Les troubles du Moyen-Orient s’étendent aux pays des Balkans

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, à gauche, et le président kosovar Hashim Thaci inspectent une garde d'honneur à Ankara, en Turquie, le 29 décembre 2016. (Photo AP)
Le président turc Recep Tayyip Erdogan, à gauche, et le président kosovar Hashim Thaci inspectent une garde d'honneur à Ankara, en Turquie, le 29 décembre 2016. (Photo AP)
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Publié le Samedi 26 septembre 2020

Les troubles du Moyen-Orient s’étendent aux pays des Balkans

Les troubles du Moyen-Orient s’étendent aux pays des Balkans
  • Du point de vue d'Ankara, les pays des Balkans sont importants non seulement aux niveaux politique, économique et géographique, mais aussi en raison des liens historiques, culturels et humanitaires
  • Ce mois-ci, le président américain Donald Trump a annoncé que la Serbie et le Kosovo avaient accepté de normaliser leurs liens économiques avec Israël

De nombreux acteurs étrangers portent ces derniers jours un intérêt particulier à la région des Balkans: de la Chine aux États-Unis et de l'Europe à la Russie. Cette région constitue également, depuis la désintégration de l'ex-Yougoslavie, une région prioritaire pour la Turquie, apparue comme un acteur important au cours des deux dernières décennies, en raison de son influence économique et politique croissante.

Du point de vue d'Ankara, les pays des Balkans sont importants non seulement aux niveaux politique, économique et géographique, mais aussi en raison des liens historiques, culturels et humanitaires. Toutefois, malgré son importance, l'évolution politique de la péninsule balkanique n'occupe pas les premières pages des journaux turcs, largement consacrés aux questions liées à l'UE, au Moyen-Orient et aux États-Unis. Cependant, ces derniers développements ont révélé que la région des Balkans n'est pas à l'abri des retombées des conflits du Moyen-Orient.

Ce mois-ci, le président américain Donald Trump a annoncé que la Serbie et le Kosovo avaient accepté de normaliser leurs liens économiques avec Israël dans le cadre de pourparlers engagés sous l'égide des États-Unis. Au terme de deux jours de rencontres avec les responsables de l'administration Trump, le président serbe Aleksandar Vucic et le premier ministre kosovar Avdullah Hoti ont signé des accords séparés avec les États-Unis. Dans ces accords, la Serbie a accepté de déplacer son ambassade en Israël  de Tel Aviv à Jérusalem et le Kosovo a accepté de normaliser ses relations avec Israël et d'établir des relations diplomatiques avec ce dernier. Saluant cette initiative, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui s'attend à de nouveaux engagements de la part de Pristina, a publié un message sur Twitter : "Je me félicite de l'accord avec le Kosovo qui sera le premier pays à majorité musulmane à ouvrir une ambassade à Jérusalem. La Serbie sera le premier pays à ouvrir une ambassade à Jérusalem après l’accord historique avec les Émirats Arabes Unis".

Suite à ces déclarations, Ankara n'a pas tardé à réagir. Le ministère turc des Affaires étrangères a publié une communication écrite exprimant sa profonde inquiétude concernant les décisions de la Serbie et du Kosovo. En outre, Ankara a exhorté le Kosovo à se conformer à la loi et à éviter toute mesure qui pourrait l'empêcher d'être reconnu par d'autres pays à l'avenir. Le ministère a également rappelé que la Turquie a été l'un des premiers pays à reconnaître le Kosovo, qui avait déclaré son indépendance de la Serbie en 2008, et qu'Ankara a soutenu le pays dans ses initiatives pour être reconnu par la communauté internationale.

Le président du Kosovo, Hashim Thaci, s'est rendu dimanche à Istanbul, où il a rencontré son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan. Néanmoins, les détails de cette rencontre n'ont pas encore été communiqués. M. Thaci a posté sur Twitter : "Je remercie le président (Erdogan) pour son accueil chaleureux et pour la conversation productive sur toutes les questions d'intérêt mutuel, y compris la coopération bilatérale, les questions régionales et mondiales. Nos deux nations entretiennent des relations amicales et renforceront davantage le partenariat stratégique".

Par ailleurs, l'Union européenne partage les mêmes préoccupations que la Turquie et n'est pas satisfaite des pourparlers entre la Serbie et le Kosovo, qui se déroulent sous la médiation des États-Unis. C’est en 2011 que les négociations entre les deux pays ont commencé, facilitées par l'UE. Cependant, elles se sont arrêtées en novembre 2018 pour reprendre seulement cet été après que les États-Unis ont entamé des négociations parallèles. Selon le porte-parole de la Commission européenne, Peter Stano,"Aucun Etat membre de l'UE n'a d'ambassade à Jérusalem ". Il a ajouté que les décisions de la Serbie et du Kosovo d'ouvrir des ambassades à Jérusalem constituent "un sujet très inquiétant et regrettable ". Bruxelles a exhorté les deux pays à aligner leurs positions en matière de politique étrangère à la position commune de l'UE sur le dossier israélo-palestinien. En attendant, selon les médias, la Serbie ne déplacera pas son ambassade à Jérusalem si Israël reconnaît le Kosovo.

D'ailleurs, la relation entre la Turquie et la Serbie a connu des hauts et des bas au fil des ans, y compris en 2013, lorsque M. Erdogan a déclaré dans un discours : "N'oubliez pas que le Kosovo est la Turquie et que la Turquie est le Kosovo". Cependant, ces dernières années, la Turquie et la Serbie ont entretenu des relations diplomatiques approfondies, puisque la Serbie considère qu'une Turquie stable est vitale pour la région des Balkans. De la même façon, M. Erdogan, qui s'est rendu à Belgrade en octobre dernier, a décrit la Serbie comme "un pays essentiel pour la paix et la stabilité dans les Balkans", affirmant que la collaboration avec la Serbie avait atteint un niveau "idéal".

En février, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, s'est rendu au Monténégro dans le cadre des efforts destinés à accroître l'implication de la Turquie dans les Balkans. Au cours de sa visite, Ankara et Podgorica ont dévoilé leur intention de renforcer les relations diplomatiques, économiques et de défense. Entre-temps, le parlement albanais a adopté en juillet un accord signé avec Ankara pour renforcer la coopération en matière de défense et d'économie. Ces dernières années, la plupart des pays des Balkans semblent être déterminés à approfondir leurs liens de défense avec la Turquie.

Pour sa part, la Turquie a également joué un rôle important pour promouvoir la participation des pays des Balkans à l'OTAN, par exemple en soutenant la candidature de la Macédoine à l'adhésion à l'alliance. A partir de 1995, Ankara a participé à toutes les opérations de l'OTAN dans les Balkans et a expédié ses soldats au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine pour servir auprès des forces de sécurité internationales.

Ces dernières années, la plupart des pays des Balkans semblent être déterminés à approfondir leurs liens de défense avec la Turquie.

À la dimension bilatérale, il est important de conférer l’aspect international. En effet, la Russie s'intéresse particulièrement et activement à cette région. En dépit de la coopération de plus en plus étroite entre la Turquie et Moscou dans la région du Moyen-Orient, la coordination entre les deux pays n'est pas encore établie dans les Balkans. La Russie peut apparaître comme un acteur avec lequel Ankara souhaiterait coopérer, si l’on considère plusieurs facteurs : les tensions entre la Turquie et les États-Unis et les intentions de Washington de renforcer sa présence militaire dans les Balkans, en particulier en Grèce. Les États-Unis ont déjà établi quatre bases militaires en Bulgarie ainsi que des éléments du système de défense anti-missiles en Roumanie. Contrairement à Washington, la Russie n'a pas déployé de troupes dans la région.

Si les conflits du Moyen-Orient débordent de ses frontières, la région des Balkans semble être restée jusqu'à présent en marge du champ d'action, étant donné l'implication de la Russie et des États-Unis dans la région.

 

Sinem Cengiz est analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. Twitter : @SinemCngz

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.