En Calabre, quand le procureur antimafia ouvre sa porte

Le procureur anti-mafia italien Nicola Gratteri (C) arrive dans une salle d'audience spéciale le 13 janvier 2021 pour l'ouverture du maxi-procès "Rinascita-Scott" dans lequel plus de 350 membres présumés du groupe mafieux "Ndrangheta" de Calabre et leurs associés vont en procès à Lamezia Terme, en Calabre. Gianluca CHINEA / AFP
Le procureur anti-mafia italien Nicola Gratteri (C) arrive dans une salle d'audience spéciale le 13 janvier 2021 pour l'ouverture du maxi-procès "Rinascita-Scott" dans lequel plus de 350 membres présumés du groupe mafieux "Ndrangheta" de Calabre et leurs associés vont en procès à Lamezia Terme, en Calabre. Gianluca CHINEA / AFP
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Publié le Dimanche 28 novembre 2021

En Calabre, quand le procureur antimafia ouvre sa porte

  • «Toutes les personnes brimées, objets d'humiliations et de menaces, laissées pour compte viennent me parler», confie Nicola Gratteri
  • Pendant des décennies, l'influence grandissante de la 'Ndrangheta, qui bénéficie de liens étroits avec les milieux d'affaires et politiques, a été sous-estimée par l'Etat italien

CATANZARO, Italie: Une fois par semaine, le procureur antimafia le plus connu d'Italie, Nicola Gratteri, reçoit dans son bureau des victimes de la mafia pour écouter leurs doléances.

En Calabre, la pointe de la Botte italienne qui abrite la très redoutée 'Ndrangheta, la plus puissante mafia italienne, la population locale doit faire face à des menaces, des intimidations, des extorsions, des pratiques d'usure et des meurtres.

Ceux qui attendent patiemment leur tour au parquet de Catanzaro pour passer dix minutes avec Nicola Gratteri sont des Calabrais qui jusqu'à récemment considéraient l'État central comme "très éloigné" de leurs problèmes, explique le procureur dans un entretien.

"Toutes les personnes brimées, objets d'humiliations et de menaces, laissées pour compte viennent me parler", confie Nicola Gratteri, qui vit sous protection policière depuis plus de 30 ans.

"Elles pleurent, elles se désespèrent... Elles sont émues de parler avec le procureur, elles prennent courage en voyant que nous travaillons sérieusement".

Pendant des décennies, l'influence grandissante de la 'Ndrangheta, qui bénéficie de liens étroits avec les milieux d'affaires et politiques, a été sous-estimée par l'Etat italien, trop faible, inefficace ou corrompu pour s'attaquer à ce groupe tentaculaire, spécialisée dans le trafic de drogue, dont les ramifications s'étendent dans le monde entier.

Depuis sa nomination en 2016 au parquet de Catanzaro, où il est responsable des procédures antimafia sur les trois quarts du territoire calabrais, M. Gratteri a été salué comme le dernier espoir de cette région déshéritée, mais aussi critiqué pour son zèle et son amour de l'attention médiatique.

Son objectif: gagner la confiance de la population en réussissant à faire condamner des membres de la 'Ndrangheta.

Dernier exemple en date: le "maxi-procès" contre 355 membres ou collaborateurs présumés de la mafia, qui se tient dans la ville voisine de Lamezia Terme, le plus grand de ce genre depuis la fin des années 80.

- Infiltration mafieuse -

Même si ce procès en première instance est loin d'être terminé, le parquet a obtenu une première victoire ce mois-ci en condamnant 70 membres de la 'Ndrangheta ou de personnes ayant des liens avec elle, sur les 91 qui avaient opté pour une procédure accélérée. Certains hauts responsables ont été condamnés à 20 ans de prison.

Exceptionnellement, 58 membres de l'organisation ont accepté de témoigner pour le parquet.

Car les repentis acceptant de témoigner contre la 'Ndrangheta sont généralement rares, d'où l'importance des entretiens de M. Gratteri avec la population locale, qui a pu se sentir abandonnée par le gouvernement de Rome.

Ici, les chantiers publics sont souvent interrompus en cours de route, le système de santé est au bord de l'effondrement et le taux de chômage est l'un des plus élevés d'Europe, contraignant les jeunes à émigrer dans le nord ou à l'étranger.

Depuis 1991, 110 conseils municipaux calabrais ont été dissous pour infiltration mafieuse. Celui de Lamezia Terme, la troisième ville de la région, a été dissous à trois reprises, la dernière fois en 2017.

Au cours des dernières décennies, la 'Ndrangheta a pu se développer tranquillement en raison de l'attention concentrée sur Cosa Nostra, la mafia sicilienne, après l'assassinat des juges Giovanni Falcone and Paolo Borsellino près de Palerme en 1992.

Selon les experts, la 'Ndrangheta est désormais présente dans tous les secteurs d'activité de l'économie calabraise: du BTP aux hôpitaux en passant par l'agriculture, l'hôtellerie, les pompes funèbres et les finances.

Nicola Gratteri évalue à 9% la part du PIB calabrais monopolisée par la mafia. La 'Ndrangheta, qui a fait fortune grâce à l'importation de cocaïne en Europe, a un chiffre d'affaires annuel de plusieurs dizaines de milliards d'euros.

Face à ce géant, la justice a plus que jamais besoin de la coopération de la population, qui selon M. Gratteri est plus disposée à collaborer depuis le lancement du maxi-procès.

"Aujourd'hui, les gens parlent davantage parce qu'ils nous font davantage confiance. Ils voient les résultats et cela les encourage, ils nous considèrent comme crédibles", estime-t-il. "Les gens n'arrivent pas imaginer que quelqu'un puisse s'occuper de leurs problèmes. Et moi ça me plaît de m'occuper de leurs problèmes".

En Calabre, la difficile cohabitation au quotidien avec la mafia

Il y a deux ans, des milliers de personnes à Vibo Valentia, en Calabre, sont descendues dans la rue le matin de Noël pour célébrer l'arrestation par la police de centaines de membres présumés de la mafia.

Pour ceux qui vivent dans l'ombre de la 'Ndrangheta, la mafia calabraise, c'était la première fois que les habitants osaient dénoncer publiquement le plus puissant syndicat du crime organisé d'Italie qui, depuis des décennies, a infiltré les institutions de la région méridionale, étouffé son économie et terrorisé sa population.

Contrairement aux cas précédents, où les proches des membres de la 'Ndrangheta saisis se sont présentés dans les commissariats pour contester les autorités et soutenir les personnes arrêtées, cette fois-ci, les applaudissements étaient destinés à la police.

"Les applaudissements étaient incessants, j'en avais des frissons", se souvient Giuseppe Borrello, représentant local de l'association anti-mafia Libera. "D'un point de vue symbolique, c'était important".

Deux ans plus tard, des questions restent en suspens car 355 personnes arrêtées sont accusées d'une longue liste de crimes, allant de l'extorsion et de l'usure au blanchiment d'argent et au meurtre, dans le cadre d'un maxi-procès en cours.

Une fusillade survenue le mois dernier a ravivé les craintes que la période de calme relatif qui a suivi les arrestations touche à sa fin dans cette ville de 31.000 âmes.

- «Allez voir le patron» -

Fin 2017, le restaurateur Filippo La Scala a reçu deux appels téléphoniques anonymes, lui ordonnant d'"apporter de l'argent aux amis de Vibo".

Après le jet d'un cocktail Molotov sur la terrasse du restaurant, il s'est rendu à la police.

"C'était un moment difficile", a déclaré M. La Scala à l'AFP. "Ces choses-là vous stressent vraiment".

Partie civile au procès en cours, il se sent "très confiant" dans le nouvel engagement des autorités à affronter la 'Ndrangheta après des décennies d'inertie institutionnelle, d'inefficacité et de corruption.

Le chef des carabiniers de la province de Vibo, le colonel Bruno Capece, prévient cependant que beaucoup reste à faire.

"Avant, pratiquement toutes les nuits, nous recevions des informations sur des voitures brûlées, des portails sur lesquels on tirait ou qu'on endommageait", a déclaré l'officier.

Le dernier meurtre à Vibo remonte à avril 2020 et son auteur a été rapidement retrouvé. De même, la police a résolu en 48 heures la dizaine de tentatives de meurtre depuis les arrestations de décembre 2019, a-t-il précisé.

La collaboration étroite entre la police et les procureurs est un nouveau signe de crédibilité pour l'Etat, dans un territoire où les habitants ont longtemps été habitués à des dénonciations qui ne mènent à rien et à des procès qui traînent en longueur ou se terminent par des acquittements, souvent grâce à la collusion entre la 'Ndrangheta et les personnes au pouvoir, dit M. Capece.

Jusqu'à relativement récemment, "seuls les clans mafieux régnaient ici, et la réponse de l'État était pratiquement inexistante", estime le procureur général de Vibo, Camillo Falvo.

La confiance dans les autorités se gagne par les résultats, selon le magistrat, et jusqu'à présent, la faiblesse de l'État a joué directement en faveur de la 'Ndrangheta.

"Si vous déposez une plainte au civil et qu'elle n'aboutit jamais... la deuxième fois que vous avez un problème, vous allez voir le boss mafieux local et lui dites : +Écoutez, ce type me doit de l'argent+".

- L'effondrement total -

Site de l'ancienne colonie grecque d'Hipponion, Vibo Valentia possède encore un château du XIIème siècle, sur une colline où les chèvres paissent le soir, offrant une vue spectaculaire sur le volcan Stromboli.

Mais si l'on descend dans la ville, marquée par des façades de magasins abandonnés et des structures en béton à moitié terminées, il n'y a pas grand-chose qui mérite un détour.

Quelque 47% des jeunes sont sans emploi dans la province, soit le cinquième taux le plus élevé d'Italie.

"Vibo est une ville triste, délabrée, qui enlaidit les gens et ne les incite pas à donner le meilleur d'eux-mêmes". Voilà comment le blogueur Argentino Serraino, 25 ans, décrit sa ville natale.

Des décennies d'ingérence de la 'Ndrangheta ont contribué au déclin économique de Vibo, par le biais de fonds publics détournés, d'entreprises qui ferment plutôt que de payer l'argent de la protection, ou d'entrepreneurs qui se voient refuser des marchés publics en raison d'appels d'offres truqués.

Le phénomène se répète dans toute la Calabre.

Et malgré le quasi-monopole de la 'Ndrangheta sur le commerce de la cocaïne en Europe et les milliards blanchis grâce à des investissements dans l'économie légale à travers l'Europe, la 'Ndrangheta continue à étrangler l'économie locale.

- «Ils ont ruiné ma vie» -

Les habitants de Vibo ne sont pas tous convaincus que l'État les protège.

L'acte d'accusation du maxi-procès mentionne un commerçant de Vibo comme étant à la fois victime et complice de la 'Ndrangheta, soulignant la zone grise obscure que l'on rencontre souvent en territoire mafieux.

"Ils ont ruiné ma vie", a déclaré Rocco Tavella, évoquant la justice qui l'a gardé derrière les barreaux pendant cinq jours après le coup de filet de 2019.

M. Tavella a, selon les procureurs, subi des pressions pour vendre des vêtements à un prix inférieur au prix coûtant à des membres de la mafia. Lui nie avoir été un intermédiaire dans un épisode de prêt d'argent en 2011, comme l'a affirmé l'un des nombreux informateurs devenus témoins de l'État dans le procès.

"Nous verrons combien de personnes seront acquittées", a-t-il déclaré, sceptique.

Une femme, Paola, qui n'a pas voulu donner son nom de famille, a déclaré que les habitants de Vibo sont paranoïaques, étant donné les liens familiaux et sociaux étroits avec l'accusé.

"Vous ne pouvez pas enfermer quelqu'un pour avoir simplement entendu quelque chose, ou avoir été vu avec quelqu'un", a-t-elle déclaré, accusant les procureurs d'excès de zèle en ne limitant pas les arrestations aux grands boss mafieux.

- Rien à voir ici -

La lutte contre la 'Ndrangheta est rendue encore plus difficile par le manque de ressources, selon le procureur Falvo.

Peu de procureurs chevronnés souhaitent venir dans la région et les procès sont donc menés par de jeunes magistrats inexpérimentés.

"Comment pouvons-nous mener une guerre contre la mafia à mains nues ?", se demande-t-il.

Et la violence ne s'arrête pas à Vibo. Le mois dernier, le fils d'un chef mafieux est soupçonné d'avoir tiré sur un accusé dans ce procès.

Des images vidéo de sécurité ont montré des voitures passant devant l'homme blessé, et aucun témoin - pas même la victime - n'est venu dénoncer le crime.

"C'est comme si nous étions revenus trois ans en arrière, que tout notre travail était parti en fumée", se désole le colonel Capece.

Le propriétaire du restaurant La Scala a raconté que lorsqu'il avait été menacé, il s'était demandé s'il devait quitter Vibo.

"La Calabre est un si bel endroit, et Vibo en est le plus beau parmi tous... Si seulement elle n'était pas ternie par ce cancer de la 'Ndrangheta", a-t-il dit.

Dauphin mort et pots-de-vin au maxi-procès antimafia en Calabre

Un dauphin mort sur un paillasson, des fenêtres détruites à coups de masse, des armes stockées dans des monuments funéraires, des pots-de-vin versés à des juges en échanges d'acquittements... et des certificats médicaux de complaisance pour éviter la prison à des assassins condamnés.

Tous ces épisodes proviennent des histoires racontées depuis janvier par des dizaines de membres de la 'Ndrangheta, la redoutée mafia calabraise, qui ont accepté de témoigner à charge au maxi-procès anti-mafia organisé en Calabre, une région pauvre à la pointe de la Botte italienne.

Ce procès, le plus important du genre depuis la fin des années 80, couvre des délits aussi divers que du trafic de drogue, des achats de votes et des meurtres.

"Ils les ont attendus sur la  place Morelli, les ont invités à manger de la ricotta à la ferme (...) et ils les ont tués, brûlés et dissous", a raconté en mai un repenti, Andrea Mantella, rappelant comment un boss avait tué deux frères par vengeance en 1988.

La 'Ndrangheta, la mafia la plus puissante de la péninsule, est au centre de ce maxi-procès de 355 accusés organisé sur sa terre d'origine à Lamezia Terme, la troisième ville de Calabre.

La 'Ndrangheta domine le marché européen de la cocaïne, mais a aussi infiltré la plupart des secteurs de l'économie légale, avec l'aide de membres des milieux d'affaires et politiques.

Les témoignages déposés par 58 repentis ont révélé la brutalité de l'organisation mais aussi son influence insidieuse à tous les niveaux de la société.

- Luigi «le Suprême» -

Le procès se concentre sur une seule province de Calabre, celle de Vibo Valentia, où les clans familiaux sont dominés par Luigi Mancuso, un homme de 67 ans surnommé "le Suprême", de retour devant la justice après avoir purgé jusqu'en 2012 une peine de 19 ans de prison.

"Sans le feu vert de Luigi Mancuso, impossible d'ouvrir la moindre activité", a témoigné en mars son neveu, Emanuele Mancuso.

Les accusés à ce procès hors normes sont aussi bien des boss présumés que leurs collaborateurs. L'imbrication de la 'Ndrangheta dans l'économie locale rend son éradication quasiment impossible.

Devant le tribunal, des témoins ont raconté comment des ambulances étaient utilisées pour le trafic de drogue, de l'eau publique détournée pour alimenter les cultures de marijuana, et des migrants morts noyés et enterrés sans cercueils à l'issue d'un appel d'offres public truqué.

Illustrant la proximité de la très riche 'Ndrangheta avec les puissants, un de ses hauts gradés, Andrea Mantella, a expliqué comment un pot-de-vin de 70.000 euros avait suffi pour qu'il soit transféré d'une prison classique à un hôpital.

Mantella et un autre témoin ont aussi révélé que la 'Ndrangheta avait payé 50.000 euros à un ancien sénateur et avocat, Giancarlo Pittelli, pour truquer un procès.

Sur le banc des accusés figurent aussi des policiers, des greffiers, des maires, et même un vétérinaire accusé d'avoir aidé à vendre du bétail volé.

Pour le journaliste calabrais Consolato Minniti, ce procès est "le premier à aller vraiment au-delà de la 'Ndrangheta militaire". "Jusqu'ici, les juges s'étaient concentrés sur ceux qui tirent, la partie la plus violente" de l'organisation, a-t-il expliqué à l'AFP.

- «Pilier en ciment» -

Les liens entre la mafia et la société civile ne sont pas une nouveauté: ces 30 dernières années, 110 conseils municipaux ont été dissous pour infiltration mafieuse, jusqu'à trois fois pour certains d'entre eux, dont celui de Lamezia Terme où se tient le procès.

La ville natale du clan Mancuso, Limbadi, a été la première à voir son conseil municipal dissous en 1983, lorsqu'un boss en fuite, Francesco Mancuso, avait été élu maire.

La 'Ndrangheta n'hésite pas non plus à se salir les mains quand c'est nécessaire et utilise différentes tactiques pour extorquer de l'argent en échange de sa "protection", contraindre des propriétaires à vendre leurs biens en dessous du prix du marché, forcer quelqu'un à se fournir auprès d'entreprises "amies" ou recouvrer des prêts à taux usuraires pouvant dépasser les 200%.

Les méthodes d'intimidation sont variées: chiots, dauphins morts ou têtes de chèvre laissés sur un pas de porte, menaces téléphoniques, passages à tabac, voitures incendiées, cocktails Molotov et coups de feu.

Le maxi-procès doit aussi se prononcer sur cinq meurtres présumés, dont celui d'un membre de la 'Ndrangheta assassiné en 2002 en raison de son homosexualité. Il avait été enterré à un endroit ensuite recouvert d'asphalte, a raconté Andrea Mantella.

Une écoute téléphonique a permis de reconstituer le dialogue tenu en mai 2017 entre un mafieux et le frère d'une femme qui avait perdu pour 7.000 euros de marijuana après une saisie de la police. "Il faut essayer de récupérer cet argent ou bien tu retrouveras ta sœur dans le ciment, parce que ces gens-là ne plaisantent pas".


Kajsa Ollongren : Cessez d’armer le Soudan, la CPI doit agir à Gaza

Kajsa Ollongren, représentante spéciale de l'UE pour les droits de l'homme. (Fourni)
Kajsa Ollongren, représentante spéciale de l'UE pour les droits de l'homme. (Fourni)
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  • La représentante spéciale de l’UE pour les droits de l'homme avertit que des gouvernements bafouent les règles multilatérales conçues pour protéger les civils en temps de conflit
  • Kajsa Ollongren déclare que l’UE doit travailler avec des États engagés dans le multilatéralisme et le droit humanitaire pour préserver un ordre mondial fondé sur des règles

​​​​​​NEW YORK CITY : Kajsa Ollongren, la représentante spéciale de l’UE pour les droits de l'homme, a averti que le Soudan endure des « atrocités inimaginables », appelant tous les pays fournissant des armes aux factions belligérantes à cesser immédiatement leurs transferts.

S’exprimant à Arab News après des missions au Liban et en Égypte et un dialogue sur les droits humains avec l’Arabie saoudite, Ollongren a déclaré que les armes étrangères alimentent l’un des conflits les plus dévastateurs et les moins médiatisés au monde, sans issue politique en vue.

Ses propos interviennent peu après que Volker Turk, haut-commissaire des Nations unies aux droits humains, ait lancé l’un de ses avertissements les plus sévères, estimant que le Soudan pourrait connaître « une nouvelle vague d’atrocités », avec des civils confrontés à l’épuration ethnique et aux déplacements massifs.

Turk a à plusieurs reprises prévenu que la violence pourrait atteindre des « niveaux catastrophiques » si le flux d’armes se poursuivait. Ollongren a déclaré que ces avertissements correspondaient à ce qu’elle avait entendu de la part du personnel régional des droits humains.

« Les atrocités dépassent vraiment l’imagination », a-t-elle confié à Arab News. « Pendant longtemps, le monde n’a pas prêté suffisamment attention à ce qui se passait au Soudan. Nous y prêtons attention maintenant, au moins, mais l’attention seule ne suffira pas à les arrêter. »

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Des familles soudanaises déplacées depuis El-Fasher tendent la main alors que des travailleurs humanitaires distribuent des vivres dans le camp nouvellement créé d’El-Afadh à Al Dabbah, dans l’État du Nord du Soudan, le 16 novembre 2025. (Photo AP/Archives)

Elle a affirmé que les gouvernements facilitant le conflit devaient être confrontés. « Il doit également y avoir une véritable interaction avec ces pays qui fournissent des armes. Sans ces armes, nous verrions la fin des atrocités plus rapidement … C’est inacceptable. »

Elle a ajouté que la pression coordonnée de l’Europe, du Golfe et de la communauté internationale au sens large est essentielle. « Il est très important, au niveau du Golfe, en Europe et globalement, d’appeler à l’arrêt des exportations d’armes », a-t-elle souligné.

Le conflit au Soudan a débuté en avril 2023 lorsqu’une lutte de pouvoir entre le chef des forces armées Abdel Fattah Al-Burhan et son ancien adjoint Mohammed Hamdan Dagalo, chef des Forces de soutien rapide (RSF), a dégénéré en conflit ouvert.

Selon les chiffres de l’ONU, environ 12 millions de personnes ont été déplacées, créant ce que beaucoup considèrent comme la pire catastrophe humanitaire au monde. Les estimations du nombre de morts varient largement, l’ancien envoyé américain pour le Soudan évoquant jusqu’à 400 000 victimes.

Bien que les forces armées soudanaises aient repris la capitale, Khartoum, aux RSF, le pays est effectivement divisé en deux, le gouvernement dirigé par les SAF contrôlant l’est et les RSF et milices alliées dominant l’ouest, y compris la région troublée du Darfour.

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En octobre, l’un des épisodes les plus brutaux du conflit a eu lieu lorsque les combattants des RSF ont capturé El-Fasher, capitale du Nord-Darfour, et ont commencé à massacrer des civils, déclenchant des déplacements massifs.

Le Soudan est revenu sur le devant de la scène diplomatique après la récente visite du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Washington, où il a discuté des développements avec le président américain Donald Trump et a appelé à un rôle plus actif pour mettre fin au conflit et prévenir les répercussions régionales.

Peu après, Trump a annoncé que les États-Unis « allaient immédiatement lancer un nouvel effort » pour mettre fin au conflit au Soudan, qu’il a qualifié de « lieu le plus violent sur Terre et de plus grande crise humanitaire », une décision largement interprétée comme une réponse à l’appel du prince héritier.

« Le fait que le président américain s’exprime ainsi sur les atrocités est important et sera entendu au Soudan », a déclaré Ollongren.

Mais elle a averti que les déclarations seules sont vaines sans suivi sérieux. « Il ne suffit pas de déclarer la fin d’une guerre ou d’un conflit », a-t-elle précisé. « Il doit y avoir un plan — qui inclut la reconstruction, la responsabilité et la reconstruction des sociétés tout en donnant du pouvoir aux victimes. »

Concernant le Liban, Ollongren a indiqué avoir ressenti un « élan » lors de ses récentes rencontres à Beyrouth, où l’engagement diplomatique s’est intensifié depuis le cessez-le-feu dans la guerre Israël-Hezbollah il y a un an.

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Kajsa Ollongren rencontre le président libanais Joseph Aoun. (Fournie)

Cela intervient malgré le refus d’Israël de se retirer du sud du Liban et ses frappes continues contre des positions supposées du Hezbollah, y compris l’attaque du mois dernier dans un quartier de Beyrouth qui a tué un commandant de milice.

Les dirigeants du Hezbollah insistent pour ne pas se désarmer tant qu’Israël n’aura pas retiré ses troupes.

« Il y a un élan pour davantage de paix et de stabilité et pour un avenir stable pour de nombreux pays de la région », a déclaré Ollongren. « Je vois le rôle que l’Arabie saoudite joue dans tout cela, ainsi que les efforts de l’Égypte pour négocier entre les parties. »

Elle a toutefois souligné la fragilité de la situation. « Il reste une incertitude quant au respect du cessez-le-feu et il n’existe pas encore de plan clair pour le désarmement du Hezbollah », a-t-elle dit.

« La responsabilité est cruciale. Au Liban, nous avons beaucoup parlé des assassinats politiques et de l’explosion au port de Beyrouth. Tout cela doit être traité avec justice, car sans cela l’impunité persiste, ce qui peut entraîner d’autres problèmes à l’avenir. »

Concernant la Syrie, qu’elle prévoit de visiter début 2026, Ollongren a déclaré que la situation reste instable.

« Nous avons constaté des violences et des victimes dans plusieurs régions du pays. La situation n’est pas sous contrôle », a-t-elle indiqué, en faisant référence aux attaques contre les minorités ethniques et religieuses au cours de l’année écoulée depuis que le régime d’Assad a été évincé.

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Des habitants agitent des drapeaux syriens dans le centre de Hama le 5 décembre 2025, lors des célébrations marquant un an depuis une offensive éclair menée par des islamistes ayant renversé le dirigeant de longue date du pays. (AFP)

Bien qu’elle se soit félicitée du retour récent de réfugiés syriens depuis le Liban comme d’un « bon signe », elle a averti que la stabilisation plus large reste lointaine alors que le gouvernement de transition du président Ahmad Al-Sharaa poursuit la réintégration nationale et l’allégement des sanctions.

Ollongren a également souligné l’influence diplomatique croissante de l’Arabie saoudite comme l’un des changements les plus significatifs dans la région. « L’Arabie saoudite suit une voie différente », a-t-elle dit, évoquant les réformes Vision 2030 et l’engagement mondial accru du Royaume.

« L’Arabie saoudite s’engage également avec l’Europe et l’UE, établissant des liens qui pourraient être très importants pour un Moyen-Orient plus stable. »

« Bien sûr, cela reconfigure aussi l’influence d’autres puissances. L’Égypte joue un rôle de longue date mais lutte avec son économie et la pression démographique. L’engagement saoudien pourrait être très impactant. »

À Gaza, Ollongren a décrit une « destruction complète » et un accès extrêmement limité comme des obstacles pour les médias et les efforts humanitaires. « Nous n’avons pas eu de journalistes indépendants pouvant rendre compte des victimes ou des destructions », a-t-elle dit.

« Petit à petit, les informations émergent, et nous voyons une destruction complète dans de nombreuses parties de Gaza. Les habitants n’ont plus de maisons où retourner et ont perdu un très grand nombre de civils, y compris des enfants. Il doit y avoir des comptes à rendre. »

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Des Palestiniens recherchent des décombres dans des bâtiments lourdement détruits par les bombardements israéliens à Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, alors qu’un cessez-le-feu tient le 12 octobre 2025. (AFP/Archives)

Israël a lancé ses opérations militaires à Gaza après l’attaque du 7 octobre 2023 menée par le Hamas dans le sud d’Israël, qui a fait 1 200 morts et 250 otages. Depuis lors, environ 70 000 Palestiniens ont été tués, selon le ministère de la Santé de Gaza.

Un cessez-le-feu fragile est entré en vigueur le 10 octobre, avec un recul des opérations israéliennes en échange de la libération des otages restants par le Hamas. Un petit flux d’aide humanitaire a été autorisé dans le territoire, mais les besoins médicaux, alimentaires et en abris restent immenses.

Ollongren a insisté sur le fait que la responsabilité pour les crimes de guerre allégués par les deux parties doit être assurée par la Cour pénale internationale.

« La CPI doit jouer un rôle dans ce dossier », a-t-elle déclaré. « Ils ont examiné à la fois le Hamas et Israël. C’est le bon lieu pour chercher justice et responsabilité. »

Interrogée sur le soutien des États européens aux mandats d’arrêt de la CPI visant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, Ollongren a répondu : « Nous sommes signataires du Statut de Rome, donc nous sommes liés par le traité.

« La cour décide des arrestations, des affaires et des poursuites de manière indépendante. Notre rôle est de garantir son indépendance et son bon fonctionnement. Donc oui. »

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Des manifestants défilent devant le siège des Nations unies à New York alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'exprime le 26 septembre 2025. (AFP/Archives)

Un nombre croissant de juristes, y compris une commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU, ont conclu qu’un génocide a eu lieu à Gaza au cours des deux dernières années.

Francesca Albanese, rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens, a récemment déclaré à Arab News que les réponses de l’UE et de l’Occident au génocide à Gaza ont été « pathétiques, hypocrites et marquées par des doubles standards ».

Elle a ajouté que les mêmes gouvernements invoquant le droit international pour condamner les actions de la Russie en Ukraine sont restés largement silencieux sur Gaza, permettant à des « violations flagrantes » de se dérouler.

Ollongren a répondu à cette critique. « Nous devrions, et nous devons, appliquer le droit international de manière cohérente dans tous les cas », a-t-elle affirmé.

« Nous ressentons l’accusation de doubles standards. Après les attaques du 7 octobre par le Hamas, l’Europe a soutenu Israël, reconnaissant son droit à se défendre. Mais au fur et à mesure que la guerre à Gaza se déroulait et que les victimes civiles augmentaient, nous sommes devenus plus critiques.

« L’UE a de plus en plus appelé Israël à respecter le droit humanitaire international et a travaillé pour garantir que l’aide humanitaire parvienne aux personnes dans le besoin.

« En même temps, nous soutenons l’Autorité palestinienne dans son rôle de gouvernance. Je pense que nous sommes désormais un partenaire beaucoup plus critique et équitable pour les deux parties. »

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Des Palestiniens font la queue pour un repas chaud dans une cuisine caritative gérée par le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) au camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de Gaza, le 26 avril 2025. (AFP/Archives)

Interrogée sur l’échec du système international, elle a indiqué que le problème ne vient pas des institutions mais des gouvernements.

« L’architecture que nous avons doit être protégée », a-t-elle déclaré. « Nous n’avons pas besoin d’un nouveau système. Le problème est qu’il n’est pas respecté. C’est pourquoi il est important que l’UE s’engage avec les pays qui soutiennent le système multilatéral, l’état de droit et le droit humanitaire international.

« Ces cadres ont été conçus pour protéger les plus vulnérables dans les conflits, pas pour empêcher les guerres. »

Elle a conclu par un message aux civils de Gaza et du Soudan.

« Je comprends que vous ayez perdu confiance dans le système international car il n’était pas là pour vous protéger lorsque vous avez été attaqués et que vous avez perdu vos proches », a-t-elle déclaré.

« C’est encore le meilleur système dont nous disposons. De mon côté, je me concentrerai sur la responsabilité et la justice, car du point de vue des droits de l'homme, c’est ce que je dois faire pour vous. »

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Plus de 200 personnalités demandent la libération du dirigeant palestinien Marwan Barghouti

Plus de 200 célébrités, dont l'écrivaine prix Nobel Annie Ernaux, la réalisatrice Justine Triet ou le chanteur Sting, ont demandé mercredi dans une lettre ouverte la libération de Marwan Barghouti, dirigeant palestinien emprisonné en Israël depuis 2002. (AFP)
Plus de 200 célébrités, dont l'écrivaine prix Nobel Annie Ernaux, la réalisatrice Justine Triet ou le chanteur Sting, ont demandé mercredi dans une lettre ouverte la libération de Marwan Barghouti, dirigeant palestinien emprisonné en Israël depuis 2002. (AFP)
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  • Cette initiative fait partie de la campagne internationale "Free Marwan", lancée par sa famille
  • La plupart des signataires se sont déjà exprimés publiquement pour mettre fin à la guerre dans la bande de Gaza

PARIS: Plus de 200 célébrités, dont l'écrivaine prix Nobel Annie Ernaux, la réalisatrice Justine Triet ou le chanteur Sting, ont demandé mercredi dans une lettre ouverte la libération de Marwan Barghouti, dirigeant palestinien emprisonné en Israël depuis 2002.

Marwan Barghouti, 66 ans et ancien cadre du Fatah, défend une résolution politique au conflit israélo-palestinien. Parfois surnommé par ses partisans le "Mandela palestinien", il est connu pour sa lutte contre la corruption et est cité comme un possible successeur du président palestinien Mahmoud Abbas.

La lettre ouverte, consultée par l'AFP, réunit des stars du cinéma comme Josh O'Connor, Benedict Cumberbatch et Javier Bardem, ainsi que des musiciens tels que Fontaines D.C. et Sting. Les autrices à succès Sally Rooney, Annie Ernaux ou Margaret Atwood ont également apporté leur soutien, tout comme les anciens footballeurs Éric Cantona et Gary Lineker.

"Nous exprimons notre vive inquiétude face à la détention continue de Marwan Barghouti, à ses mauvais traitements et au déni de ses droits légaux en prison", écrivent-ils, appelant "les Nations Unies et les gouvernements du monde à œuvrer activement" pour sa libération.

Cette initiative fait partie de la campagne internationale "Free Marwan", lancée par sa famille. La plupart des signataires se sont déjà exprimés publiquement pour mettre fin à la guerre dans la bande de Gaza.

Marwan Barghouti a été condamné à cinq peines de prison à vie par un tribunal israélien, qui l'a reconnu coupable d'implication dans des attaques meurtrières durant la seconde intifada (2000-2005).

Israël a refusé de le libérer dans le cadre des échanges de prisonniers, effectués depuis le début de la guerre à Gaza déclenchée après l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.

Son fils a déclaré en octobre qu'il avait été violemment battu par des gardiens israéliens lors d'un transfert de prison. En août, le ministre israélien d'extrême droite Itamar Ben Gvir a diffusé une vidéo où il prend à partie et sermonne Marwan Barghouti, apparaissant affaibli dans sa cellule.


Ukraine: «aucun compromis» sur les territoires occupés après une rencontre Poutine-Witkoff à Moscou

"Aucun compromis" n'a été trouvé mardi sur l'épineuse question des territoires occupés par la Russie en Ukraine après une rencontre à Moscou entre le président Vladimir Poutine et l'émissaire américain Steve Witkoff, qui lui présentait le plan de Washington pour mettre fin à près de quatre ans de guerre en Ukraine. (AFP)
"Aucun compromis" n'a été trouvé mardi sur l'épineuse question des territoires occupés par la Russie en Ukraine après une rencontre à Moscou entre le président Vladimir Poutine et l'émissaire américain Steve Witkoff, qui lui présentait le plan de Washington pour mettre fin à près de quatre ans de guerre en Ukraine. (AFP)
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  • M. Witkoff, accompagné du gendre du président américain, Jared Kushner, s'est entretenu pendant près de cinq heures au Kremlin avec le dirigeant russe à propos de ce plan présenté par Washington
  • "Nous avons pu nous mettre d'accord sur certains points (...), d'autres ont suscité des critiques, mais l'essentiel est qu'une discussion constructive ait eu lieu et que les parties aient déclaré leur volonté de poursuivre leurs efforts"

MOSCOU: "Aucun compromis" n'a été trouvé mardi sur l'épineuse question des territoires occupés par la Russie en Ukraine après une rencontre à Moscou entre le président Vladimir Poutine et l'émissaire américain Steve Witkoff, qui lui présentait le plan de Washington pour mettre fin à près de quatre ans de guerre en Ukraine.

M. Witkoff, accompagné du gendre du président américain, Jared Kushner, s'est entretenu pendant près de cinq heures au Kremlin avec le dirigeant russe à propos de ce plan présenté par Washington il y a deux semaines et depuis retravaillé lors de consultations avec les Ukrainiens.

"Nous avons pu nous mettre d'accord sur certains points (...), d'autres ont suscité des critiques, mais l'essentiel est qu'une discussion constructive ait eu lieu et que les parties aient déclaré leur volonté de poursuivre leurs efforts", a indiqué le conseiller diplomatique du Kremlin, Iouri Ouchakov.

Sur la question des territoires occupés par la Russie en Ukraine, qui représentent environ 19% du pays, "aucune solution de compromis n'a encore été choisie", même si "certaines propositions américaines peuvent être discutées", a précisé M. Ouchakov.

Il a qualifié la discussion d'"utile", mais prévenu qu'il "reste encore beaucoup de travail" pour parvenir à un accord, alors que les troupes russes ont accéléré leur avancée sur le front.

"Ce que nous avons essayé de faire, et je pense que nous avons fait quelques progrès, est de déterminer ce qui pourrait convenir aux Ukrainiens et leur donner des garanties de sécurité pour l'avenir", a déclaré pour sa part le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio sur la chaîne Fox News, sans qu'il soit précisé s'il s'exprimait après la fin des pourparlers.

Après cet entretien avec les Russes à Moscou, Steve Witkoff et Jared Kushner pourraient rencontrer mercredi en Europe une délégation de Kiev, selon une source ukrainienne à l'AFP.

"Nous sommes prêts" 

Quelques heures avant sa rencontre avec les Américains, Vladimir Poutine avait menacé les Européens, les accusant de chercher à "empêcher" les efforts de Washington pour mettre fin au conflit.

"Nous n'avons pas l'intention de faire la guerre à l'Europe, mais si l'Europe le souhaite et commence, nous sommes prêts dès maintenant", a-t-il lancé aux journalistes, en marge d'un forum économique.

Des propos qui tranchent avec ceux du chef de l'Otan, Mark Rutte, qui s'est dit peu avant convaincu que les efforts américains en Ukraine "finiront par rétablir la paix en Europe".

Le président américain Donald Trump a répété mardi que le règlement du conflit en Ukraine était une question complexe. "Ce n'est pas une situation facile, croyez-moi. Quel gâchis", a-t-il dit.

De son côté, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, sous forte pression politique et diplomatique, a accusé la Russie d'utiliser les pourparlers actuels pour tenter "d'affaiblir les sanctions" visant Moscou.

Il a appelé à la fin de la guerre et pas "seulement à une pause" dans les combats.

Les Etats-Unis ont annoncé fin octobre des sanctions contre deux géants du secteur des hydrocarbures russes, Rosneft et Lukoil, les premières sanctions d'importance prises par Donald Trump contre la Russie depuis son retour au pouvoir.

Les Européens espèrent que l'administration Trump, soupçonnée de complaisance vis-à-vis de Vladimir Poutine, ne sacrifiera pas l'Ukraine, considérée comme un rempart face à la Russie.

Accélération russe 

Ces discussions se sont déroulées alors que les forces russes ont réalisé en novembre leur plus grosse progression sur le front en Ukraine depuis un an, selon l'analyse par l'AFP des données fournies par l'Institut américain pour l'étude de la guerre (ISW), qui travaille avec le Critical Threats Project (CTP, émanation de l'American Enterprise Institute), deux centres de réflexion américains spécialisés dans l'étude des conflits.

En un mois, la Russie a pris 701 km2 aux Ukrainiens, la deuxième avancée la plus importante après celle de novembre 2024 (725 km2), en dehors des premiers mois de guerre au printemps 2022.

La Russie a revendiqué lundi la prise de la ville de Pokrovsk dans l'est de l'Ukraine, un nœud logistique clé pour Kiev, ainsi que celle de Vovtchansk, dans le nord-est. Mais l'Ukraine a affirmé mardi que les combats à Pokrovsk se poursuivaient.

En novembre, la Russie a tiré plus de missiles et de drones lors de ses attaques nocturnes sur l'Ukraine que durant le mois précédent, soit un total de 5.660 missiles et drones longue portée (+2%).

En interne, le président ukrainien est affaibli par un vaste scandale de corruption impliquant ses proches et qui a contraint son puissant chef de cabinet, Andriï Iermak, à la démission vendredi.