«27 morts mais combien ont réussi ?»: à Calais, le rêve anglais plus fort que la tragédie

Des membres d'associations d'aide aux migrants se rassemblent à côté d'une pancarte indiquant le nombre de morts (303) et les noms des disparus, place Richelieu à Calais, le 25 novembre 2021. Au moins 27 migrants sont morts le 24 novembre en traversant la France vers l'Angleterre lorsque leur bateau a coulé au large du port de Calais, ont déclaré les autorités françaises, la catastrophe la plus meurtrière depuis que la Manche est devenue une partie importante de la route des migrants. FRANCOIS LO PRESTI / AFP
Des membres d'associations d'aide aux migrants se rassemblent à côté d'une pancarte indiquant le nombre de morts (303) et les noms des disparus, place Richelieu à Calais, le 25 novembre 2021. Au moins 27 migrants sont morts le 24 novembre en traversant la France vers l'Angleterre lorsque leur bateau a coulé au large du port de Calais, ont déclaré les autorités françaises, la catastrophe la plus meurtrière depuis que la Manche est devenue une partie importante de la route des migrants. FRANCOIS LO PRESTI / AFP
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Publié le Vendredi 26 novembre 2021

«27 morts mais combien ont réussi ?»: à Calais, le rêve anglais plus fort que la tragédie

  • «On sait que c'est vraiment risqué de traverser sur des bateaux, tout le monde le sait ici, mais c'est le risque, ça ne me décourage pas»
  • «C'est très triste mais c'est la vie ici à Calais, des personnes meurent en traversant, des personnes ratent et des personnes passent»

CALAIS : Emmanuel D'Mulbah hausse les épaules. Le Libérien a bien le "cœur brisé" par le naufrage qui a coûté la vie à 27 migrants mercredi dans la Manche. Mais dès que la mer se calmera, il la prendra à son tour: "C'est mon rêve" de rallier l'Angleterre.


"C'est démoralisant, je suis effrayé, mais je continuerai" à tenter cette traversée risquée en "small boat", explique-t-il à l'AFP, planté en ce jeudi matin avec ses baskets en toile dans la boue de Calais, où il vit dans l'espoir de passer côté anglais.


Il y a deux jours, il avait tenté une première fois sa chance, mais les passeurs avaient entassé 23 personnes dans son bateau pneumatique prévu pour 12 et l'équipée a été appréhendée par la police avant même d'avoir pu prendre le large.


"On sait que c'est vraiment risqué de traverser sur des bateaux, tout le monde le sait ici, mais c'est le risque, ça ne me décourage pas", raconte-t-il, lors d'une distribution alimentaire dans cette ville-frontière avec le Royaume-Uni.


De là, comme du reste du littoral nord, les tentatives de traversée vers la Grande-Bretagne à bord de petites embarcations ont explosé depuis 2019. 

«Ils étaient avec moi»
Les migrants morts dans un naufrage mercredi seraient partis, plus au nord, de Dunkerque. Leur embarcation s'est-elle dégonflée ? Ont-ils été percutés ?


Les circonstances du drame, qui secoue l'Europe, ne sont pas encore éclaircies, mais Mohamed, un Syrien de 22 ans, affirme être l'un des derniers à les avoir côtoyés: "Ils étaient avec moi ici à Calais il y a trois jours encore".


"Ils étaient Kurdes irakiens, Iraniens et Afghans. On a vécu dans les campements, dans la rue, on a même dormi dans la gare de Calais. Il y a trois jours, le groupe nous a dit +on part en Angleterre+, et ils sont partis", assure-t-il, entouré de plusieurs compatriotes qui opinent du chef.


"Hier, c'était très dangereux" de traverser, regrette-t-il. "Moi je n'essaierais pas dans ces conditions. En plus ils ont pris la mer sans équipement", dit-il.

(Photo, AFP)


A Grande-Synthe, ville du littoral proche du lieu de départ possible des naufragés, Armat vit dans un camp sous une route départementale. C'est ici, affirme cet Irakien de 28 ans, que certaines des victimes ont passé leurs dernières nuits, près d'un canal.


Lui aussi a déjà tenté plusieurs fois la traversée, souvent au départ de Loon Plage. Lui aussi continuera d'essayer, car il n'a "nulle part ailleurs où aller". 

«Destin»

Il a déjà payé 3.500 euros aux "boss", comprendre aux passeurs, qui lui ont dit qu'ils allaient faire profil bas "quelques jours", après la tragédie. 


En chaussettes dans la boue, Mohamed, 22 ans, est lui aussi prêt à se remettre à l'eau, malgré la peur.


"C'est comme ça, c'est la vie", lâche-t-il.


Des mots qui reviennent comme un refrain, de Calais à Grande-Synthe, où rien ne semble pouvoir briser les rêves de Grande-Bretagne de ces exilés souvent en bout de course, en Europe.


"C'est très triste mais c'est la vie ici à Calais, des personnes meurent en traversant, des personnes ratent et des personnes passent. C'est tous les jours comme ça. Ça ne me décourage pas et je ne suis pas effrayé, parce que c'est mon destin", philosophe même Osman, un Soudanais de 25 ans.


Caché le long d'un terrain broussailleux de la ville limitrophe de Coquelles, Samir, un Tchadien de 17 ans, porte toujours les mêmes vêtements mouillés que la veille: il a tenté sa première traversée mercredi, comme les naufragés. Il a eu la "chance" que le moteur de son zodiac ait pris l'eau, qu'il ait dû faire demi-tour avec ses compagnons d'infortune.


Dans sa tente posée sur une palette en bois, le long d'un grillage barbelé où pullulent les rats, il n'hésite pas une seconde: "j'aurais pu mourir, mais je recommencerai demain. Regarde autour de moi. On a quoi d'autre, ici ?"


"On est tous là avec le même rêve. Que ce soit caché dans un camion, par bateau, ou même à la nage, je passerai", promet Abdo Mohamed, un autre Soudanais de 23 ans. "Et puis, vous nous parlez tous des 27 morts, mais combien ont réussi ? Des milliers !"

Naufrage de la Manche : Paris et Londres plus que jamais dans la tourmente 

PARIS : Le naufrage dramatique d'une embarcation de migrants dans la Manche plombe un peu plus une relation déjà exécrable entre Paris et Londres, plus que jamais au défi de trouver une réponse commune dans la crise migratoire qui les oppose.


Cette tragédie qui s'est soldée mercredi par la mort de 27 hommes, femmes et enfants, "va accroître les tensions puisque chacun se renvoie la balle", estime Antoine Capet, professeur à l'Institut d'études anglophones de l'Université de Rouen (ouest de la France).


Le Premier ministre britannique Boris Johnson, qui a fait de la lutte contre l'immigration son cheval de bataille dans la foulée du Brexit, a aussitôt pointé la responsabilité de la France, laissant entendre que son action n'était pas "à la hauteur de la situation".


Le président français Emmanuel Macron a rétorqué attendre des Britanniques "qu'ils coopèrent pleinement et s'abstiennent d'instrumentaliser une situation dramatique à des fins politiques".


Les deux dirigeants ont finalement affiché leur volonté d'intensifier leur coopération pour stopper les traversées illégales qui se multiplient des côtes françaises vers l'Angleterre.


"Ils vont devoir travailler ensemble. Mais peuvent-il y arriver quand les relations sont si mauvaises, avec toujours le risque que l'un dise que l'autre n'en fait pas assez ?", s'interroge John Springford, expert au Center for European Reform (CER) à Londres.


Le gouvernement britannique a réitéré jeudi sa proposition de patrouilles de police communes côté français afin d'empêcher les migrants d'embarquer. Une offre de services déjà rejetée par Paris avant le drame, pour des raisons de souveraineté.

«Taper sur les Français»

"Il y a les électorats aussi derrière. Chacun regarde derrière son épaule", souligne Antoine Capet, en pointant le poids de l'extrême droite en France, particulièrement sur ce sujet, à six mois de la présidentielle.


Boris Johnson se retrouve lui aussi sous pression alors que la côte sud de l'Angleterre est confrontée depuis des mois à des arrivées massives de migrants. Dans un tel contexte, "taper sur les Français et l'UE apparaît pour lui comme la meilleure stratégie politique", renchérit John Springford.


Les tensions se sont accumulées des deux côtés de la Manche depuis le Brexit, en premier lieu sur la pêche. La France agite la menace de sanctions si ses pêcheurs n'obtiennent pas plus de licences pour opérer dans les eaux britanniques.


Paris se montre aussi très insistante sur le respect par Londres de ses autres engagements post-Brexit, y compris la mise en œuvre du protocole nord-irlandais visant à préserver la paix en Irlande.


Face à Boris Johnson, déterminé à montrer que le Brexit est un succès, Emmanuel Macron se pose en gardien du temple de la construction européenne, a fortiori à l'approche de la présidence française de l'UE au premier semestre 2022.


"Il est très +vocal+ sur l'Europe et a été très net sur l'exigence de respect du traité post-Brexit par Boris Johnson", relève Sylvie Bermann, ex-ambassadrice de France à Londres.

«Vieilles chamailleries»

La crise de confiance bilatérale s'est en outre aggravée lorsque Paris a découvert en septembre que Washington, Londres et Canberra avaient négocié en secret un accord de partenariat stratégique. 


La France a perdu par ricochet un méga-contrat de vente de sous-marins à l'Australie. Emmanuel Macron s'est expliqué depuis avec son homologue américain Joe Biden. Mais Paris ne décolère pas vis-à-vis de Londres et Canberra.


Les relations franco-britanniques sont, enfin, historiquement pétries de conflits et rivalités.


"Au Moyen-Âge on disait +always blame the French !+ (blâmez toujours les Français). Effectivement quand il y a une difficulté, on est les premiers à être critiqués", rappelle Sylvie Bermann.


"En France, on est un peu au centre de l'Europe. On a plusieurs voisins, on critique les uns, les autres. Les Britanniques sont focalisés sur la France parce qu'on est leur premier grand pays voisin", dit-elle.


Pour l'écrivain britannique Julian Barnes, "la France et la Grande-Bretagne sont retombées dans leurs vieilles chamailleries". "Pourtant, cette fois, la querelle n’est plus anglo-française, mais anglo-européenne", a-t-il lancé jeudi dans le quotidien français Le Monde.

 Les périlleuses traversées migratoires de la Manche

PARIS : Le naufrage meurtrier de migrants survenu mercredi dans la Manche illustre les dangers de ces tentatives de plus en plus nombreuses de rallier l'Angleterre par la mer, entre embarcations fragiles, densité du trafic, et passeurs déterminés.   

Envolée des traversées

Depuis fin 2018, les traversées de la Manche à bord de petits bateaux ont explosé, face à la sécurisation renforcée du port de Calais et du tunnel sous la Manche, que les migrants empruntaient jusque-là pour tenter de gagner le Royaume-Uni cachés dans camions ou voitures. 


Elles se sont encore accélérées cet automne. Ces trois derniers mois, les tentatives ont doublé, selon le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, Philippe Dutrieux. 


Dans le détroit du Pas-de-Calais, la proximité des côtes anglaises distantes de quelque 30 kilomètres et visibles à l’œil nu par beau temps constitue "une incitation au départ, parce qu'on n'imagine pas le danger", a-t-il souligné.


Et cette année les températures hivernales ne freinent pas les passages. Entre le 1er janvier et le 20 novembre, 31.500 migrants avaient quitté les côtes et 7.800 avaient été sauvés.  


Selon l'agence britannique Press Association, plus de 25.700 migrants ont réussi le passage sur les onze premiers mois de l'année. En 2020, ces traversées et tentatives avaient concerné quelque 9.500 personnes (2.300 en 2019, 600 en 2018).


Embarcations précaires

Les traversées se font le plus souvent sur des canots pneumatiques, avec une utilisation croissante par les passeurs de "long boat", de longues embarcations gonflables au fond souple, ne résistant pas à la surcharge et à une grosse mer. 


"Des embarcations de fortune" qui "font à peu près 10 mètres de long mais malheureusement surchargés, où ils sont 50 à bord", souligne le sauveteur Charles Devos, patron de la vedette SNSM de Calais. Selon les sauveteurs, il n'y a pas toujours de gilets de sauvetage pour tout le monde, parfois remplacés par des bouées de plage. 


Les passeurs tendent aussi à multiplier les départs simultanés, pour déborder les forces de l'ordre.


Les tarifs, eux, "ont tendance à baisser avec une offre importante et très organisée des passeurs, autour de 2.000 euros par passager", selon le président de l'association l'Auberge des migrants, François Guennoc. 


Navigation à haut-risque

Pour les petites embarcations, la navigation est délicate dans une zone maritime parmi les plus fréquentés au monde, où "environ 600 navires  transitent chaque jour, soit 25% du trafic mondial", selon la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord.


Les conditions météorologiques y sont aussi "souvent difficiles (120 jours de vent supérieur ou égal à force 7 en moyenne annuelle par exemple)", soit selon la préfecture un secteur "particulièrement dangereux, notamment en période hivernale où la température de l'eau chute" (12 degrés). 


L'étroit détroit du Pas-de-Calais est en outre traversé de courants importants, avec des bancs de sable changeants et une visibilité souvent réduite par la brume, souligne le Cross Gris Nez, centre du sauvetage dans la zone. 


Passeurs très organisés

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a affirmé jeudi que 1.500 personnes liées aux filières de passeurs avaient été arrêtées depuis le 1er janvier.


Ces réseaux fonctionnent selon lui comme des "organisations mafieuses" qui "relèvent du grand banditisme", avec l'utilisation notamment de "téléphones cryptés".


Lundi, l'interpellation d'un réseau de passeurs issus de plusieurs pays a été annoncée de source policière. Ils allaient chercher des migrants dans des camps à Grande-Synthe (Nord) et faisaient passer vers le Royaume-Uni "a minima 250 personnes par mois".


Ces embarcations étaient acheminées sur le littoral français en provenance de Chine, via la Turquie puis l'Allemagne.


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.


Gérald Darmanin visé par une plainte d'avocats pour son soutien implicite à Sarkozy

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
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  • Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique
  • Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy

PARIS: Ils accusent Gérald Darmanin de "prendre position": un collectif d'avocats a porté plainte auprès de la Cour de justice de la République (CJR) contre le ministre de la Justice pour son soutien implicite à Nicolas Sarkozy, à qui il a rendu visite en prison.

Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique.

Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy.

En confiant ce jour-là sa "tristesse" après la condamnation de M. Sarkozy et en annonçant lui rendre prochainement visite en prison, ce qu'il a fait depuis, M. Darmanin a "nécessairement pris position dans une entreprise dont il a un pouvoir d'administration", stipule la plainte que l'AFP a pu consulter.

M. Darmanin indiquait qu'il irait "voir en prison" M. Sarkozy pour s'inquiéter "de ses conditions de sécurité". Et d'ajouter: "J'ai beaucoup de tristesse pour le président Sarkozy", "l'homme que je suis, j'ai été son collaborateur, ne peut pas être insensible à la détresse d'un homme".

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent".

En "s'exprimant publiquement quant à sa volonté de rendre visite à M. Sarkozy en détention" ainsi "qu'en lui apportant implicitement son soutien", M. Darmanin a "nécessairement pris position" dans une entreprise dont il a aussi "un pouvoir de surveillance en tant que supérieur hiérarchique du parquet", déroulent les plaignants.

Juridiquement, ce collectif d'avocats porte plainte contre M. Darmanin pour "prise illégale d'intérêts", via une jurisprudence considérant que "l'intérêt" peut "être moral et plus précisément amical".

"Préjudice" 

"Il ne fait pas de doute que cet intérêt est de nature à compromettre l'impartialité et l'objectivité de M. Darmanin qui, en tant que ministre de la Justice, ne peut prendre position de cette manière dans une affaire pendante", argumentent les avocats.

Condamné le 25 septembre à cinq ans d'emprisonnement dans le dossier libyen pour association de malfaiteurs, l'ancien président a depuis déposé une demande de remise en liberté, que la justice doit examiner dans les prochaines semaines, avant son procès en appel en 2026.

Les propos de M. Darmanin sur France Inter avaient déjà ému la magistrature. Le plus haut procureur de France, Rémy Heitz, y avait vu un "risque d'obstacle à la sérénité" et donc "d'atteinte à l'indépendance des magistrats".

"S'assurer de la sécurité d'un ancien président de la République en prison, fait sans précédent, n'atteint en rien à l'indépendance des magistrats mais relève du devoir de vigilance du chef d'administration que je suis", s'était déjà défendu M. Darmanin sur X.

Pour le collectif d'avocats, "les déclarations" du ministre de la Justice, "suivies" de sa "visite rendue à la prison de la Santé", sont "susceptibles de mettre à mal la confiance que les justiciables ont dans la justice et leurs auxiliaires", que sont notamment les avocats.

Les "agissements" de M. Darmanin leur causent "ainsi un préjudice d'exercice et d'image qui rend nécessaire le dépôt de cette plainte auprès de la commission des requêtes" de la CJR, peut-on encore lire dans la plainte.

La CJR est la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.