Le Royaume-Uni s'attaque au système ayant favorisé les flux d'argent russe

Le président russe Vladimir Poutine et l'oligarque Alisher Usmanov, récemment sanctionné par le Royaume-Uni. (Photo, AFP)
Le président russe Vladimir Poutine et l'oligarque Alisher Usmanov, récemment sanctionné par le Royaume-Uni. (Photo, AFP)
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Publié le Mercredi 09 mars 2022

Le Royaume-Uni s'attaque au système ayant favorisé les flux d'argent russe

  • Londres avait annoncé mi-février l'arrêt de ses "visas en or", avant d'allonger la liste des personnes visées par des sanctions d'environ une quinzaine de Russes proches du gouvernement de Vladimir Poutine
  • Le Premier ministre britannique Boris Johnson a promis lundi qu'il y avait «encore à faire» en matière de sanctions individuelles

LONDRES : Sanctions contre les oligarques, fin des "visas en or", loi contre la criminalité économique: l'invasion russe en Ukraine pousse le gouvernement britannique à s'attaquer à un système qui a attiré pendant des décennies de l'argent russe aux origines parfois douteuses.

"C'est la fin d'une époque", affirme Dominic Grieve, avocat et ancien président d'une commission parlementaire qui avait dénoncé en 2020 dans un rapport la complaisance de Londres face à l'origine de colossales sommes d'argent russe investies dans le pays.

Le rôle de facilitateur joué par le puissant secteur financier britannique et les armées d'avocats, comptables et autres agents immobiliers de la place londonienne est souvent pointé du doigt par les activistes anti-blanchiment.

Tout comme le gouvernement conservateur pour son manque d'efficacité voire une certaine hypocrisie dans la lutte contre les flux d'argent douteux qui ont irrigué l'économie britannique.

Mais l'escalade en Ukraine a forcé l'exécutif à réagir. Selon M. Grieve, l'installation de richissimes citoyens russes avait aussi été dopée à partir de 2008 par la mise en place de "visas en or", accordés en échange d'investissements se comptant en millions de livres.

Pôle d'attraction

Avec ces visas, "Londres et le Royaume-Uni sont devenus un pôle d'attraction indéniable", en particulier "pour des hommes d'affaires russes ayant gagné beaucoup d'argent dans des circonstances souvent très douteuses avec la désintégration de l'ex-Union soviétique", ajoute-t-il.

Ils ont vu dans le Royaume-Uni "un endroit agréable pour faire des affaires (...) et dans de nombreux cas vivre et y éduquer leurs enfants".

L'ONG Transparency International a identifié 1,5 milliard de livres sterling (1,8 milliard d'euros) de biens immobiliers détenus par des Russes accusés de corruption ou de liens avec le Kremlin dans des quartiers chics de Londres.

Et plus de 2 000 sociétés enregistrées dans le pays ou ses territoires ont été utilisées dans des affaires de blanchiment ou de corruption portant sur 82 milliards de livres (98,5 milliards d'euros) d'argent russe, toujours selon l'ONG, qui pointe le rôle "involontaire ou pas" de banques, cabinets d'avocats ou comptables britanniques.

Londres avait annoncé mi-février l'arrêt de ses "visas en or", avant d'allonger la liste des personnes visées par des sanctions d'environ une quinzaine de Russes proches du gouvernement de Vladimir Poutine.

Le Premier ministre britannique Boris Johnson a promis lundi qu'il y avait "encore à faire" en matière de sanctions individuelles. Et un projet de loi déposé au Parlement est censé empêcher le blanchiment via des propriétés immobilières en forçant à dévoiler l'identité finale des propriétaires qui ne pourront plus se "cacher" derrière une société.

"Il était évident" que beaucoup d'oligarques russes au Royaume-Uni "entretenaient des liens très étroits avec l'Etat russe", posant un risque pour la sécurité du pays, estime Dominic Grieve.

Au service des oligarques

La City de Londres "va être très touchée" par les sanctions visant les oligarques, telles que le gel de leurs avoirs ou des interdictions de voyager, "mais le Royaume-Uni attire des placements monétaires du monde entier", et "ça ne veut pas dire que c'est la faillite" pour le secteur, assure-t-il.

Les professionnels du secteur financier britannique étaient en outre déjà soumis à des lois destinées à contrôler les flux d'argent sale, mais elles n'étaient jusqu'ici que trop peu appliquées, notamment à cause d'un manque de moyens criant des services gouvernementaux de lutte contre la criminalité financière.

"Le nouveau paquet de mesure a le potentiel d'être très efficace" en particulier pour faire la lumière sur "les propriétaires de près de 90 000 biens immobiliers" détenus de façon opaque dans le pays, selon Ben Cowdock, responsable des enquêtes chez Transparency International au Royaume-Uni.

Mais "ces mesures devront bénéficier de moyens suffisants pour pouvoir être mises en oeuvre de façon efficace", prévient-il.

Selon une enquête de Transparency International en 2019, les fortunes investies dans le royaume provenaient certes en grande partie de Russie, mais aussi d'Ukraine, de Chine, du Nigeria entre autres.

"Depuis la fin de l'Empire (britannique), la Grande-Bretagne s'est consacrée au service des personnes et entreprises les plus riches du monde", pas seulement russes, abonde Oliver Bullough, auteur d'un livre sur le sujet qui sort cette semaine.

Malgré les récentes annonces gouvernementales, "il n'y a semble-t-il pas de prise de conscience que nous ne devrions pas accepter d'argent" douteux d'où qu'il vienne, regrette l'auteur auprès de l'AFP.

Et sans nouveaux moyens dédiés, il juge les annonces britanniques "très décevantes".


La note française menacée de passer en catégorie inférieure dès vendredi

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne. (AFP)
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  • La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne
  • Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie

PARIS: Fitch sera-t-elle vendredi la première agence de notation à faire passer la note souveraine française en catégorie inférieure? Les économistes, qui le pensaient il y a quelques jours, discernent des raisons d'en douter, mais ce ne pourrait être que partie remise.

Fitch ouvre le bal des revues d'automne des agences de notation. Toutes, au vu de l'état des finances publiques françaises et de la crise politique persistante depuis la dissolution, classent la France AA- ou équivalent (qualité de dette "haute ou bonne"), avec, pour certaines comme Fitch, une "perspective négative".

Ce qui préfigure une dégradation: en ce cas, la France basculerait en catégorie A (qualité "moyenne supérieure"), et devrait verser à ceux qui investissent dans sa dette une prime de risque supérieure, accroissant d'autant les remboursements de cette dette.

Pour Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management, une dégradation serait "logique". D'abord parce que la situation politique n'aide pas à mettre en œuvre "un plan crédible d'assainissement budgétaire", comme Fitch l'exigeait en mars.

Mais aussi pour effacer "une incohérence" : 17 pays européens sont moins bien notés que la France alors qu'ils ont - à très peu d'exceptions près - des ratios de finances publiques meilleurs que les 5,8% du PIB de déficit public et 113% du PIB de dette publique enregistrés en France en 2024.

Coup d'envoi 

Depuis mardi, la nomination rapide à Matignon de Sébastien Lecornu pour succéder à François Bayrou, tombé la veille lors du vote de confiance, ravive l'espoir d'un budget 2026 présenté en temps et heure.

Lucile Bembaron, économiste chez Asterès, juge ainsi "plausible" que Fitch "attende davantage de visibilité politique" pour agir.

D'autant, remarque Hadrien Camatte, économiste France chez Natixis, que les finances publiques n'ont pas enregistré cette année de nouveau dérapage inattendu, et que "la croissance résiste".

L'Insee a même annoncé jeudi qu'en dépit du "manque de confiance" généralisé, celle-ci pourrait dépasser la prévision du gouvernement sortant - 0,7% - pour atteindre 0,8% cette année.

Anthony Morlet-Lavidalie, responsable France à l'institut Rexecode, observe aussi que Fitch, la plus petite des trois principales agences internationales de notation, "donne rarement le coup d'envoi" des dégradations.

Mais il estime "très probable" que la principale agence, S&P Global, abaissera le pouce lors de sa propre revue, le 28 novembre.

Selon ses calculs, la France ne sera en effet pas en mesure de réduire à moins de 5% son déficit public l'an prochain, contre les 4,6% qu'espérait François Bayrou.

Les économistes affirment cependant qu'une dégradation ne troublerait pas les marchés, "qui l'ont déjà intégrée", relève Maxime Darmet, économiste senior chez Allianz Trade.

Syndrome 

La dette française s'y négocie déjà à un taux bien plus coûteux que la dette allemande, dépassant même l'espace d'une journée, mardi, le taux de la dette italienne.

Les marchés donnent déjà à la France une "notation implicite" bien plus basse que sa note actuelle de AA-, estime M. Morlet-Lavidalie.

Il craint des taux qui resteraient "durablement très élevés", provoquant "un étranglement progressif", avec des intérêts à rembourser captant "une part significative de la dépense publique, alors qu'on a des besoins considérables sur d'autres postes".

L'économiste décrit une France en proie au "syndrome du mauvais élève".

"Lorsqu'on avait 20/20", explique-t-il - la France était jusqu'à 2012 notée AAA, note maximale qu'a toujours l'Allemagne - "on faisait tout pour s'y maintenir. Maintenant on dit que 17/20 (AA-) ça reste une très bonne note. Bientôt ce sera +tant qu'on est au-dessus de la moyenne, c'est pas si mal+. Quand on est la France, en zone euro, on devrait quand même être un peu plus ambitieux que cela!", dit-il à l'AFP.

Pour autant, même abaissée à A+, "la dette française resterait de très bonne qualité", relativise M. Camatte, préférant souligner "la forte épargne des ménages et une position des entreprises qui reste très saine".


La précarité s'ancre dans le quotidien des Français, alerte le Secours populaire

Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier. (AFP)
Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier. (AFP)
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  • "La précarité est toujours plus ancrée en France, elle interfère dans tous les aspects de la vie, que ce soit la santé, les loisirs, la vie familiale", estime auprès de l'AFP Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire
  • "La situation en France s'est détériorée" depuis une quinzaine d'années et dernièrement "on observe une stabilisation", précise Henriette Steinberg

PARIS: La précarité s'ancre dans le quotidien des Français, touchant tous les aspects de la vie des plus fragiles, alerte jeudi le Secours Populaire, qui publie un baromètre témoignant de cette situation jugée préoccupante.

"La précarité est toujours plus ancrée en France, elle interfère dans tous les aspects de la vie, que ce soit la santé, les loisirs, la vie familiale", estime auprès de l'AFP Henriette Steinberg, secrétaire générale du Secours populaire.

L'association publie un baromètre qui indique qu'un tiers des Français (31%) rencontrent des difficultés financières pour se procurer une alimentation saine permettant de faire trois repas par jour. De même 39% ont du mal à payer leurs dépenses d'électricité et 49% à partir en vacances au moins une fois par an, selon ce sondage réalisé par l'Institut Ipsos, auprès d'un échantillon de 1.000 personnes, représentatif de la population nationale âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

"La situation en France s'est détériorée" depuis une quinzaine d'années et dernièrement "on observe une stabilisation", précise Henriette Steinberg.

Revenus insuffisants, dépense imprévue, endettement excessif: au final, un Français sur cinq s'estime précaire pour différentes raisons, soit 20% de la population, contre 24% l'an dernier.

Malgré un "léger mieux" constaté sur certains indicateurs lié au "ralentissement de l'inflation", ce baromètre révèle "une situation sociale toujours très préoccupante", selon le Secours populaire.

En début de semaine, la déléguée interministérielle à la prévention et la lutte contre la pauvreté, Anne Rubinstein, a évoqué des "difficultés" rencontrées par l'Etat pour résorber un taux de pauvreté qui a atteint un niveau record en 2023 en France métropolitaine.

Face à cette situation, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) a appelé mardi à une "mobilisation collective" pour "débloquer la lutte contre la précarité".

Au niveau européen, 28% de la population déclare se trouver en situation précaire, également selon ce baromètre du Secours Populaire, qui s'appuie aussi sur des échantillons de 1.000 personnes représentatifs de neuf autres pays (Allemagne, Grèce, Italie, Pologne, Royaume-Uni, Moldavie, Portugal, Roumanie, Serbie).

La part des personnes se considérant comme précaires demeure à un niveau "très alarmant" en Grèce (46%) et en Moldavie (45%), pointe le baromètre.

En 2024, le Secours populaire a soutenu 3,7 millions de personnes en France. L'association fournit notamment de l'aide alimentaire et organise des activités pour différents publics pour rompre l'isolement.


Face à l'explosion des dépenses militaires, l'ONU appelle à «repenser les priorités»

Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté. (AFP)
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté. (AFP)
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  • "Aujourd'hui, nous publions un rapport qui révèle une réalité saisissante: le monde dépense bien plus à faire la guerre qu'à construire la paix", a-t-il déclaré Antonio Guterres
  • Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les dépenses militaires mondiales ont atteint en 2024 près de 2.700 milliards de dollars, en hausse de plus de 9% sur un an

NATIONS-UNIES: Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé mardi le monde à "repenser les priorités" en redirigeant une partie des dépenses militaires record vers le développement de l'humanité et la lutte contre la pauvreté.

"Aujourd'hui, nous publions un rapport qui révèle une réalité saisissante: le monde dépense bien plus à faire la guerre qu'à construire la paix", a-t-il déclaré Antonio Guterres.

Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les dépenses militaires mondiales ont atteint en 2024 près de 2.700 milliards de dollars, en hausse de plus de 9% sur un an.

C'est "l'équivalent de 334 dollars par habitant de la planète", "près de 13 fois le montant de l'aide publique au développement des pays les plus riches et 750 fois le budget ordinaire de l'ONU", a noté Antonio Guterres.

Et en parallèle, la majorité des Objectifs de développement durables (ODD) visant à améliorer le sort de l'humanité d'ici 2030 (éradication de l'extrême pauvreté, égalité hommes-femmes, éducation...) ne sont pas sur la bonne voie.

Pourtant, mettre un terme à la faim dans le monde d'ici 2030 nécessiterait seulement 93 milliards de dollars par an, soit 4% des dépenses militaires de 2024, et faire en sorte que chaque enfant soit totalement vacciné coûterait entre 100 et 285 milliards par an, note le rapport demandé par les Etats membres.

Au total, l'ONU estime aujourd'hui à 4.000 milliards de dollars les investissements supplémentaires nécessaires chaque année pour atteindre l'ensemble des ODD, un montant qui pourrait grimper à 6.400 milliards dans les prochaines années.

Alors le secrétaire général de l'ONU a lancé un "appel à l'action, un appel à repenser les priorités, un appel à rééquilibrer les investissements mondiaux vers la sécurité dont le monde a vraiment besoin".

"Des dépenses militaires excessives ne garantissent pas la paix, souvent elles la sapent, encourageant la course aux armements, renforçant la méfiance et détournant des ressources de ce qui représentent les bases de la stabilité", a-t-il ajouté. "Un monde plus sûr commence par investir au moins autant pour lutter contre la pauvreté que nous le faisons pour faire la guerre".

"Rediriger même une fraction des dépenses militaires actuelles pourraient combler des écarts vitaux, envoyer des enfants à l'école, renforcer les soins de santé de base, développer les énergies propres et des infrastructures résistantes, et protéger les plus vulnérables", a-t-il plaidé.