«Génocide» en Ukraine: Au-delà des faits à établir, l'usage d'une rhétorique

Des corps sont exhumés d'une fosse commune dans l'enceinte de l'église Saint-André et Pyervozvannoho dans la ville ukrainienne de Boucha, au nord-ouest de Kiev, le 13 avril 2022 (Photo, AFP).
Des corps sont exhumés d'une fosse commune dans l'enceinte de l'église Saint-André et Pyervozvannoho dans la ville ukrainienne de Boucha, au nord-ouest de Kiev, le 13 avril 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Jeudi 14 avril 2022

«Génocide» en Ukraine: Au-delà des faits à établir, l'usage d'une rhétorique

  • Le président américain Joe Biden a remis le débat sur la place publique mardi
  • S'il appartient aux «avocats, au niveau international», de trancher sur la qualification de génocide, «pour moi, cela y ressemble bien», a-t-il déclaré

PARIS : Plusieurs responsables politiques n'ont pas hésité à qualifier de "génocide" les violences contre les civils en Ukraine, mais, au-delà de faits qui restent à établir, l'argument relève à ce stade d'une rhétorique politique plus que de faits juridiquement établis.

Le président américain Joe Biden a remis le débat sur la place publique mardi. S'il appartient aux "avocats, au niveau international", de trancher sur la qualification de génocide, "pour moi, cela y ressemble bien", a-t-il déclaré.

Avant lui notamment, le Premier ministre britannique Boris Johnson l'avait évoqué, tout comme le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Le président russe Vladimir Poutine lui-même a employé le terme à maintes reprises pour dénoncer la politique de Kiev dans le Donbass, une région de l'Ukraine en proie depuis 2014 à une guerre entre l'armée ukrainienne et les séparatistes prorusses.

"Je dois parler de la russophobie comme d’un premier pas vers un génocide. C’est ce qui se passe en ce moment dans le Donbass", avait-il affirmé en décembre.

La convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide, datant de 1948, le décrit comme un "crime commis dans l'intention de détruire, ou tout, ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux".

Récemment, le terme a été évoqué pour le sort réservé par Pékin à la minorité musulmane des Ouïghours ou les violences commises par la junte birmane contre celle des Rohingyas.

Mais chaque dossier mérite son analyse propre. Cecily Rose, professeur de droit public international à l'université de Leiden, aux Pays-Bas, estime ainsi qu'il existe de "nombreuses preuves" étayant l'hypothèse de génocides contre les Ouïghours et les Rohingyas.

«Brouillard de la guerre»

En revanche, "je ne pense pas que ce qui se passe en Ukraine relève de la définition du génocide", dit-elle.

La Cour pénale internationale (CPI) a déjà ouvert une enquête. "L'Ukraine est une scène de crime (...). Nous devons transpercer le brouillard de la guerre pour parvenir à la vérité", a déclaré mercredi son procureur, le Britannique Karim Khan, à Boutcha, près de Kiev. 

Mais les juristes sont plus prudents que les politiques.

"Le mot génocide a une définition légale précise mais il est aussi largement utilisé par les responsables politiques et les militants à cause de sa capacité à enflammer et exciter" les opinions publiques, explique William Schabas, professeur de droit international à l'université Middlesex de Londres.

"C'est un superlatif, un terme que vous utilisez quand d'autres comme 'crimes de guerre' et 'crimes contre l'Humanité' ne semblent pas être suffisamment efficaces sur le plan de la rhétorique", précise-t-il, qualifiant les propos de Joe Biden de "cavaliers". 

Car, de facto, l'enjeu fondamental dépasse les joutes oratoires. Les qualifications de crimes de guerre, crimes contre l'Humanité, génocide répondent à des faits extrêmement précis. 

«Attention et prudence»

"On a un conflit qui nous sidère tous. À peine commencé, la justice pénale internationale se met en branle", constate Céline Bardet, une juriste et enquêtrice criminelle internationale, "choquée" en particulier que le procureur de la CPI s'entretienne avec le président Zelensky.

"Qu’il décide d’ouvrir une enquête aussi vite, tant mieux, j'attends de lui qu'il fasse la même chose dorénavant pour tous les conflits", ajoute-t-elle, appelant de ses vœux une justice imperméable à l'émotion que provoque l'accumulation de victimes civiles en Ukraine.

"La justice a besoin de distance pour ne pas tomber dans tout ce brouhaha. Le temps de la justice n’est pas celui du conflit", martèle-t-elle, craignant que la CPI ne renforce son image d'une juridiction qui "travaille quand les Occidentaux la poussent à le faire".

Cecily Rose défend pour sa part la nécessité d'agir vite. "C'est mieux de collecter les preuves maintenant que dans cinq ans", dit-elle. "On peut certainement saisir cette occasion pour discuter d'à quel point la justice internationale a été sélective", admet-elle. "Mais on ne peut pas affirmer que rien ne doit être fait en Ukraine".

Et en attendant que la justice établisse des faits, le mot "génocide" devrait "être employé avec beaucoup d'attention et de prudence, de préférence sur la base d'une enquête indépendante", insiste l'experte.

Mercredi, le président Emmanuel Macron a choisi, contrairement au Premier ministre canadien Justin Trudeau, de ne pas reprendre le terme utilisé par son homologue américain, jugeant qu'il était "établi que des crimes de guerre" ont été commis par l'armée russe. "Je ne suis pas sûr que l'escalade des mots serve la cause", a-t-il poursuivi.

Le président Zelensky s'en est aussitôt offusqué. "S'ils sont vrais, de tels propos sont très blessants pour nous", a-t-il déclaré.


Islamabad assure que le cessez-le-feu avec l'Afghanistan «tient»

Le cessez-le-feu entre Islamabad et Kaboul, prolongé jeudi à l'issue d'un cycle de négociations en Turquie "tient", a affirmé le ministère pakistanais des Affaires étrangères. (AFP)
Le cessez-le-feu entre Islamabad et Kaboul, prolongé jeudi à l'issue d'un cycle de négociations en Turquie "tient", a affirmé le ministère pakistanais des Affaires étrangères. (AFP)
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  • "Le cessez-le-feu tient mais toute provocation entraînera une riposte adaptée à la nature de la violation du cessez-le-feu"
  • Un nouveau cycle de discussions est prévu à Istanbul le 6 novembre pour tenter d'instaurer une trêve durable à la frontière entre les deux pays après des affrontements d'une ampleur inédite

ISLAMABAD: Le cessez-le-feu entre Islamabad et Kaboul, prolongé jeudi à l'issue d'un cycle de négociations en Turquie "tient", a affirmé le ministère pakistanais des Affaires étrangères.

"Le cessez-le-feu tient mais toute provocation entraînera une riposte adaptée à la nature de la violation du cessez-le-feu", a assuré Tahir Andrabi, porte-parole de ce ministère. Un nouveau cycle de discussions est prévu à Istanbul le 6 novembre pour tenter d'instaurer une trêve durable à la frontière entre les deux pays après des affrontements d'une ampleur inédite.

 


Soudan: le Conseil de sécurité de l'ONU condamne «l'assaut» des paramilitaires sur El-Facher

Le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné jeudi "l'assaut" des paramilitaires soudanais sur la ville d'El-Facher, au Darfour, et ses "impacts dévastateurs sur les civils". (AFP)
Le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné jeudi "l'assaut" des paramilitaires soudanais sur la ville d'El-Facher, au Darfour, et ses "impacts dévastateurs sur les civils". (AFP)
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  • Dans cette déclaration, le Conseil exprime sa "profonde inquiétude concernant l'escalade de la violence dans et autour d'El-Facher"
  • El-Facher, dernière grande ville du Darfour qui échappait au contrôle des Forces de soutien rapide (FSR), "déjà le théâtre de niveaux catastrophiques de souffrance humaine, a plongé dans un enfer encore plus noir"

NATIONS-UNIES: Le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné jeudi "l'assaut" des paramilitaires soudanais sur la ville d'El-Facher, au Darfour, et ses "impacts dévastateurs sur les civils".

Dans cette déclaration, le Conseil exprime sa "profonde inquiétude concernant l'escalade de la violence dans et autour d'El-Facher", dont les paramilitaires des Forces de soutien rapide viennent de prendre le contrôle, et condamne les "atrocités qu'auraient commises les FSR contre la population civile, y compris exécutions sommaires et détentions arbitraires".

El-Facher, dernière grande ville du Darfour qui échappait au contrôle des Forces de soutien rapide (FSR), "déjà le théâtre de niveaux catastrophiques de souffrance humaine, a plongé dans un enfer encore plus noir, avec des informations crédibles d'exécutions de masse" après l'entrée des paramilitaires, a dénoncé devant le Conseil de sécurité le chef des opérations humanitaires de l'ONU, Tom Fletcher.

"Nous ne pouvons pas entendre les cris, mais pendant que nous sommes assis ici, l'horreur se poursuit. Des femmes et des filles sont violées, des gens mutilés et tués, en toute impunité", a-t-il ajouté.

Mais "la tuerie n'est pas limitée au Darfour", a-t-il alerté, s'inquiétant notamment de la situation dans le Kordofan voisin.

"Des combats féroces au Kordofan-Nord provoquent de nouvelles vagues de déplacement et menacent la réponse humanitaire, y compris autour de la capitale El-Obeid".

Des informations font état "d'atrocités à large échelle commises par les Forces de soutien rapide à Bara, dans le Kordofan-Nord, après la récente prise de la ville", a également dénoncé Martha Ama Akyaa Pobee, sous-secrétaire générale de l'ONU chargée de l'Afrique.

"Cela inclut des représailles contre des soi-disant collaborateurs, souvent ethniquement motivées", a-t-elle déploré.

"Au moins 50 civils ont été tués ces derniers jours à Bara, à cause des combats et par des exécutions sommaires. Cela inclut l'exécution sommaire de cinq bénévoles du Croissant rouge", a-t-elle indiqué.

Le Kordofan "est probablement le prochain théâtre d'opérations militaires pour les belligérants", a-t-elle mis en garde.

"Des attaques de drones de la part des deux parties touchent de nouveaux territoires et de nouvelles cibles. Cela inclut le Nil Bleu, Khartoum, Sennar, le Kordofan-Sud et le Darfour-Ouest, ce qui laisse penser que la portée territoriale du conflit s'élargit", a ajouté la responsable onusienne.

Décrivant la situation "chaotique" à El-Facher où "personne n'est à l'abri", elle a d'autre part noté qu'il était difficile d'y estimer le nombre de victimes.

La guerre au Soudan a fait des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés et provoqué la pire crise humanitaire actuelle, selon l'ONU.

Elle a été déclenchée en avril 2023 par une lutte de pouvoir entre deux anciens alliés: le général Abdel Fattah al-Burhane, commandant de l'armée et dirigeant de facto du Soudan depuis le coup d'Etat de 2021, et le général Mohamed Daglo, à la tête des FSR.


Ouragan Melissa: près de 50 morts dans les Caraïbes, l'aide afflue

Un homme passe devant les débris d'une maison endommagée après le passage de l'ouragan Melissa dans le village de Boca de Dos Rios, province de Santiago de Cuba, Cuba, le 30 octobre 2025. (AFP)
Un homme passe devant les débris d'une maison endommagée après le passage de l'ouragan Melissa dans le village de Boca de Dos Rios, province de Santiago de Cuba, Cuba, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’ouragan Melissa, le plus puissant à frapper la Jamaïque en près de 90 ans, a fait près de 50 morts en Haïti et en Jamaïque, laissant derrière lui des destructions massives et des centaines de milliers de sinistrés
  • L’aide internationale afflue vers les Caraïbes, avec des secours venus des États-Unis, du Venezuela, de la France et du Royaume-Uni, alors que les experts rappellent le rôle du réchauffement climatique dans l’intensification de ces catastrophes

CUBA: L'aide internationale afflue vendredi vers les Caraïbes dévastées par le passage de l'ouragan Melissa qui a fait près de 50 morts en Haïti et en Jamaïque.

Habitations en ruines, quartiers inondés et communications coupées... L'heure est à l'évaluation des dégâts causés par Melissa qui devrait désormais faiblir au dessus dans l'Atlantique nord après avoir passé les Bermudes.

Selon le Centre national américain des ouragans (NHC), les inondations devraient s'atténuer aux Bahamas, mais les crues pourraient demeurer à un niveau élevé à Cuba, en Jamaïque, en Haïti et en République dominicaine voisine.

Rendu plus destructeur par le réchauffement climatique, l'ouragan a été le plus puissant à toucher terre en 90 ans lorsqu'il a frappé la Jamaïque mardi en catégorie 5, la plus élevée sur l'échelle Saffir-Simpson, avec des vents d'environ 300 km/h.

"Le bilan confirmé est désormais de 19 morts" dont neuf à l'extrémité ouest de l'île, a déclaré jeudi soir la ministre jamaïcaine de l'Information Dana Morris Dixon, citée par les médias locaux.

De nombreux habitants n'ont toujours pas pu contacter leurs proches, ont expliqué les autorités. L'armée jamaïcaine s'emploie à dégager les routes bloquées, selon le gouvernement.

"Il y a eu une destruction immense, sans précédent, des infrastructures, des propriétés, des routes, des réseaux de communication et d'énergie", a déclaré depuis Kingston Dennis Zulu, coordinateur pour l'ONU dans plusieurs pays des Caraïbes. "Nos évaluations préliminaires montrent que le pays a été dévasté à des niveaux jamais vus auparavant".

- Melissa "nous a tués" -

A Haïti, pas directement touché par l'ouragan mais victime de fortes pluies, au moins 30 personnes, dont dix enfants, sont mortes, et 20 portées disparues, selon le dernier bilan des autorités communiqué jeudi. Vingt-trois de ces décès sont dus à la crue d'une rivière dans le sud-ouest du pays.

A Cuba, les communications téléphoniques et routières restent largement erratiques.

A El Cobre, dans le sud-ouest de l'île communiste, le son des marteaux résonne sous le soleil revenu: ceux dont le toit s'est envolé s'efforcent de réparer avec l'aide d'amis et de voisins, a constaté l'AFP.

Melissa "nous a tués, en nous laissant ainsi dévastés", a déclaré à l'AFP Felicia Correa, qui vit dans le sud de Cuba, près d'El Cobre. "Nous traversions déjà d'énormes difficultés. Maintenant, évidement, notre situation est bien pire."

Quelques 735.000 personnes avaient été évacuées, selon les autorités cubaines.

- Secouristes -

L'aide promise à l'internationale s'achemine dans la zone dévastée.

Les États-Unis ont mobilisé des équipes de secours en République dominicaine, en Jamaïque et aux Bahamas, selon un responsable du département d'État. Des équipes étaient également en route vers Haïti.

Le secrétaire d'État Marco Rubio a également indiqué que Cuba, ennemi idéologique, est inclus dans le dispositif américain.

Le Venezuela a envoyé 26.000 tonnes d'aide humanitaire à son allié cubain.

Le président du Salvador Nayib Bukele a annoncé sur X envoyer vendredi "trois avions d'aide humanitaire en Jamaïque" avec "plus de 300 secouristes" et "50 tonnes" de produits vitaux.

Kits de première nécessité, unités de traitement de l'eau: la France prévoit de livrer "dans les prochains jours" par voie maritime une cargaison d'aide humanitaire d'urgence en Jamaïque, selon le ministère des Affaires étrangères.

Le Royaume-Uni a débloqué une aide financière d'urgence de 2,5 millions de livres (2,8 millions d'euros) pour les pays touchés.

Le changement climatique causé par les activités humaines a rendu l'ouragan plus puissant et destructeur, selon une étude publiée mardi par des climatologues de l'Imperial College de Londres.

"Chaque désastre climatique est un rappel tragique de l'urgence de limiter chaque fraction de degré de réchauffement, principalement causé par la combustion de quantités excessives de charbon, de pétrole et de gaz", a déclaré Simon Stiell, secrétaire exécutif de l'ONU chargé du changement climatique, alors que la grande conférence climatique des Nations unies COP30 s'ouvre dans quelques jours au Brésil.

Avec le réchauffement de la surface des océans, la fréquence des cyclones (ou ouragans ou typhons), les plus intenses augmente, mais pas leur nombre total, selon le groupe d'experts du climat mandatés par l'ONU, le Giec.