Bombardements aveugles, pertes civiles: craintes d'un bain de sang en Ukraine

Plus de 350 civils ont été tués depuis le début de la guerre, selon les chiffres ukrainiens, et plus de 800 000 personnes ont fui le pays, selon l'ONU. (Photo, AFP)
Plus de 350 civils ont été tués depuis le début de la guerre, selon les chiffres ukrainiens, et plus de 800 000 personnes ont fui le pays, selon l'ONU. (Photo, AFP)
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Publié le Mercredi 02 mars 2022

Bombardements aveugles, pertes civiles: craintes d'un bain de sang en Ukraine

Plus de 350 civils ont été tués depuis le début de la guerre, selon les chiffres ukrainiens, et plus de 800 000 personnes ont fui le pays, selon l'ONU. (Photo, AFP)
  • La deuxième ville d'Ukraine, où ont débarqué des troupes aéroportées russes mardi, est sous le feu de l'artillerie depuis trois jours, et au moins vingt personnes ont été tuées dans des bombardements au centre-ville
  • Le Premier ministre britannique Boris Johnson a accusé mercredi la Russie de s'être rendue coupable de «crime de guerre» en Ukraine en raison des armes utilisées contre des civils

PARIS/ BRUXELLES: Bombardements massifs et destructeurs, accusations de « crimes de guerre » et d'utilisation d'armes prohibées: l'offensive russe en Ukraine commence à évoquer sinistrement pour certains les images des guerres syrienne ou tchétchène, et font craindre le déclenchement du redoutable rouleau compresseur russe. 

Grozny la Tchétchène, Alep la Syrienne: ces deux villes emblématiques écrasées et réduites en cendres par les bombardements russes en 1999 et 2016 reviennent dans les esprits, même si les analystes rappellent que les situations et le contexte sont différents. 

« Comme si c'était de nouveau Alep », twitte le spécialiste de la Syrie au Middle East Institute, Charles Lister, sous des images de Kharkiv bombardée. 

La deuxième ville d'Ukraine, où ont débarqué des troupes aéroportées russes mardi, est sous le feu de l'artillerie depuis trois jours, et au moins vingt personnes ont été tuées dans des bombardements au centre-ville. 

Plusieurs autres villes, comme Kherson ou Marioupol dans le sud, ont été ou sont toujours soumises à d'intenses bombardements et le président Volodymyr Zelensky dénonce, à l'instar de plusieurs ONG et dirigeants occidentaux, des « crimes de guerre », accusant Moscou de chercher à « effacer » l'Ukraine. 

Vladimir Poutine affirme pour sa part que Kiev commet un « génocide » dans les territoires pro-russes de l'est du pays. 

Des organisations comme Amnesty International et Human Rights Watch dénoncent depuis quelques jours l'emploi d'armes comme les bombes à sous-munitions (interdites par la convention d'Oslo depuis 2010) dans les zones civiles, et évoquent des « crimes de guerre », photos et vidéos à l'appui. 

L'usage d'armes thermobariques, extrêmement dévastatrices et très peu précises, a également été évoqué mais non confirmé de façon indépendante. 

Boris Johnson accuse la Russie de «crime de guerre» en Ukraine

Le Premier ministre britannique Boris Johnson a accusé mercredi la Russie de s'être rendue coupable de « crime de guerre » en Ukraine en raison des armes utilisées contre des civils et appelé l'ONU à « exiger » un retrait russe. 

« Ce que nous avons déjà vu de la part du régime de Vladimir Poutine concernant l'utilisation des munitions larguées sur des civils innocents, cela constitue déjà à mon avis un crime de guerre », a-t-il déclaré devant les députés britanniques, qui se sont levés pour une ovation à l'ambassadeur ukrainien Vadym Prystaïko, présent dans les galeries de la Chambre des Communes. 

Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé lundi l'ouverture « aussi vite que possible » d'une enquête sur la situation en Ukraine, évoquant des « crimes de guerre » et « crimes contre l'humanité ». 

« Poutine a fait une grave erreur de calcul dans son odieuse attaque contre une nation souveraine », a déclaré M. Johnson. 

« Il a sous-estimé l'extraordinaire force d'âme du peuple ukrainien ainsi que l'unité et la détermination du monde libre à s'opposer à sa barbarie », a-t-il ajouté. 

Il a appelé les pays membres de l'ONU à condamner, lors du vote de l'Assemblée générale prévu mercredi, l'invasion russe de l'Ukraine et à « exiger que Poutine fasse rentrer ses tanks »: « Si, au contraire, Poutine redouble d'efforts, nous continuerons à augmenter la pression économique. » 

« Bombes non guidées »  

« Les crimes de guerre à échelle industrielle ne sont pas nouveau pour Poutine. Il ne s'est jamais inquiété des victimes civiles quand il bombardait il y a plus de 20 ans les citoyens russes de Tchétchénie ou (des années plus tard) des hôpitaux en Syrie », s'est indigné mardi le champion d'échecs russe en exil Garry Kasparov. 

« Ca a commencé à Kharkiv. Ils poursuivent le scénario tchétchène », s'inquiète de son côté Alexandra Prys, porte-parole de l'ambassade ukrainienne en France, « comme ils ont détruit Grozny, nous craignons tous que Poutine n'ait pas de limites ». 

Lancée le 24 février, l'offensive russe sur l'Ukraine a commencé de façon inhabituelle pour la doctrine stratégique russe, rappelle le chercheur Elie Tenenbaum, de l'Institut français des relations internationales, estimant que Moscou avait « retenu ses coups » et évité des dommages collatéraux. 

« Les premiers jours, les Russes ont utilisé leurs capacités modernes, des frappes à distance avec des missiles de croisière, des missiles balistiques Iskander », des armes testées des années auparavant dans « le laboratoire syrien ». 

« Mais, outre que ce sont des équipements onéreux et dont ils ne disposent pas en quantité infinie, ils se sont heurtés à la résistance ukrainienne », explique le chercheur, constatant que l'armée russe revient à ses « fondamentaux »: appui d'artillerie et appui aérien massifs. 

« Le gros de leur puissance de feu, c'est des bombes non guidées. Ca risque d'écraser les forces ukrainiennes, ça va provoquer des victimes civiles en très très grand nombre et accroître l'exode. Les choses vont tourner à la guerre dans ce qu'elle a de plus brutal et de plus violent », prévoit-il. 

Parallèles à nuancer  

« Iront-ils jusqu'aux extrémités utilisées à Alep ou à Grozny ? Je ne pense pas qu'il y ait de réticence particulière au sein de l'état-major russe à provoquer des victimes civiles, mais c'est plus discutable si on parle des soldats, qui ont une proximité avec la population ukrainienne et peuvent s'interroger sur la légitimité » de l'invasion, estime M. Tenenbaum. 

« L'Ukraine, pour les Russes, ce n'est pas comme la Syrie, c'est beaucoup plus compliqué pour eux de faire des tapis de bombes, ce sont des gens qui leur sont proches, certains ont des parents. C'est d'ailleurs pour cela que Poutine les traite de nazis, parce que les Russes ne perçoivent pas initialement les Ukrainiens comme des ennemis », analyse un diplomate européen. 

Les parallèles avec la Tchétchénie - Grozny fut rasée lors de la deuxième guerre (1999-2009) - et la Syrie - où l'aviation russe est intervenue massivement à partir de 2015 pour sauver son allié Bachar al-Assad face à la rébellion - doivent être fortement nuancés, souligne le chercheur. 

« En Tchétchénie, la Russie était chez elle et son armée n'avait rien à voir avec ce qu'elle est aujourd'hui, professionnalisée à 50%. En Syrie, le contingent terrestre russe était extrêmement limité et sur le terrain c'étaient les forces syriennes, le Hezbollah ou les milices qui étaient la chair à canon », rappelle-t-il. 

Rien de tel en Ukraine où des dizaines de milliers de soldats russes sont engagés et où l'adversaire ukrainien dispose de moyens et d'un soutien international massif, ce qui n'était pas le cas en Tchétchénie ou en Syrie. 

Plus de 350 civils ont été tués depuis le début de la guerre, selon les chiffres ukrainiens, et plus de 800 000 personnes ont fui le pays, selon l'ONU. 

Bélarus: l'UE sanctionne 22 officiers supérieurs pour avoir aidé Moscou à envahir l'Ukraine

L'Union européenne a ajouté mercredi 22 officiers supérieurs des forces armées du Bélarus à sa liste noire des personnes sanctionnées pour leur soutien à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, selon un communiqué. 

« Compte tenu de la gravité de la situation et du fait que le Bélarus participe à une invasion russe non provoquée contre l'Ukraine en autorisant une agression militaire à partir de son territoire, le Conseil estime qu'il convient d'ajouter vingt-deux personnes à la liste des personnes physiques et morales, entités et organismes faisant l'objet de mesures restrictives », indique le communiqué publié avec la liste des noms, leurs grades et leurs fonctions au Journal officiel de l'UE. 

Ces sanctions « ciblées » consistent en un gel des avoirs et une interdiction de voyager et de séjourner dans l'UE. 


Attaques contre des sites nucléaires: Washington doit rendre des comptes, juge Téhéran

Les installations iraniennes devaient rouvrir lundi. (AFP)
Les installations iraniennes devaient rouvrir lundi. (AFP)
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  • « En cas de négociations potentielles, l'un des sujets à l'ordre du jour concernera la nécessité de demander des comptes aux États-Unis et de réclamer des dédommagements a indiqué le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Esmaïl Baghaï
  • Washington avait déjà qualifié de « ridicule » la demande de compensations attendues par Téhéran. 

TEHERAN : Un haut responsable a déclaré lundi que Téhéran attendait des États-Unis, en cas de reprise des négociations, qu'ils rendent des comptes et versent des dédommagements pour leurs attaques sur des sites nucléaires iraniens, tout en excluant des pourparlers directs avec Washington.

En juin, Israël avait lancé une offensive sans précédent contre l'Iran, notamment contre ses infrastructures nucléaires. Les États-Unis étaient intervenus en bombardant des sites nucléaires iraniens.

« En cas de négociations potentielles, l'un des sujets à l'ordre du jour concernera la nécessité de demander des comptes aux États-Unis et de réclamer des dédommagements pour l'agression militaire contre les installations nucléaires pacifiques de l'Iran », a indiqué en conférence de presse le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Esmaïl Baghaï.

Interrogé sur l'éventualité de pourparlers directs, il a répondu : « non ».

Washington avait déjà qualifié de « ridicule » la demande de compensations attendues par Téhéran. 

Le 13 juin, Israël a lancé une attaque contre l'Iran, bombardant pendant plusieurs jours des sites militaires et nucléaires, ainsi que des zones habitées, faisant plus de 1 000 morts.

Les représailles iraniennes ont fait 29 morts en Israël.

Téhéran et Washington étaient engagés dans des négociations en vue de conclure un nouvel accord sur le programme nucléaire iranien lorsque l'offensive a été lancée, avec pour objectif affiché d'empêcher l'Iran de se doter de la bombe atomique.

Téhéran a toujours réfuté avoir de telles ambitions.

Après la guerre, l'Iran a officiellement suspendu toute coopération avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), estimant que cette agence de l'ONU avait une part de responsabilité dans le déclenchement des frappes israéliennes.

Lundi, M. Baghaï a déclaré que l'Iran restait engagé par le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), tout en critiquant « l'approche politisée et non professionnelle » de l'AIEA.

Le directeur adjoint de l'agence est attendu en Iran « dans moins de dix jours », a précisé le porte-parole. En juillet, son pays s'était dit prêt à reprendre la coopération avec l'AIEA sous « une nouvelle forme ».

Face à la politique d'enrichissement d'uranium de l'Iran, les pays occidentaux menacent Téhéran d'activer un mécanisme permettant de réimposer des sanctions internationales.


En Israël, d'anciens généraux et des maîtres-espions réclament "l'arrêt de la guerre à Gaza"

Cette image, extraite d'une vidéo publiée sur le compte X (anciennement Twitter) officiel du ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, le montre en train de s'exprimer devant le Dôme du Rocher, sur le site de la mosquée Al-Aqsa (le Mont du Temple), dans la vieille ville de Jérusalem, le 3 août 2025, à l'occasion de la fête juive de Tisha Be'Av. Le ministre de la Sécurité nationale, d'extrême droite, s'y est rendu tôt le matin du 3 août pour prier, ont rapporté les médias israéliens, précisant qu'il s'agissait de la première fois qu'un membre du gouvernement israélien s'y rendait. (Photo : Itamar Ben Gvir, compte X/AFP)
Cette image, extraite d'une vidéo publiée sur le compte X (anciennement Twitter) officiel du ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, le montre en train de s'exprimer devant le Dôme du Rocher, sur le site de la mosquée Al-Aqsa (le Mont du Temple), dans la vieille ville de Jérusalem, le 3 août 2025, à l'occasion de la fête juive de Tisha Be'Av. Le ministre de la Sécurité nationale, d'extrême droite, s'y est rendu tôt le matin du 3 août pour prier, ont rapporté les médias israéliens, précisant qu'il s'agissait de la première fois qu'un membre du gouvernement israélien s'y rendait. (Photo : Itamar Ben Gvir, compte X/AFP)
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  • « Arrêtez la guerre à Gaza ! », exhorte ce courrier du mouvement « Commandants pour la sécurité d'Israël » (CIS), signé par 550 anciens chefs espions, militaires, policiers et diplomates, et rendu public dans la nuit de dimanche à lundi.
  • « Nous avons le devoir de nous lever », alerte Ami Ayalon, ancien directeur du Shin Bet, le service de sécurité intérieure, dans une vidéo diffusée par le mouvement pour accompagner ce courrier.

JERUSALEM : Près de 600 anciens responsables de l'appareil sécuritaire israélien, notamment du Mossad et du Shin Bet, ont appelé le président américain, Donald Trump, à faire pression sur le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, pour mettre fin à la guerre à Gaza et ainsi ramener « les otages chez eux ».

« Arrêtez la guerre à Gaza ! », exhorte ce courrier du mouvement « Commandants pour la sécurité d'Israël » (CIS), signé par 550 anciens chefs espions, militaires, policiers et diplomates, et rendu public dans la nuit de dimanche à lundi.

« Nous avons le devoir de nous lever », alerte Ami Ayalon, ancien directeur du Shin Bet, le service de sécurité intérieure, dans une vidéo diffusée par le mouvement pour accompagner ce courrier.

« Cette guerre a commencé comme une guerre juste, une guerre défensive. Mais une fois tous ses objectifs militaires atteints et une brillante victoire militaire contre tous nos ennemis, elle a cessé d'être une guerre juste. Elle conduit l'État d'Israël à perdre sa sécurité et son identité », estime M. Ayalon. 

Parmi les signataires de la lettre et les personnes apparaissant dans la vidéo, on compte trois anciens patrons du Mossad (le service de renseignement extérieur) : Tamir Pardo, Efraim Halevy et Danny Yatom, cinq ex-dirigeants du Shin Bet (Nadav Argaman, Yoram Cohen, Ami Ayalon, Yaakov Peri et Carmi Gilon), ainsi que trois ex-chefs d'état-major : Ehud Barak, Moshe Bogie Yaalon et Dan Halutz.

« Chacune de ces personnes a siégé aux réunions du cabinet, opéré dans les cercles les plus confidentiels et participé à tous les processus de prise de décision les plus sensibles et les plus délicats », souligne la voix off de la vidéo diffusée sur X par la radio de l'armée.

À eux seuls, et « ensemble, ils ont plus de mille ans d'expérience en matière de sécurité nationale et de diplomatie », souligne-t-elle. 

« Au bord de la défaite »

« Au nom de CIS, le plus grand groupe d'anciens généraux israéliens de l'armée, du Mossad, du Shin Bet, de la police et des services diplomatiques équivalents, nous vous exhortons à mettre fin à la guerre à Gaza. Vous l'avez fait au Liban. Il est temps de le faire à Gaza également », plaident-ils auprès de Donald Trump.

« Tsahal (l'armée israélienne) a depuis longtemps atteint les deux objectifs qui pouvaient être réalisés par la force : démanteler les formations militaires et le gouvernement du Hamas », estiment les membres du CIS. « Le troisième, et le plus important, ne peut être atteint que par un accord : ramener tous les otages chez eux. »

« Nous considérons, en tant que professionnels, que le Hamas ne représente plus une menace stratégique pour Israël, et notre expérience nous indique qu'Israël dispose de tout ce qu'il faut pour gérer ses capacités résiduelles de terreur, à distance ou autrement », estiment-ils.

« Traquer les derniers hauts responsables du Hamas peut se faire plus tard, mais les otages ne peuvent pas attendre. »

« Votre crédibilité auprès de la grande majorité des Israéliens renforce votre capacité à guider le Premier ministre Netanyahu et son gouvernement dans la bonne direction », ajoutent les signataires, qui poursuivent : « Mettre fin à la guerre, ramener les otages, arrêter les souffrances et former une coalition régionale et internationale qui aide l'Autorité palestinienne (une fois réformée) à offrir aux Gazaouis et à tous les Palestiniens une alternative au Hamas et à son idéologie perverse. »

« Nous sommes au bord de la défaite », commente dans la vidéo l'ancien directeur du Mossad, Tamir Pardo. « Ce dont le monde est témoin aujourd'hui, c'est ce que nous avons fait », déplore-t-il à propos des conditions humanitaires désastreuses dans le territoire palestinien assiégé.

« Nous nous cachons derrière un mensonge que nous avons engendré. Ce mensonge a été vendu au public israélien, et le monde a depuis longtemps compris qu'il ne reflète pas la réalité. »

« Nous avons un gouvernement que les zélotes messianiques ont entraîné dans une direction irrationnelle », estime pour sa part Yoram Cohen (Shin Bet). « Ils sont une minorité (…) mais le problème est que la minorité contrôle la politique. »


Hiroshima : 80 ans après le drame, la double peine des victimes coréennes

La « Flamme de la Paix » est photographiée au Parc du Mémorial de la Paix, dédié à la ville et aux victimes du bombardement atomique de 1945, à Hiroshima, le 30 mai 2025. (Photo de Richard A. Brooks / AFP)
La « Flamme de la Paix » est photographiée au Parc du Mémorial de la Paix, dédié à la ville et aux victimes du bombardement atomique de 1945, à Hiroshima, le 30 mai 2025. (Photo de Richard A. Brooks / AFP)
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  • Quelque 740 000 personnes ont été tuées ou blessées lors des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki.
  • Selon les données disponibles, plus de 10 % des victimes étaient coréennes. 

HAPCHEON, COREE DU SUD : Victime du bombardement de Hiroshima à l'âge de cinq ans, la Coréenne Bae Kyung-mi a vécu dans le secret une grande partie de sa vie : à ses stigmates physiques s'est ajoutée une stigmatisation sociale telle qu'elle a caché son statut de survivante à ses proches.

Le 6 août 1945, alors qu'elle jouait chez elle, elle se rappelle avoir entendu des avions au-dessus de sa tête. Quelques minutes plus tard, elle s'est retrouvée ensevelie sous les décombres.

« J'ai dit à ma mère en japonais : “Maman, il y a des avions !” Il y a des avions ! » raconte la désormais octogénaire à l'AFP.

Son oncle et sa tante n'ont pas survécu à l'effondrement de leur immeuble.

« Je n'ai jamais dit à mon mari que j'étais à Hiroshima et que j'avais été victime du bombardement », confie Mme Bae.

« À l'époque, les gens disaient souvent que vous aviez épousé la mauvaise personne si elle avait survécu à un bombardement atomique. »

Ses deux fils n'ont appris qu'elle avait été à Hiroshima que lorsqu'elle s'est inscrite dans un centre pour les victimes, dans sa ville de Hapcheon, en Corée du Sud.

Les radiations dont elle a été victime l'ont obligée à subir une ablation des ovaires et d'un sein, en raison du risque élevé de cancer.

Quelque 740 000 personnes ont été tuées ou blessées lors des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki.

Selon les données disponibles, plus de 10 % des victimes étaient coréennes. 

- Discrimination -

Kim Hwa-ja avait quatre ans le 6 août 1945. Elle se souvient avoir été contrainte de fuir Hiroshima dans une charrette tirée par des chevaux.

La fumée emplissait l'air et la ville brûlait, raconte-t-elle. Sa mère lui criait de se réfugier sous une couverture et de ne pas regarder.

Des organisations estiment qu'entre 30 000 et 50 000 Coréens se trouvaient dans la ville ce jour-là, dont des dizaines de milliers d'ouvriers forcés sur les sites militaires.

Mais les documents sont peu précis.

« Le bâtiment municipal a été tellement dévasté qu'il n'a pas été possible de retrouver des documents clairs », a déclaré un fonctionnaire territorial à l'AFP.

La politique coloniale japonaise interdisait l'utilisation de noms coréens, ce qui complique encore la recherche dans les registres.

Les rescapés qui sont restés au Japon ont subi une double discrimination : d'une part, en tant que survivants, ou « hibakusha » en japonais, et d'autre part, en tant que Coréens.

Les victimes coréennes n'ont été reconnues qu'à la fin des années 1990, lorsqu'un monument funéraire a été érigé dans le parc du Mémorial de la paix de Hiroshima.

Quant aux dizaines de milliers de survivants coréens qui sont retournés dans leur pays nouvellement indépendant, ils ont également été confrontés à la stigmatisation. 

- Reconnaissance minimale -

« À l'époque, des rumeurs infondées circulaient selon lesquelles l'exposition aux radiations pouvait être contagieuse », explique Jeong Soo-won, directeur du Centre des victimes de la bombe atomique, qui organise une cérémonie de commémoration le 6 août à Hapcheon.

Selon M. Jeong, il resterait environ 1 600 survivants sud-coréens en vie à l'échelle nationale, dont 82 résident au centre.

Séoul a promulgué une loi spéciale en 2016 pour aider les survivants, leur accordant notamment une allocation mensuelle d'environ 62 euros, mais cette loi ne prévoit aucune assistance pour leurs descendants.

Beaucoup d'entre eux ont pourtant « été touchés par les bombardements » et « souffrent de maladies congénitales », selon M. Jeong.

Il assure néanmoins qu'une disposition visant à les soutenir « doit être prévue » à l'avenir.

L'année dernière, un groupe de survivants japonais a reçu le prix Nobel de la paix.

Mais, 80 ans après les attaques, beaucoup d'entre eux, tant au Japon qu'en Corée, affirment que le monde n'a toujours pas tiré les leçons de ces horreurs.

Le président américain Donald Trump a récemment comparé ses frappes sur les installations nucléaires iraniennes aux bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki.