Comment les salariés du Golfe vivent-ils les mesures anti-Covid au travail?

dans un contexte où le secteur privé devient de plus en plus important et où les nationaux se voient poussés à travailler en entreprise, il devenait crucial de connaître le ressenti de ceux qui avaient fait ce choix et avaient subi de plein fouet la pandémie. (AFP).
dans un contexte où le secteur privé devient de plus en plus important et où les nationaux se voient poussés à travailler en entreprise, il devenait crucial de connaître le ressenti de ceux qui avaient fait ce choix et avaient subi de plein fouet la pandémie. (AFP).
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Publié le Jeudi 16 décembre 2021

Comment les salariés du Golfe vivent-ils les mesures anti-Covid au travail?

Comment les salariés du Golfe vivent-ils les mesures anti-Covid au travail?
  • Peu de statistiques existent sur un point essentiel: ce que pensent les salariés de la façon dont leur employeur a su gérer la crise
  • Tout l’enjeu des entreprises qui souhaiteraient poursuivre l’expérience du télétravail au-delà de la pandémie consistera donc à définir des indicateurs de performance suffisamment pertinents

La pandémie a été, dans le Golfe comme ailleurs, l’occasion pour les entreprises privées de tester leur résilience en proposant de nombreuses mesures pour poursuivre leur activité malgré tout.

Si les résultats économiques de ces mesures sont satisfaisants puisque les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) sont ceux qui semblent le mieux sortir de la crise et que leur économie a été plutôt moins affectée qu’ailleurs, peu de statistiques existaient sur un point essentiel: ce que pensaient les salariés de la façon dont leur employeur avait su gérer la crise.

Car l’essentiel est bien là: dans un contexte où le secteur privé devient de plus en plus important et où les nationaux se voient poussés à travailler en entreprise, il devenait crucial de connaître le ressenti de ceux qui avaient fait ce choix et avaient subi de plein fouet la pandémie.

Deux études ont été menées par des d’étudiants de MBA sur des aspects essentiels du ressenti des salariés du secteur privé: une équipe a étudié les employés koweïtiens du secteur privé et leur confiance dans les mesures prises par leurs entreprises respectives; une autre a mené une enquête très détaillée dans une grande entreprise saoudienne, notamment pour évaluer l’approbation des mesures parfois très contraignantes qu’elle avait prises

L’enquête menée au Koweït montre que globalement, la confiance dans les capacités de l’employeur à limiter la propagation de la pandémie au travail est relativement limitée: 54 % des trois cent quatre-vingt-sept Koweïtiens interrogés estiment que leur entreprise a suffisamment de ressources pour faire face à la Covid-19. Ce chiffre monte légèrement, à 55 %, lorsqu’on les interroge sur la capacité des salariés de l’entreprise à lutter collectivement contre la pandémie mais il tombe à 47 % lorsqu’on leur demande s’ils estiment que l’entreprise a des connaissances suffisantes pour contrer la Covid.

En revanche, la résilience, c’est-à-dire la capacité à se remettre de la crise, est beaucoup plus importante: 73 % pensent que leur emploi est en sécurité malgré la crise, 80 % estiment que leur salaire sera maintenu et 79 % que leurs horaires de travail seront toujours les mêmes après la pandémie.

L’autre étude, réalisée en Arabie saoudite, porte sur les mesures concrètes et notamment le télétravail. On y constate que dans cette grande entreprise industrielle, 90 % des salariés estiment que travailler de chez soi est aussi productif que de travailler au bureau. Près de 58 % pensent que leurs tâches professionnelles peuvent être menées à bien aussi efficacement que sur leur lieu de travail. Plus de 67 % estiment que les réunions en ligne sont plus efficaces que celles en présentiel.

65 % des salariés interrogés pensent que le télétravail permet davantage de participer aux tâches ménagères et dans une même proportion, ils estiment que le travail à la maison leur permet un plus juste équilibre entre travail et vie privée.

Lorsque l’on aborde la notion de stress, il apparaît évident que le travail à distance est plébiscité: 78% des salariés interrogés s’estiment moins stressés en travaillant à domicile. Toutefois, seuls 63 % estiment qu’il est facile de «couper» lorsque l’on travaille de chez soi. Étant donné qu’il n’y a pas de séparation physique entre le lieu de travail et le domicile, on imagine que la coupure est en effet beaucoup moins nette et que les managers peuvent avoir tendance à contacter l’employé en dehors de ses heures de travail plus facilement. Bien évidemment, lorsque l’on croise les données, ceux qui estiment qu’il est plus difficile de couper lorsque l’on travaille de chez soi sont logiquement ceux qui se montrent les plus hostiles au télétravail.

Cette étude, qui semble plébisciter le travail à distance bien davantage qu’en Occident, tient sans doute à une caractéristique culturelle qu’est l’attachement à la famille: 65 % des salariés estiment que le télétravail leur permet de passer plus de moments privilégiés avec leur famille. Alors qu’en Occident, les salariés peuvent se sentir dérangés d’avoir leurs propres enfants près d’eux lorsqu’ils travaillent, il semble que ce soit beaucoup plus accepté en Arabie saoudite.

Cela se traduit fort logiquement par une rupture sur l’adhésion au télétravail entre célibataires et mariés. Les premiers rejetant plutôt le télétravail car la socialisation se fait en partie au bureau tandis que les hommes et les femmes mariés (les hommes dans une plus importante proportion) estiment que le télétravail est une bonne chose en termes de vie de famille.

Il s’avère que le télétravail est un dispositif très apprécié, notamment pour des raisons liées à la culture arabe de la famille, que ce soit par les hommes ou par les femmes.

De même, 65 % des salariés interrogés pensent que le télétravail permet davantage de participer aux tâches ménagères et dans une même proportion, ils estiment que le travail à la maison leur permet un plus juste équilibre entre travail et vie privée.

En définitive, si les salariés du secteur privé dans le Golfe ont tendance à douter des capacités de leurs entreprises à lutter efficacement contre la pandémie, deux enseignements peuvent être tirés: d’abord, il est important de pouvoir assurer autant que faire se peut la sécurité de l’emploi, il s’avère que c’est le point qui revient le plus souvent, indépendamment des mesures concrètes prises par le management. Ensuite, et c’est un élément qui pourrait se prolonger au-delà de la pandémie, il s’avère que le télétravail est un dispositif très apprécié, notamment pour des raisons liées à la culture arabe de la famille, que ce soit par les hommes ou par les femmes.

Tout l’enjeu des entreprises qui souhaiteraient poursuivre l’expérience du télétravail au-delà de la pandémie consistera donc à définir des indicateurs de performance suffisamment pertinents pour s’assurer que la productivité est la même à domicile ou au bureau: les salariés n’en seront que plus épanouis, ce qui est primordial pour des pays qui poussent leurs ressortissants à travailler dans le secteur privé marchand.

 

Arnaud Lacheret est docteur en science politique, Associate Professor à l’université du golfe Arabique de Bahreïn, où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.

Ses derniers livres, Femmes, musulmanes, cadres – Une intégration à la française et La Femme est l’avenir du Golfe, sont parus aux éditions Le Bord de l’Eau.

TWITTER: @LacheretArnaud

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.