Sur la piste des oligarques russes

Une photo prise le 12 novembre 2008 montre le Premier ministre russe Vladimir Poutine (à droite) s'entretenant avec le président de la compagnie pétrolière Transneft Nikolai Tokarev (à gauche) à Moscou. Les deux hommes ont discuté de la gestion des actifs énergétiques stratégiques du pays. (Alexey Nikolsky / Ria Novosti / AFP)
Une photo prise le 12 novembre 2008 montre le Premier ministre russe Vladimir Poutine (à droite) s'entretenant avec le président de la compagnie pétrolière Transneft Nikolai Tokarev (à gauche) à Moscou. Les deux hommes ont discuté de la gestion des actifs énergétiques stratégiques du pays. (Alexey Nikolsky / Ria Novosti / AFP)
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Publié le Lundi 07 mars 2022

Sur la piste des oligarques russes

  • L'Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni allongent depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février leurs listes des proches du régime russe
  • Sont également concernés «leurs conjoints, leurs enfants, leur SCI (société civile immobilière), de façon à ce qu'ils ne puissent pas se dissimuler derrière des montages financiers»

PARIS : Étrangler financièrement le large cercle de milliardaires proches du Kremlin: la riposte occidentale à l'invasion de l'Ukraine passe par le gel des comptes en banque, villas et navires de luxe des oligarques russes. Mais les grosses prises, comme quelques yachts en France et en Italie ces derniers jours, sont encore assez rares, illustrant la difficulté à mettre en œuvre l'arsenal de mesures de rétorsion.

Dans le collimateur

A chaque jour ses nouveaux noms. L'Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni allongent depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février leurs listes des proches du régime russe, devenus d'un trait de plume parias du système financier international. Même la Suisse et Monaco rejoignent le mouvement.

Parlementaires, haut-gradés militaires, journalistes en vue, industriels et financiers de premier ordre... plusieurs centaines de personnes font désormais l'objet du gel de leurs avoirs, assorti parfois d'interdictions de séjour.

Parmi eux Nikolaï Tokarev, président du poids lourd du pétrole et du gaz Transneft et présenté par l'UE comme une «connaissance de longue date» du président russe, Sergueï Tchemezov, patron du conglomérat de l'industrie de défense Rostec, l'homme d'affaires russo-ouzbèke Alicher Ousmanov, désigné comme «l'un des oligarques préférés de Vladimir Poutine», ou le dirigeant de la banque de développement russe VEB Igor Chouvalov.

Les magnats visés se verront saisir «yachts, appartements de luxe et jets privés», a menacé mardi 1er mars le président américain Joe Biden dans son discours sur l'état de l'Union.

Sont également concernés «leurs conjoints, leurs enfants, leur SCI (société civile immobilière), de façon à ce qu'ils ne puissent pas se dissimuler derrière des montages financiers», a souligné le même jour le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire.

Des montages souvent motivés par un souci de discrétion ou d'optimisation fiscale.

Aux oligarques, c'est-à-dire de riches personnalités proches du pouvoir russe, s'ajoute «une sorte d'arrière-ban très fourni, quelque 2.000 à 3.000 personnes qui sont aussi très, très riches [...] et qui sont toutes liées et ont soutenu le régime» de Vladimir Poutine, précise le professeur au centre d'étude de la corruption de l'Université du Sussex (Brighton, Royaume-Uni) Robert Barrington.

De Londres à la Côte d'Azur

La France «est une terre d'accueil de ces biens mal acquis», constate Sara Brimbeuf, responsable de l'ONG Transparency International France, auprès de l'AFP. Et «l'immobilier de luxe est une voie privilégiée du blanchiment de la corruption ou du détournement de fonds publics».

Les avoirs immobiliers de ces personnalités se concentrent dans des stations balnéaires prisées de la Côte d'Azur, dans l'Ouest parisien et dans une poignée de lieux de villégiature des Alpes. Mais il est très compliqué de les identifier avec certitude.

Daria Kaleniuk, figure de proue ukrainienne de la lutte anti-corruption citée par Transparency, a épluché registres du cadastre, greffe et documents confidentiels révélés par des lanceurs d'alerte. Selon elle, une villa à Saint-Tropez appartient au fondateur du géant de l'aluminium Rusal Oleg Deripaska, soumis depuis l'annexion de la Crimée en 2014 à des sanctions américaines.

Les noms de Boris et Arkadi Rotenberg, nouvellement ciblés par les Américains, sont eux reliés à deux propriétés proches de Nice et de Grasse, d'après Mme Kaleniuk. Les deux frères, amis d'enfance de Vladimir Poutine avec qui ils pratiquaient le judo, ont contrôlé un temps des géants du BTP et se sont enrichis grâce à des contrats publics énormes, en particulier pour les jeux Olympiques d'hiver de Sotchi en 2014.

Une somptueuse villa à Saint-Raphaël est aussi attribuée par Daria Kaleniuk à Gennady Timchenko, cité sur les listes européenne et américaine et considéré par l'UE comme un «confident» de Poutine. Ce milliardaire est co-fondateur et actionnaire de plusieurs sociétés, dont le groupe d'investissement Volga et celui de négoce de matières premières Gunvor.

Le Club de Cavalière, un hôtel de luxe du Lavandou situé sur le Cap Nègre, fait partie d'une société dirigée par son épouse Elena.

Londres, en raison des facilités longtemps offertes aux Russes fortunés et à leurs familles et de son système éducatif d'élite, a également attiré nombre d'investissements d'oligarques jusqu'à en gagner le surnom de «Londongrad».

Le total des avoirs immobiliers acquis au Royaume-Uni par des russes accusés de corruption ou proches du Kremlin «que nous avons pu tracer s'élève à 1,5 milliard de livres», soit plus d'1,8 milliard d'euros, note le professeur Barrington, qui cite les quartiers huppés de Kensington, Chelsea ou Hampstead. Mais «c'est sûrement beaucoup plus que ça en réalité».

Les oligarques ont investi sur tous les continents et leurs avoirs sont visés dans d'autres pays comme l'Australie et le Japon. Aucun des interlocuteurs interrogés par l'AFP n'était en mesure de valoriser le total de ces biens.

Obstacles nombreux

Pour appliquer les sanctions, tout repose sur une poignée de professionnels: banquiers, notaires, avocats... Ceux-là même régulièrement accusés de fermer les yeux.

Les investissements russes douteux «ne se font pas tout seuls», explique Jodi Vittori, chercheuse spécialiste de la corruption à l'Université de Georgetown, aux Etats-Unis, et membre non résident de la fondation Carnegie pour la paix internationale. Les oligarques «ont des facilitateurs: avocats, comptables, marchands d'art...»

«Tous ne jouent pas leur rôle», renchérit Mme Brimbeuf, chez Transparency, et «ils ne font pas leurs déclarations de soupçons (signalement aux autorités, NDLR), alors qu'ils sont soumis à des obligations de lutte antiblanchiment».

Les révélations le 20 février d'un consortium de journalistes autour de Credit Suisse, accusée d'avoir hébergé pendant plusieurs décennies des dizaines de milliards d'euros de fonds d'origine criminelle ou illicite, «montre que la banque a manqué dans les grandes largeurs à ses obligations de déclaration».

Le recensement des avoirs s'avère long et fastidieux, «l'examen des fichiers se faisant à la main», selon un porte-parole d'une grande banque. Souvent, des sociétés écrans et montages fiscaux complexes doivent être passés au crible pour relier une personne ciblée par les sanctions et ses biens.

«Un des obstacles est le recours aux prête-noms», explique à l'AFP Julien Martinet, avocat du cabinet français Swiftlitigation. Diligenter des enquêtes contre ces derniers «demanderait une mobilisation de services du renseignement importante».

Conséquence: peu de grosses «prises» médiatisées jusqu'à présent.

Un méga-yacht d'une valeur de 100 à 120 millions d'euros, L'Amore Vero, a été saisi jeudi à La Ciotat (sud de la France). Il s'apprêtait à voguer vers la Turquie, a indiqué Eric Salles, chef des opérations pour la garde-côte douanière en Méditerranée. Il appartient à une société liée au puissant patron du géant pétrolier russe Rosneft, Igor Setchine.

L'Italie a elle annoncé samedi avoir gelé pour environ 140 millions d'euros de biens d'oligarques russes, dont deux yachts mis sous séquestre la veille: le Lady M, d'une valeur de 95 millions d'euros et appartenant au magnat de l'acier Alexei Mordachov, un proche de Poutine visé par les sanctions de l'UE, et le Lena (50 millions d'euros), propriété de Gennady Timchenko.

La mise en œuvre des sanctions «ne peut pas se faire du jour au lendemain», relève auprès de l'AFP Carole Grimaud Potter, professeure de géopolitique de la Russie à l'Université de Montpellier et fondatrice du think tank Center for Russia and Eastern Europe Research.

Sara Brimbeuf rappelle que «plusieurs enquêtes ouvertes il y a plus de dix ans lors des printemps arabes sont encore en cours».

«Task force»

Pour contourner ces difficultés, le ministre américain de la Justice Merrick Garland a annoncé mercredi la création d'une cellule dédiée à la poursuite des «oligarques russes corrompus». Baptisée «KleptoCapture», elle compte plus de dix procureurs, spécialistes de droit pénal ou de sécurité nationale, ainsi que des enquêteurs de la police fédérale, des impôts ou des services postaux.

La France a elle aussi sa «task force», soit plusieurs dizaines de personnes issues de l'administration fiscale (DGFiP), du service de renseignement financier Tracfin, des douanes et de la direction générale du Trésor.

Même des amateurs participent à la traque. Sur Twitter, l'adolescent américain Jack Sweeney, piste les jets privés sur son compte «Russian Oligarchs Jets».

Mais il ne suffit pas d'identifier les biens. Si la constitution des listes d'oligarques à l'échelle européenne permet le gel de leurs avoirs (l'interdiction de vendre ou de louer un bien immobilier par exemple, mais pas de l'habiter), l'étape suivante, qui est la saisie, est autrement plus complexe sur le plan juridique.

«Pour porter atteinte au droit de propriété, il faut une loi et pas seulement un règlement ou un arrêté», souligne M. Martinet.

Ce qui a permis la saisie du méga-yacht à La Ciotat, «c'est qu'ils ont essayé de se déplacer et se sont donc mis hors la loi», précise un superviseur de la «task force» française.

Sauve qui peut

Plusieurs milliardaires russes ont préféré envoyer au plus vite leurs yachts dans des eaux territoriales plus conciliantes.

«Il y a beaucoup d'échos dans le milieu (nautique) sur des yachts russes s'apprêtant à quitter la Côte d'Azur» par peur des sanctions, indique à l'AFP une source connaissant bien ce secteur, évoquant Dubaï comme une des destinations potentielles.

Les Maldives, qui n'ont pas de traité d'extradition vers les Etats-Unis, semblent aussi un point de chute: plusieurs yachts ont été repérés sur place, dont ceux appartenant aux magnats de l'aluminium Oleg Deripaska et de l'acier Alexander Abramov.

En revanche, on ne constate pas encore de ventes massives de biens immobiliers sur la Côte d'Azur, selon un responsable du syndicat des professionnels du secteur.

Plusieurs milliardaires russes ont en tout cas préféré couper les ponts avec leurs entreprises en vue.

Le célèbre propriétaire du club de football londonien de Chelsea Roman Abramovitch, pas (encore) ciblé par les sanctions, a mis en vente ses parts. Les recettes iront à une «fondation caritative au profit de toutes les victimes de la guerre en Ukraine», a indiqué ce proche de Poutine, qui s'est enrichi à la faveur des privatisations d'entreprises publiques sous Eltsine et en co-fondant le producteur d'aluminium Rusal.

Roman Abramovitch est à la tête d'une fortune d'environ 12 milliards d'euros selon Forbes, comprenant le château de la Croë au Cap d'Antibes, une demeure de 2.000 mètres carrés, deux yachts et plusieurs avions privés.

L'oligarque Mikhail Fridman s'est retiré du fonds d'investissement LetterOne qu'il a co-fondé et de tous les groupes européens dont il est actionnaire, tout comme son associé Petr Aven.

Les deux hommes, visés par les sanctions européennes, nient avoir une quelconque «relation financière ou politique» avec Vladimir Poutine. Mikhail Fridman a même dénoncé la guerre en Ukraine, une «tragédie» qui va «ravager» les deux pays.


Kajsa Ollongren : Cessez d’armer le Soudan, la CPI doit agir à Gaza

Kajsa Ollongren, représentante spéciale de l'UE pour les droits de l'homme. (Fourni)
Kajsa Ollongren, représentante spéciale de l'UE pour les droits de l'homme. (Fourni)
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  • La représentante spéciale de l’UE pour les droits de l'homme avertit que des gouvernements bafouent les règles multilatérales conçues pour protéger les civils en temps de conflit
  • Kajsa Ollongren déclare que l’UE doit travailler avec des États engagés dans le multilatéralisme et le droit humanitaire pour préserver un ordre mondial fondé sur des règles

​​​​​​NEW YORK CITY : Kajsa Ollongren, la représentante spéciale de l’UE pour les droits de l'homme, a averti que le Soudan endure des « atrocités inimaginables », appelant tous les pays fournissant des armes aux factions belligérantes à cesser immédiatement leurs transferts.

S’exprimant à Arab News après des missions au Liban et en Égypte et un dialogue sur les droits humains avec l’Arabie saoudite, Ollongren a déclaré que les armes étrangères alimentent l’un des conflits les plus dévastateurs et les moins médiatisés au monde, sans issue politique en vue.

Ses propos interviennent peu après que Volker Turk, haut-commissaire des Nations unies aux droits humains, ait lancé l’un de ses avertissements les plus sévères, estimant que le Soudan pourrait connaître « une nouvelle vague d’atrocités », avec des civils confrontés à l’épuration ethnique et aux déplacements massifs.

Turk a à plusieurs reprises prévenu que la violence pourrait atteindre des « niveaux catastrophiques » si le flux d’armes se poursuivait. Ollongren a déclaré que ces avertissements correspondaient à ce qu’elle avait entendu de la part du personnel régional des droits humains.

« Les atrocités dépassent vraiment l’imagination », a-t-elle confié à Arab News. « Pendant longtemps, le monde n’a pas prêté suffisamment attention à ce qui se passait au Soudan. Nous y prêtons attention maintenant, au moins, mais l’attention seule ne suffira pas à les arrêter. »

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Des familles soudanaises déplacées depuis El-Fasher tendent la main alors que des travailleurs humanitaires distribuent des vivres dans le camp nouvellement créé d’El-Afadh à Al Dabbah, dans l’État du Nord du Soudan, le 16 novembre 2025. (Photo AP/Archives)

Elle a affirmé que les gouvernements facilitant le conflit devaient être confrontés. « Il doit également y avoir une véritable interaction avec ces pays qui fournissent des armes. Sans ces armes, nous verrions la fin des atrocités plus rapidement … C’est inacceptable. »

Elle a ajouté que la pression coordonnée de l’Europe, du Golfe et de la communauté internationale au sens large est essentielle. « Il est très important, au niveau du Golfe, en Europe et globalement, d’appeler à l’arrêt des exportations d’armes », a-t-elle souligné.

Le conflit au Soudan a débuté en avril 2023 lorsqu’une lutte de pouvoir entre le chef des forces armées Abdel Fattah Al-Burhan et son ancien adjoint Mohammed Hamdan Dagalo, chef des Forces de soutien rapide (RSF), a dégénéré en conflit ouvert.

Selon les chiffres de l’ONU, environ 12 millions de personnes ont été déplacées, créant ce que beaucoup considèrent comme la pire catastrophe humanitaire au monde. Les estimations du nombre de morts varient largement, l’ancien envoyé américain pour le Soudan évoquant jusqu’à 400 000 victimes.

Bien que les forces armées soudanaises aient repris la capitale, Khartoum, aux RSF, le pays est effectivement divisé en deux, le gouvernement dirigé par les SAF contrôlant l’est et les RSF et milices alliées dominant l’ouest, y compris la région troublée du Darfour.

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En octobre, l’un des épisodes les plus brutaux du conflit a eu lieu lorsque les combattants des RSF ont capturé El-Fasher, capitale du Nord-Darfour, et ont commencé à massacrer des civils, déclenchant des déplacements massifs.

Le Soudan est revenu sur le devant de la scène diplomatique après la récente visite du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Washington, où il a discuté des développements avec le président américain Donald Trump et a appelé à un rôle plus actif pour mettre fin au conflit et prévenir les répercussions régionales.

Peu après, Trump a annoncé que les États-Unis « allaient immédiatement lancer un nouvel effort » pour mettre fin au conflit au Soudan, qu’il a qualifié de « lieu le plus violent sur Terre et de plus grande crise humanitaire », une décision largement interprétée comme une réponse à l’appel du prince héritier.

« Le fait que le président américain s’exprime ainsi sur les atrocités est important et sera entendu au Soudan », a déclaré Ollongren.

Mais elle a averti que les déclarations seules sont vaines sans suivi sérieux. « Il ne suffit pas de déclarer la fin d’une guerre ou d’un conflit », a-t-elle précisé. « Il doit y avoir un plan — qui inclut la reconstruction, la responsabilité et la reconstruction des sociétés tout en donnant du pouvoir aux victimes. »

Concernant le Liban, Ollongren a indiqué avoir ressenti un « élan » lors de ses récentes rencontres à Beyrouth, où l’engagement diplomatique s’est intensifié depuis le cessez-le-feu dans la guerre Israël-Hezbollah il y a un an.

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Kajsa Ollongren rencontre le président libanais Joseph Aoun. (Fournie)

Cela intervient malgré le refus d’Israël de se retirer du sud du Liban et ses frappes continues contre des positions supposées du Hezbollah, y compris l’attaque du mois dernier dans un quartier de Beyrouth qui a tué un commandant de milice.

Les dirigeants du Hezbollah insistent pour ne pas se désarmer tant qu’Israël n’aura pas retiré ses troupes.

« Il y a un élan pour davantage de paix et de stabilité et pour un avenir stable pour de nombreux pays de la région », a déclaré Ollongren. « Je vois le rôle que l’Arabie saoudite joue dans tout cela, ainsi que les efforts de l’Égypte pour négocier entre les parties. »

Elle a toutefois souligné la fragilité de la situation. « Il reste une incertitude quant au respect du cessez-le-feu et il n’existe pas encore de plan clair pour le désarmement du Hezbollah », a-t-elle dit.

« La responsabilité est cruciale. Au Liban, nous avons beaucoup parlé des assassinats politiques et de l’explosion au port de Beyrouth. Tout cela doit être traité avec justice, car sans cela l’impunité persiste, ce qui peut entraîner d’autres problèmes à l’avenir. »

Concernant la Syrie, qu’elle prévoit de visiter début 2026, Ollongren a déclaré que la situation reste instable.

« Nous avons constaté des violences et des victimes dans plusieurs régions du pays. La situation n’est pas sous contrôle », a-t-elle indiqué, en faisant référence aux attaques contre les minorités ethniques et religieuses au cours de l’année écoulée depuis que le régime d’Assad a été évincé.

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Des habitants agitent des drapeaux syriens dans le centre de Hama le 5 décembre 2025, lors des célébrations marquant un an depuis une offensive éclair menée par des islamistes ayant renversé le dirigeant de longue date du pays. (AFP)

Bien qu’elle se soit félicitée du retour récent de réfugiés syriens depuis le Liban comme d’un « bon signe », elle a averti que la stabilisation plus large reste lointaine alors que le gouvernement de transition du président Ahmad Al-Sharaa poursuit la réintégration nationale et l’allégement des sanctions.

Ollongren a également souligné l’influence diplomatique croissante de l’Arabie saoudite comme l’un des changements les plus significatifs dans la région. « L’Arabie saoudite suit une voie différente », a-t-elle dit, évoquant les réformes Vision 2030 et l’engagement mondial accru du Royaume.

« L’Arabie saoudite s’engage également avec l’Europe et l’UE, établissant des liens qui pourraient être très importants pour un Moyen-Orient plus stable. »

« Bien sûr, cela reconfigure aussi l’influence d’autres puissances. L’Égypte joue un rôle de longue date mais lutte avec son économie et la pression démographique. L’engagement saoudien pourrait être très impactant. »

À Gaza, Ollongren a décrit une « destruction complète » et un accès extrêmement limité comme des obstacles pour les médias et les efforts humanitaires. « Nous n’avons pas eu de journalistes indépendants pouvant rendre compte des victimes ou des destructions », a-t-elle dit.

« Petit à petit, les informations émergent, et nous voyons une destruction complète dans de nombreuses parties de Gaza. Les habitants n’ont plus de maisons où retourner et ont perdu un très grand nombre de civils, y compris des enfants. Il doit y avoir des comptes à rendre. »

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Des Palestiniens recherchent des décombres dans des bâtiments lourdement détruits par les bombardements israéliens à Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, alors qu’un cessez-le-feu tient le 12 octobre 2025. (AFP/Archives)

Israël a lancé ses opérations militaires à Gaza après l’attaque du 7 octobre 2023 menée par le Hamas dans le sud d’Israël, qui a fait 1 200 morts et 250 otages. Depuis lors, environ 70 000 Palestiniens ont été tués, selon le ministère de la Santé de Gaza.

Un cessez-le-feu fragile est entré en vigueur le 10 octobre, avec un recul des opérations israéliennes en échange de la libération des otages restants par le Hamas. Un petit flux d’aide humanitaire a été autorisé dans le territoire, mais les besoins médicaux, alimentaires et en abris restent immenses.

Ollongren a insisté sur le fait que la responsabilité pour les crimes de guerre allégués par les deux parties doit être assurée par la Cour pénale internationale.

« La CPI doit jouer un rôle dans ce dossier », a-t-elle déclaré. « Ils ont examiné à la fois le Hamas et Israël. C’est le bon lieu pour chercher justice et responsabilité. »

Interrogée sur le soutien des États européens aux mandats d’arrêt de la CPI visant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, Ollongren a répondu : « Nous sommes signataires du Statut de Rome, donc nous sommes liés par le traité.

« La cour décide des arrestations, des affaires et des poursuites de manière indépendante. Notre rôle est de garantir son indépendance et son bon fonctionnement. Donc oui. »

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Des manifestants défilent devant le siège des Nations unies à New York alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'exprime le 26 septembre 2025. (AFP/Archives)

Un nombre croissant de juristes, y compris une commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU, ont conclu qu’un génocide a eu lieu à Gaza au cours des deux dernières années.

Francesca Albanese, rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens, a récemment déclaré à Arab News que les réponses de l’UE et de l’Occident au génocide à Gaza ont été « pathétiques, hypocrites et marquées par des doubles standards ».

Elle a ajouté que les mêmes gouvernements invoquant le droit international pour condamner les actions de la Russie en Ukraine sont restés largement silencieux sur Gaza, permettant à des « violations flagrantes » de se dérouler.

Ollongren a répondu à cette critique. « Nous devrions, et nous devons, appliquer le droit international de manière cohérente dans tous les cas », a-t-elle affirmé.

« Nous ressentons l’accusation de doubles standards. Après les attaques du 7 octobre par le Hamas, l’Europe a soutenu Israël, reconnaissant son droit à se défendre. Mais au fur et à mesure que la guerre à Gaza se déroulait et que les victimes civiles augmentaient, nous sommes devenus plus critiques.

« L’UE a de plus en plus appelé Israël à respecter le droit humanitaire international et a travaillé pour garantir que l’aide humanitaire parvienne aux personnes dans le besoin.

« En même temps, nous soutenons l’Autorité palestinienne dans son rôle de gouvernance. Je pense que nous sommes désormais un partenaire beaucoup plus critique et équitable pour les deux parties. »

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Des Palestiniens font la queue pour un repas chaud dans une cuisine caritative gérée par le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) au camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de Gaza, le 26 avril 2025. (AFP/Archives)

Interrogée sur l’échec du système international, elle a indiqué que le problème ne vient pas des institutions mais des gouvernements.

« L’architecture que nous avons doit être protégée », a-t-elle déclaré. « Nous n’avons pas besoin d’un nouveau système. Le problème est qu’il n’est pas respecté. C’est pourquoi il est important que l’UE s’engage avec les pays qui soutiennent le système multilatéral, l’état de droit et le droit humanitaire international.

« Ces cadres ont été conçus pour protéger les plus vulnérables dans les conflits, pas pour empêcher les guerres. »

Elle a conclu par un message aux civils de Gaza et du Soudan.

« Je comprends que vous ayez perdu confiance dans le système international car il n’était pas là pour vous protéger lorsque vous avez été attaqués et que vous avez perdu vos proches », a-t-elle déclaré.

« C’est encore le meilleur système dont nous disposons. De mon côté, je me concentrerai sur la responsabilité et la justice, car du point de vue des droits de l'homme, c’est ce que je dois faire pour vous. »

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Plus de 200 personnalités demandent la libération du dirigeant palestinien Marwan Barghouti

Plus de 200 célébrités, dont l'écrivaine prix Nobel Annie Ernaux, la réalisatrice Justine Triet ou le chanteur Sting, ont demandé mercredi dans une lettre ouverte la libération de Marwan Barghouti, dirigeant palestinien emprisonné en Israël depuis 2002. (AFP)
Plus de 200 célébrités, dont l'écrivaine prix Nobel Annie Ernaux, la réalisatrice Justine Triet ou le chanteur Sting, ont demandé mercredi dans une lettre ouverte la libération de Marwan Barghouti, dirigeant palestinien emprisonné en Israël depuis 2002. (AFP)
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  • Cette initiative fait partie de la campagne internationale "Free Marwan", lancée par sa famille
  • La plupart des signataires se sont déjà exprimés publiquement pour mettre fin à la guerre dans la bande de Gaza

PARIS: Plus de 200 célébrités, dont l'écrivaine prix Nobel Annie Ernaux, la réalisatrice Justine Triet ou le chanteur Sting, ont demandé mercredi dans une lettre ouverte la libération de Marwan Barghouti, dirigeant palestinien emprisonné en Israël depuis 2002.

Marwan Barghouti, 66 ans et ancien cadre du Fatah, défend une résolution politique au conflit israélo-palestinien. Parfois surnommé par ses partisans le "Mandela palestinien", il est connu pour sa lutte contre la corruption et est cité comme un possible successeur du président palestinien Mahmoud Abbas.

La lettre ouverte, consultée par l'AFP, réunit des stars du cinéma comme Josh O'Connor, Benedict Cumberbatch et Javier Bardem, ainsi que des musiciens tels que Fontaines D.C. et Sting. Les autrices à succès Sally Rooney, Annie Ernaux ou Margaret Atwood ont également apporté leur soutien, tout comme les anciens footballeurs Éric Cantona et Gary Lineker.

"Nous exprimons notre vive inquiétude face à la détention continue de Marwan Barghouti, à ses mauvais traitements et au déni de ses droits légaux en prison", écrivent-ils, appelant "les Nations Unies et les gouvernements du monde à œuvrer activement" pour sa libération.

Cette initiative fait partie de la campagne internationale "Free Marwan", lancée par sa famille. La plupart des signataires se sont déjà exprimés publiquement pour mettre fin à la guerre dans la bande de Gaza.

Marwan Barghouti a été condamné à cinq peines de prison à vie par un tribunal israélien, qui l'a reconnu coupable d'implication dans des attaques meurtrières durant la seconde intifada (2000-2005).

Israël a refusé de le libérer dans le cadre des échanges de prisonniers, effectués depuis le début de la guerre à Gaza déclenchée après l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.

Son fils a déclaré en octobre qu'il avait été violemment battu par des gardiens israéliens lors d'un transfert de prison. En août, le ministre israélien d'extrême droite Itamar Ben Gvir a diffusé une vidéo où il prend à partie et sermonne Marwan Barghouti, apparaissant affaibli dans sa cellule.


Ukraine: «aucun compromis» sur les territoires occupés après une rencontre Poutine-Witkoff à Moscou

"Aucun compromis" n'a été trouvé mardi sur l'épineuse question des territoires occupés par la Russie en Ukraine après une rencontre à Moscou entre le président Vladimir Poutine et l'émissaire américain Steve Witkoff, qui lui présentait le plan de Washington pour mettre fin à près de quatre ans de guerre en Ukraine. (AFP)
"Aucun compromis" n'a été trouvé mardi sur l'épineuse question des territoires occupés par la Russie en Ukraine après une rencontre à Moscou entre le président Vladimir Poutine et l'émissaire américain Steve Witkoff, qui lui présentait le plan de Washington pour mettre fin à près de quatre ans de guerre en Ukraine. (AFP)
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  • M. Witkoff, accompagné du gendre du président américain, Jared Kushner, s'est entretenu pendant près de cinq heures au Kremlin avec le dirigeant russe à propos de ce plan présenté par Washington
  • "Nous avons pu nous mettre d'accord sur certains points (...), d'autres ont suscité des critiques, mais l'essentiel est qu'une discussion constructive ait eu lieu et que les parties aient déclaré leur volonté de poursuivre leurs efforts"

MOSCOU: "Aucun compromis" n'a été trouvé mardi sur l'épineuse question des territoires occupés par la Russie en Ukraine après une rencontre à Moscou entre le président Vladimir Poutine et l'émissaire américain Steve Witkoff, qui lui présentait le plan de Washington pour mettre fin à près de quatre ans de guerre en Ukraine.

M. Witkoff, accompagné du gendre du président américain, Jared Kushner, s'est entretenu pendant près de cinq heures au Kremlin avec le dirigeant russe à propos de ce plan présenté par Washington il y a deux semaines et depuis retravaillé lors de consultations avec les Ukrainiens.

"Nous avons pu nous mettre d'accord sur certains points (...), d'autres ont suscité des critiques, mais l'essentiel est qu'une discussion constructive ait eu lieu et que les parties aient déclaré leur volonté de poursuivre leurs efforts", a indiqué le conseiller diplomatique du Kremlin, Iouri Ouchakov.

Sur la question des territoires occupés par la Russie en Ukraine, qui représentent environ 19% du pays, "aucune solution de compromis n'a encore été choisie", même si "certaines propositions américaines peuvent être discutées", a précisé M. Ouchakov.

Il a qualifié la discussion d'"utile", mais prévenu qu'il "reste encore beaucoup de travail" pour parvenir à un accord, alors que les troupes russes ont accéléré leur avancée sur le front.

"Ce que nous avons essayé de faire, et je pense que nous avons fait quelques progrès, est de déterminer ce qui pourrait convenir aux Ukrainiens et leur donner des garanties de sécurité pour l'avenir", a déclaré pour sa part le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio sur la chaîne Fox News, sans qu'il soit précisé s'il s'exprimait après la fin des pourparlers.

Après cet entretien avec les Russes à Moscou, Steve Witkoff et Jared Kushner pourraient rencontrer mercredi en Europe une délégation de Kiev, selon une source ukrainienne à l'AFP.

"Nous sommes prêts" 

Quelques heures avant sa rencontre avec les Américains, Vladimir Poutine avait menacé les Européens, les accusant de chercher à "empêcher" les efforts de Washington pour mettre fin au conflit.

"Nous n'avons pas l'intention de faire la guerre à l'Europe, mais si l'Europe le souhaite et commence, nous sommes prêts dès maintenant", a-t-il lancé aux journalistes, en marge d'un forum économique.

Des propos qui tranchent avec ceux du chef de l'Otan, Mark Rutte, qui s'est dit peu avant convaincu que les efforts américains en Ukraine "finiront par rétablir la paix en Europe".

Le président américain Donald Trump a répété mardi que le règlement du conflit en Ukraine était une question complexe. "Ce n'est pas une situation facile, croyez-moi. Quel gâchis", a-t-il dit.

De son côté, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, sous forte pression politique et diplomatique, a accusé la Russie d'utiliser les pourparlers actuels pour tenter "d'affaiblir les sanctions" visant Moscou.

Il a appelé à la fin de la guerre et pas "seulement à une pause" dans les combats.

Les Etats-Unis ont annoncé fin octobre des sanctions contre deux géants du secteur des hydrocarbures russes, Rosneft et Lukoil, les premières sanctions d'importance prises par Donald Trump contre la Russie depuis son retour au pouvoir.

Les Européens espèrent que l'administration Trump, soupçonnée de complaisance vis-à-vis de Vladimir Poutine, ne sacrifiera pas l'Ukraine, considérée comme un rempart face à la Russie.

Accélération russe 

Ces discussions se sont déroulées alors que les forces russes ont réalisé en novembre leur plus grosse progression sur le front en Ukraine depuis un an, selon l'analyse par l'AFP des données fournies par l'Institut américain pour l'étude de la guerre (ISW), qui travaille avec le Critical Threats Project (CTP, émanation de l'American Enterprise Institute), deux centres de réflexion américains spécialisés dans l'étude des conflits.

En un mois, la Russie a pris 701 km2 aux Ukrainiens, la deuxième avancée la plus importante après celle de novembre 2024 (725 km2), en dehors des premiers mois de guerre au printemps 2022.

La Russie a revendiqué lundi la prise de la ville de Pokrovsk dans l'est de l'Ukraine, un nœud logistique clé pour Kiev, ainsi que celle de Vovtchansk, dans le nord-est. Mais l'Ukraine a affirmé mardi que les combats à Pokrovsk se poursuivaient.

En novembre, la Russie a tiré plus de missiles et de drones lors de ses attaques nocturnes sur l'Ukraine que durant le mois précédent, soit un total de 5.660 missiles et drones longue portée (+2%).

En interne, le président ukrainien est affaibli par un vaste scandale de corruption impliquant ses proches et qui a contraint son puissant chef de cabinet, Andriï Iermak, à la démission vendredi.