Pour une stratégie commune en cas d’accord à Vienne

Le négociateur iranien en chef, Ali Bagheri, quitte le palais Coburg à Vienne où se déroulent les négociations sur le programme nucléaire de son pays, le 27 décembre dernier. (AFP).
Le négociateur iranien en chef, Ali Bagheri, quitte le palais Coburg à Vienne où se déroulent les négociations sur le programme nucléaire de son pays, le 27 décembre dernier. (AFP).
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Publié le Mardi 11 janvier 2022

Pour une stratégie commune en cas d’accord à Vienne

Pour une stratégie commune en cas d’accord à Vienne
  • Si l’on en croit les déclarations des parties concernées par les négociations sur le nucléaire iranien en cours à Vienne, le processus s’orienterait vers un possible accord
  • Il est impératif que les pays de la région visés par les ingérences belliqueuses iraniennes se dotent d’une stratégie commune

Si l’on en croit les déclarations des parties concernées par les négociations sur le nucléaire iranien en cours à Vienne, le processus s’orienterait vers un possible accord qui aboutirait au retour des États-Unis à l’accord de 2015 entre l’Iran et le groupe P5+1 (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie, Chine, plus l’Allemagne). L’ancien président, Donald Trump, s’en était retiré en 2018; l’Iran avait alors déclenché une série de violations allant crescendo, jusqu’à relever le taux d’enrichissement de l’uranium à plus de 60 %. De quoi susciter l’inquiétude de la communauté internationale qui a perçu cette violation comme dangereuse, du fait que le taux d’enrichissement de l’uranium se rapproche des 90 % nécessaires pour un usage militaire.

Le programme nucléaire iranien change de trajectoire. Selon tous les experts en la matière, l’Iran en est au «sprint» final avant de pouvoir se doter de l’arme nucléaire.

Depuis 2018, les États-Unis, sous l’impulsion de l’administration Trump, multiplient les sanctions à l’encontre du régime de Téhéran. En représailles, ce dernier se lance, au prétexte des sanctions, dans une course contre la montre afin de progresser sur le chemin de la militarisation du programme nucléaire. Les inspections faites par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ont subi des perturbations causées par les autorités iraniennes.

Les caméras de surveillance de l’agence sur les sites nucléaires iraniens ainsi que leur contenu n’ont pas pu pas être livrées aux inspecteurs de l’agence pour être analysés. Les visites éclair accordées aux inspecteurs sur des sites suspects à la suite d’un accord annexe entre Téhéran et l’AIEA ont été suspendues. Le programme nucléaire iranien change de trajectoire. Selon tous les experts en la matière, l’Iran en est au «sprint» final avant de pouvoir se doter de l’arme nucléaire.

 

Les Iraniens parlent d’un dernier «sprint»; les Russes, optimistes, prévoient plus de temps pour arriver à un accord; les Américains, réservés, attendent de voir du concret. Mais qu’adviendrait-il si un accord aboutit à Vienne ?

Les négociations de Vienne, initiées en avril 2021, vont s’interrompre net en juin, juste après l’élection présidentielle iranienne qui marquera l’arrivée d’une figure emblématique du camp des conservateurs. L’élection de M. Ebrahim Raïssi, chef du pouvoir judicaire, à la tête du pouvoir exécutif, marque un virage à droite, vers une radicalisation accrue du pouvoir à Téhéran. Cinq mois passeront sans que les négociations ne reprennent à Vienne. Un temps précieux perdu, tandis que les Iraniens mettent les bouchées doubles en accélérant le processus du programme nucléaire, qui très vite dévoilera sa face militaire, qui fut bien cachée pendant longtemps.

Le 29 novembre, retour à la table des négociations qui se poursuivent actuellement dans une atmosphère modérément optimiste. Les Iraniens parlent d’un dernier «sprint»; les Russes, optimistes, prévoient plus de temps pour arriver à un accord; les Américains, réservés, attendent de voir du concret.

Mais qu’adviendrait-il si un accord aboutit à Vienne ? La levée progressive des sanctions américaines, qui, l’on suppose, devrait s’opérer en parallèle d’un retour de Téhéran vers un strict respect de ses engagements prévus par l’accord de 2015, ainsi que ses annexes. En appliquant scrupuleusement les exigences de la communauté internationale, Téhéran devrait progressivement reprendre possession de ses avoirs gelés (des dizaines de milliards de dollars) dans les banques à travers le monde. Le pays en a cruellement besoin pour faire face à la crise économique sans précédent qu’il traverse, provoquée par les sévères sanctions américaines.

Le pouvoir iranien pourrait vraisemblablement se montrer également plus «généreux» en arrosant ses milices déployées entre l’Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen de dollars fraîchement récupérés grâce à l’accord sur le nucléaire.

Cet afflux de liquidité renforcé par un retour sur le marché du pétrole à la suite de la levée des sanctions qui visent le secteur pétrolier, doterait le pouvoir iranien d’une manne financière considérable, sans pour autant avoir à subir une quelconque surveillance quant à l’usage de ces fonds. Téhéran pourrait très bien utiliser ces rentres considérables non pas pour faire face à la crise économique, ni pour financer des projets nécessaires au développement économique du pays, mais au contraire pour financer encore plus «généreusement» son programme de développement de missiles balistiques. Pas moins dangereux que le programme nucléaire.

Le pouvoir iranien pourrait vraisemblablement se montrer également plus «généreux» en arrosant ses milices déployées entre l’Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen de dollars fraîchement récupérés grâce à l’accord sur le nucléaire. Ces milices chiites pro-iraniennes, financées, entraînées et lourdement armées, téléguidées depuis Téhéran, sont partout considérées au Moyen-Orient comme une menace à la souveraineté et à l’unité des États que Téhéran cherche à déstabiliser.

Un grand défi se profile à l’horizon. Il se poserait dans le cas d’un accord à Vienne. Dans ce cas, il serait urgent de trouver le moyen de faire face à l’éventualité d’une recrudescence des ingérences iraniennes avec l’arrivée de milliards de dollars dans les caisses du régime. Il est clair que le groupe P5+1 se contente strictement de négocier un accord sur le nucléaire. Les autres sujets brûlants sont écartés, et on mise sur le temps pour trouver des solutions.

Il est impératif que les pays de la région visés par les ingérences belliqueuses iraniennes se dotent d’une stratégie commune pour contenir ce danger venu de l’est. Le pouvoir iranien, qui se radicalise de jour en jour, n’est pas près de changer de comportement. Bien au contraire, il faut s’attendre à un Iran bien plus arrogant, agressif, et armé de dollars «frais»!

 

 

Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.

Twitter: @AliNahar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.