La France devrait se demander: « Que signifie être français ? »

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Publié le Dimanche 21 novembre 2021

La France devrait se demander: « Que signifie être français ? »

La France devrait se demander: « Que signifie être français ? »
  • L'Élysée a déclaré que le bleu d’un ton plus foncé est plus percutant et plus élégant, mais il existe aussi un aspect politique à ce changement
  • Habituellement, le retour d'un pays à ses racines révèle un malaise avec le présentLe président français Emmanuel Macron a changé la nuance de bleu sur le drapeau français, bien qu'apparemment, le changement ait été fait en 2020 sans que personne ne s'en

Le président français Emmanuel Macron a changé la nuance de bleu sur le drapeau français, bien qu'apparemment, le changement ait été fait en 2020 sans que personne ne s'en rende compte. L'Élysée a déclaré que le bleu d’un ton plus foncé est plus percutant et plus élégant, mais il existe aussi un aspect politique à ce changement. Le drapeau tricolore arbore désormais le bleu de la Révolution française, par opposition au bleu du drapeau de l'UE. Pourquoi les Français cherchent-ils aujourd'hui à se distinguer du reste de l'Europe en ayant leur propre bleu et en se conformant à leur histoire propre ? Habituellement, le retour d'un pays à ses racines révèle un malaise avec le présent.

Une manifestation plus aiguë de ce malaise est la montée du sentiment anti-immigration et anti-islam en France, représenté par un candidat probable à l'élection présidentielle de l'année prochaine, Eric Zemmour. Il a plaidé pour que les citoyens français ne soient pas autorisés à nommer leurs enfants Mohammed. Étant lui-même fils d'un couple juif algérien venu en France pendant la guerre franco-algérienne, l’argument qui sous-tend les propos de Zemmour est qu’ "à Rome, faites comme les Romains". Ainsi, un immigré devrait oublier son origine et s'intégrer totalement dans la société française. Mais qu'est-ce qu'être Français ?

Un ancien ministre français que j'ai rencontré récemment m'a dit que, quand on n'est pas à l'aise avec soi-même, il est difficile d'être à l'aise avec les autres. A la fin de l'ère coloniale, de nombreux immigrés venus des anciennes colonies françaises d’Afrique sont venus en France. La norme consistait alors à s’assimiler, à oublier son héritage, son nom et sa religion, et à embrasser la culture et les normes françaises. Depuis, la société française a évolué et les concepts de diversité, de pluralité d'opinions et d'acceptation de l'autre se sont développés. De là est né le concept d'intégration, mais qu'est-ce que cela signifie ? Que signifie être Français ?

Sur cette question, Zemmour ramène les gens au temps où les immigrés ne posaient aucun problème parce qu'ils étaient assimilés, où ils n'étaient plus immigrés parce qu'ils étaient devenus français. Aujourd'hui, les immigrés sont « l'autre » qui pousse les Français à vouloir définir leur identité, d'où le malaise que ces derniers éprouvent en leur présence. Encore, qu'est-ce qu'être Français aujourd'hui ? Que signifie être français au cœur de la mondialisation et de la construction européenne ? En l'absence d’une réponse claire, des gens comme Zemmour apparaissent et répondent à l'insatisfaction des gens par rapport à leur présent et à leur anxiété face à l'avenir.

De nombreux facteurs ont contribué à ce malaise national. L'aspect économique en est un. La structure socio-économique française est faite de paradoxes. Elle est à la fois socialiste et élitiste, ce que les Français appellent sarcastiquement « la gauche caviar ». Bien qu'elle soit censée être socialiste, assurant une égalité des chances, elle favorise une certaine classe. Le modèle économique ne parvient donc pas à fournir ce qu'il promet aux citoyens. Et c'est ici que réside l’une des sources de l’insatisfaction française.

Des gens comme Zemmour apparaissent et répondent à l'insatisfaction des gens par rapport à leur présent et à leur anxiété face à l'avenir.

 

Dr. Dania Koleilat Khatib

Lorsque le président Macron a annoncé cette année qu'il fermerait l'École nationale d'administration, les gens ont levé les sourcils. L'école phare qui forme les fonctionnaires de la fonction publique a dû fermer, mais Macron avait de bonnes raisons de le faire. L'ENA représente l'élitisme dont souffre la société française. L'élitisme a été institutionnalisé par des entités comme l'ENA, d'où la décision d’abolir cette école.

Mais, malgré les tentatives du gouvernement Macron de remédier au malaise national, la politique de celui-ci en a été affectée. Le président centriste, qui a montré de la sympathie envers les immigrés lors de sa campagne et a même exprimé sa culpabilité par rapport au passé colonial de la France, devient de plus en plus à droite pour répondre à un changement de l’humeur publique. Le discours du président français a pris une tournure plus anti-islamique et de droite, y compris ses commentaires sur des caricatures offensantes pour les musulmans et son refus de s'excuser auprès de l'Algérie pour les actions coloniales de la France dans ce pays.

Se pose aussi la question de la laïcité. Les Français adhèrent fortement à la laïcité –  une séparation claire de la religion et de l'État –. Et beaucoup d'entre eux voient la laïcité, l'un des fondements de la République, s'éclipser à cause des nouveaux arrivants. La laïcité a émergé en Europe à la suite de guerres de religion sanglantes, après quoi il a été décidé que la religion était un facteur qui divisait les gens plutôt qu'il ne les unissait. La laïcité est également apparue comme un rejet de l'autorité de l'Église. Avec le temps, la religion est devenue quelque chose de marginal pour beaucoup en Europe, alors que ce n'est pas le cas pour un grand nombre d'immigrés, pour qui la religion est ce qui les guide dans leur vie quotidienne.

Selon la loi française, il ne faut pas révéler son appartenance ethnique ou sa religion. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Qu’on ne devrait pas rechercher les produits halal ? Qu’on ne devrait pas porter le hijab ? Ces petites pratiques font-elles des « non-français ? » Etre Français est une question d'apparences ou une question de valeurs ? Est-ce à propos du nom que les gens donnent à leurs nouveau-nés ou à propos des valeurs qu'ils transmettent à leurs enfants ? Quelles sont les valeurs que des gens comme Zemmour et Marine Le Pen pensent être françaises ? Ou, plus précisément, quelles sont les valeurs qui font un « vrai » Français ?

Si le fait d’être Français revient à rejeter son héritage et ses croyances religieuses et adopter un mode de vie rigide défini par l'État, qu'est-ce qui différencie alors la France, qui est une démocratie, d'une autocratie communiste comme la Chine qui impose une conformité sociétale ? Les pays européens et démocratiques ne condamnent-ils pas les pays musulmans qui obligent les femmes à porter le hijab parce qu'ils y voient une transgression à leur liberté personnelle ? Forcer les femmes à retirer leur hijab pour qu'elles soient acceptées comme des citoyennes égales n'est-ce pas aussi une transgression à leur liberté personnelle ? Cette conditionnalité proposée par des gens comme Zemmour fera-t-elle de ces immigrés de meilleurs citoyens français ? Leur donnera-t-elle un meilleur sentiment d'appartenance à la France ? Il est allé jusqu'à dire qu'il renverrait les enfants migrants non accompagnés dans la patrie de leurs ancêtres. S'il est élu, pourra-t-il le faire ? Et s'il le fait, peut-on toujours dire que la France est une démocratie qui respecte les droits de l'homme ?

En fin de compte, il n'est pas question de Zemmour, Le Pen ou Macron, mais d'une nation qui devrait se regarder dans le miroir et se demander : « Qui sommes-nous et qu'est-ce que cela signifie vraiment d'être Français ?

 

Dr. Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes avec un accent sur le lobbying. Elle est co-fondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la diplomatie dite de la deuxième voie (Track II). Elle est également chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour la politique publique et les affaires internationales de l'Université américaine de Beyrouth.

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