De la quarantaine par temps d’épidémie… Quelle histoire!

Un employé municipal s'apprête à fermer la promenade des Anglais à Nice à la veille du confinement de mars 2021. (AFP).
Un employé municipal s'apprête à fermer la promenade des Anglais à Nice à la veille du confinement de mars 2021. (AFP).
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Publié le Jeudi 13 janvier 2022

De la quarantaine par temps d’épidémie… Quelle histoire!

De la quarantaine par temps d’épidémie… Quelle histoire!
  • Un lazzaretto est, selon le dictionnaire de Furetière, «un lieu de quarantaine pour malades atteints de maladies incurables et contagieuses»
  • Le système dit «de la quarantaine» avait désigné d’abord un confinement strict d’une durée effective de quarante jours

La mise à l’écart par l’isolement avait déjà une connotation religieuse: séparer l’impur et le pur. Avec une référence à la pratique du «carême». Cela s’était ensuite appliqué aux malades contaminés par la lèpre, la peste ou le choléra. On nommait l’établissement recevant ces malades «lazaret». Au XVIe siècle, un lazaret accueillant des lépreux était appelé «léproserie».

Saint Lazare ou Nazareth?

Il y eut des lazarets un peu partout, en France, en Allemagne, en Pologne, au Liban, à la Réunion, en Égypte, en Italie… Le mot «lazaret» serait issu de l’italien lazzaretto, attesté depuis 1494, par un croisement avec le nom de saint Lazare, patron des Lépreux: un lazzaretto est donc, selon le dictionnaire de Furetière, «un lieu de quarantaine pour malades atteints de maladies incurables et contagieuses».

Selon la Revue du Patrimoine, l’italien lazzaretto «serait lui-même une déformation de Nazareth. En effet, ce fut sur un îlot de la lagune de Venise, dénommé “Santa Maria di Nazareth”, que fut fondé en 1423 le premier établissement destiné en Europe à mettre en quarantaine les pestiférés». Et Pierre-Louis Taget, médecin «spécialiste de l’histoire hospitalière», de poursuivre: «Lazaret n'a donc pas grand-chose à voir avec saint Lazare (par ailleurs patron des lépreux et non des pestiférés), mais résulte néanmoins très vraisemblablement d'une contamination linguistique avec le nom de Lazare (Nazaretto/Lazzaretto)».

Et quid de la quarantaine

Le système dit «de la quarantaine» avait désigné d’abord un confinement strict d’une durée effective de quarante jours. Le mot, attesté depuis le XIIe siècle, fut emprunté à l’italien quaranta («quarante»).

En 1635, le lexicographe Philibert Monet (1566-1643) en donnait cette définition: «isolement de quarante jours imposé aux voyageurs arrivant d'un endroit où règne une maladie contagieuse». Mais c’est bien après le XVIIe siècle que le mot sera employé au sens où nous l’entendons aujourd’hui: une «quarantaine» peut aussi bien désigner une mise à l’isolement (sous contrôle) d’une semaine, de dix jours ou plus…

Depuis le surgissement du coronavirus SARS-CoV-2, cette contrainte est devenue le dénominateur commun de la majorité des pays dans le monde dans leur gestion de l’épidémie. Le non-respect des consignes peut avoir de graves conséquences, en effet. Déjà, il y a trois siècles, alors que la peste sévissait à Marseille, le propriétaire d’un bateau fit sortir des marchandises qu’il transportait avant la fin de la quarantaine, ce qui causa 50 000 décès en ville! (1)

En 1865, entre février et mars, «143 pèlerins musulmans, Indiens et Javanais pour la plupart, sont frappés par le choléra à bord de deux navires britanniques qui les acheminent vers les lieux saints de l’islam. À la faveur du pèlerinage à La Mecque, l’épidémie se propage à grande vitesse»(2). 

En 1913, un lazaret fut établi à Oujda, au Maroc, par la France coloniale, pour lutter contre la peste. Le nom même de «Lazaret» désigne aujourd’hui un grand quartier de la ville. En Algérie, dès le début de la colonisation française, un lazaret servit à accueillir des colons atteints de maladies contagieuses. Ironie de l’histoire, c’est un célèbre restaurant algérois, Le Dauphin, qui occupera le lieu, après l’Indépendance.

L’internationalisation de la quarantaine

Face à ces menaces qui pesaient sur le pourtour de la Méditerranée et au-delà, jusqu’en Asie, des Conférences internationales se multiplièrent. Comme celle de Venise, en 1892, qui porta sur l’épidémie de choléra sévissant en Espagne, et se conclut le 30 janvier 1892 par une Convention diplomatique internationale – qui serait comme l’ancêtre du Règlement sanitaire international (R.S.I.). On renforça le contrôle des mouvements (hommes et marchandises) en provenance de l’Asie et empruntant le canal de Suez. En 1894, à Paris, la Convention s’intéressa particulièrement au pèlerinage de La Mecque et à la défense sanitaire du Golfe (3).

Bien que les virus ne connaissent pas les frontières, il régna longtemps une atmosphère de suspicion sur les Orientaux, comme si ceux-ci étaient génétiquement porteurs de souches virales! La suspicion connut ses limites dans ce qui fut appelée «L’Affaire de Vintimille»: en 1900, des pèlerins catholiques français non vaccinés, se rendant à Rome, furent interdits d’entrée dans le territoire italien. Commentaire d’un journaliste de l’époque: «A-t-on craint qu’ils ne fussent contaminés à Rome, ou a-t-on voulu, au contraire, préserver les Romains de contacts dangereux?» (4).

Au XIXe siècle, il y avait à Beyrouth un lazaret nommé «La Quarantaine» (Karantina, pour les Beyrouthins). Un établissement où étaient confinés les voyageurs en provenance de pays où sévissait la peste ou le choléra. C'est de La Quarantaine qu'en 1850 Flaubert écrivit une lettre à sa cousine, Olympe Bonenfant, dont voici des extraits pour que la pensée de l'auteur de Madame Bovary et du Dictionnaire des idées reçues vous accompagne et que votre confinement vous paraisse moins contraignant, ou que vous vous sentiez moins seul-e...

Lettre de Flaubert confiné à Beyrouth à sa cousine Olympe Bonenfant, du lazaret de Beyrouth

23 juillet 1850

«Nous sommes en ce moment en suspicion de choléra parce que le paquebot qui nous a amenés d’Alexandrie ici avait touché à Malte et qu’à Malte quinze jours auparavant il y avait eu deux cas de choléra.

Conséquemment nous sommes claquemurés dans une presqu’île et gardés à vue – L’appartement dans lequel je t’écris n’a ni chaises ni divans ni table ni meubles ni carreaux aux fenêtres – on fait même petit besoin par la place des carreaux des dites fenêtres, détail que tu trouveras peut-être superflu, mais qui ajoute à la couleur locale.

Il n’y a rien de plus drôle que de voir nos gardiens qui communiquent avec nous à l’aide d’une perche, font des sauts de mouton pour nous éviter quand nous les approchons, et reçoivent notre argent dans une écuelle remplie d’eau.

Pour nous purifier cet imbécile était venu nous empester avec des fumigations de soufre. Notre malheureux groom était déjà presque asphyxié et toussait comme cent diables enrhumés – Quand on veut leur faire des peurs atroces, on n’a qu’à les menacer de les embrasser – ils pâlissent.

En résumé quoique nous soyons présentement dans un local de nom funèbre nous rions beaucoup – d’ailleurs nous avons sous les yeux un des panoramas comme on dit en style pittoresque des plus splendides du monde – la mer bleue comme de l’eau d’indigo bat les pieds du rocher sur lequel nous sommes huchés.

Elle est si transparente que lorsqu’on descend au bord, on voit dans l’eau nager les poissons, et remuer au fond les grandes herbes et les varechs qui s’inclinent et se redressent au mouvement des vagues» (5).

 

(1) Pierre-Louis Laget, Les lazarets et l'émergence de nouvelles maladies pestilentielles au XIXe et au début du XXe siècle, In Situ, http://journals.openedition.org/insitu/1225
(2) Luc Chantre, Entre pandémie et panislamisme. L’imaginaire colonial du pèlerinage à La Mecque (1866-1914), http://journals.openedition.org/assr
(3) Op. Cit. https://journals.openedition.org/insitu/1225?lang=en
(4) Journal satirique Le Voltaire, in Archives Nationales (AN), F19/5562, article du 8 février 1900. EHESS, juillet-septembre 2013.
(5) Source: d'après l'intégrale, publié dans L'Orient-Le Jour du 31-3-20.

 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

TWITTER: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.