par leur violence extrême, mais aussi parce qu’ils semblaient complètement gratuits. Il s’agissait d’une guerre de Daech contre des civils pris au hasard. Il n’y avait pas de cible apparente, à part des Français qui se trouvaient au mauvais endroit dans Paris. Hélas, le procès en cours a permis à l’un des terroristes de s’exprimer et, malheureusement, certains arguments se retrouvent un peu dans le langage courant de certaines personnes, en France et à l’étranger.

Ainsi, Salah Abdeslam a tendance à expliquer que ces attaques, commises, comme il le dit, au nom de l’islam, étaient en réalité une réponse aux interventions occidentales en Syrie contre l’État islamique. C’est un argument que l’on entend comme s’il y avait une symétrie. Or, si la France a en effet bombardé des positions militaires de Daech, pour les terroristes, ces bombardements contre un groupe terroriste seraient à mettre sur un pied d’égalité avec un massacre de civils dans les rues de Paris. En vérité, il s’agit une nouvelle fois de tenter de relativiser les actes barbares des terroristes de Daech.

Malheureusement, cet argumentaire peut fonctionner et il se trouve repris par des esprits qui ne veulent en retenir que ce qui les arrange.

Il en est de même pour une phrase que Salah Abdeslam a adressée à des familles de victimes de confession musulmane. Dans une mise en scène insoutenable, le terroriste s’excuse en prétendant que les commandos n’étaient pas censés viser les musulmans. Là encore, ce type d’arguments peut porter auprès de certaines populations fragiles. Mais depuis quand une ceinture d’explosifs choisit-elle la religion de ses victimes? Depuis quand des rafales de kalachnikovs sélectionnent-elles les croyances de leurs cibles? Et, surtout, qu’est-ce qui est supposé distinguer un musulman d’un non musulman?

Cet effet de loupe sur les propos de quelqu’un qui se sert très bien de la tribune inespérée qui lui est offerte pour servir sa propagande au nom d’un islam qu’il fantasme complètement est extrêmement dangereux.

Ce genre d’arguments, de la part d’un terroriste qui sera condamné à la peine maximale, forment une rhétorique délétère car, au fond, c’est sa parole qui est rare, pas celle des victimes. Ce sont ses mots qui se retrouvent partagés sur les réseaux sociaux, pas ceux des forces de l’ordre qui sont intervenus sur place, pas ceux du commissaire de police ni ceux de son collègue qui, pour mettre un terme à l’horreur, ont enfreint le règlement et sont entrés dans le Bataclan alors que les terroristes étaient en train de tirer.

Cet effet de loupe sur les propos de quelqu’un qui se sert très bien de la tribune inespérée qui lui est offerte pour servir sa propagande au nom d’un islam qu’il fantasme complètement est extrêmement dangereux. Le public, inconsciemment, veut entendre Abdeslam. Des activistes d’extrême gauche, comme l’avocat Juan Branco, ont même tenté de le contacter pour assurer sa défense afin de dispenser un message politique. Sa consœur Raquel Garrido parlait même de «chemin de réconciliation avec les terroristes», utilisant une formule très maladroite pour condamner les propos d’Éric Zemmour; ce dernier avait estimé que, politiquement, François Hollande n’avait rien fait pour empêcher les terroristes d’entrer sur le territoire national.

Même le diable a le droit d’être défendu. Cependant, ce genre de procès-spectacle dans lequel la parole de l’assassin est davantage diffusée que celle des victimes, dans la mesure où elles est beaucoup plus simpliste et politisée, représente un danger.

Au fond, cette dialectique d’extrême gauche qui parle de réconciliation ou qui, comme le fait le chercheur à la retraite plus que controversé François Burgat, reprend l’argumentaire d’Abdeslam selon lequel ces attaques s’expliqueraient également comme «une réponse aux bombes que la France largue en Syrie ou ailleurs et que sa diplomatie laisse pleuvoir sur Gaza» est tout simplement abjecte. Non seulement cette opinion est mensongère et ne considère pas l’épreuve des faits tels qu’ils se sont déroulés, mais ils donnent en plus autant d’armes idéologiques à ceux qui seraient tentés, un jour, d’imiter ces assassins en plongeant dans l’islam radical et dans le djihadisme.

Cette tribune n’a pas pour but de nuire aux légitimes droits de la défense; ce n’est pas son objet. Même le diable a le droit d’être défendu. Cependant, ce genre de procès-spectacle dans lequel la parole de l’assassin est davantage diffusée que celle des victimes, dans la mesure où elle est beaucoup plus simpliste et politisée, représente un danger.

Il appartient donc à ceux qui entendent ces paroles de ne pas tomber dans le piège. Un homme, ça s’empêche. Un avocat, un activiste ou un chercheur à la retraite, ça s’empêche également.

Ce grand procès public et la caisse de résonance qu’il aura donnée aux propos orduriers d’Abdeslam aura procuré l’occasion de toucher aux limites de la récupération politique. Espérons que le dégoût qu’auront inspiré ces pratiques suffira à modérer leurs auteurs lorsqu’ils auront de nouveau l’occasion de s’exprimer sur le sujet.

Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.

TWITTER: @LacheretArnaud

NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.