Le «George Floyd arabe»: l'affaire Oussekine à la conquête des mémoires

 Plus de 35 ans après les faits, inscrire un nom et une histoire dans la mémoire de tous: l'affaire Malik Oussekine, du nom de cet étudiant battu à mort en France par des policiers se raconte, pour la première fois, dans une série et un film. (AFP)
Plus de 35 ans après les faits, inscrire un nom et une histoire dans la mémoire de tous: l'affaire Malik Oussekine, du nom de cet étudiant battu à mort en France par des policiers se raconte, pour la première fois, dans une série et un film. (AFP)
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Publié le Lundi 09 mai 2022

Le «George Floyd arabe»: l'affaire Oussekine à la conquête des mémoires

  • Si le nom de Malik Oussekine résonne encore dans la société française, il est surtout devenu l'apanage d'un combat, celui contre les violences policières
  • L'histoire de Malik Oussekine est intimement liée à l'histoire de l'immigration post-coloniale, et plus particulièrement à celle de la guerre d'Algérie (1954-1962)

PARIS: Plus de 35 ans après les faits, inscrire un nom et une histoire dans la mémoire de tous: l'affaire Malik Oussekine, du nom de cet étudiant battu à mort en France par des policiers se raconte, pour la première fois, dans une série et un film.   


"Oussekine" et "Nos Frangins", deux titres, deux projets distincts mais le même objectif: retracer le destin brisé de ce Français d'origine algérienne de 22 ans, décédé le 6 décembre 1986 sous les coups de deux policiers en marge d'une manifestation estudiantine à Paris.


Le premier est une série Disney réalisée par Antoine Chevrollier ("Baron noir", "Le Bureau des légendes") et qui sera diffusée en France et dans le monde entier le 11 mai; L'autre, un film de Rachid Bouchareb ("Indigènes"), qui sera présenté en avant-première au Festival de Cannes à la fin du mois de mai.


Si le nom de Malik Oussekine résonne encore dans la société française, il est surtout devenu l'apanage d'un combat, celui contre les violences policières, mais a été "relativement oublié", affirme l'historien Yvan Gastaut.

Série «Oussekine»: une blessure française, jamais refermée

"Le temps est venu de raconter nos histoires et dépoussiérer le roman national": après "Le Bureau des Légendes" et "Baron noir", le réalisateur Antoine Chevrollier poursuit son exploration des blessures françaises avec "Oussekine", sa mini-série événement.


Composée de quatre épisodes d'une heure chacun, la série va être diffusée en France et dans le monde à partir du 11 mai sur Disney+. Quatre épisodes à la scénographie soignée pour documenter le destin de cet étudiant Français d'origine algérienne de 22 ans, battu à mort par des policiers il y a plus de 35 ans.


Pour cette première adaptation audiovisuelle -- avant celle de Rachid Bouchareb (Indigènes) qui sera présentée à Cannes à la fin du mois -- Antoine Chevrollier, né en 1982, assume un parti pris: celui de sortir le nom de ce jeune, aujourd'hui indissociable du combat contre les violences policières, de la case des faits divers. 


"Malik Oussekine n'est pas un fait divers. C'est un fait de société majeur qui doit être considéré comme tel", dit-il dans un entretien à l'AFP. Une histoire qu'il rencontre à l'adolescence avec une chanson de rap du groupe Assassin: "L’État assassine, un exemple Malik Oussekine".

Autodidacte 
Mais ce n'est que quelques années plus tard que le nom d'Oussekine va résonner plus fort en lui, pour ne plus jamais "(l)e" quitter". 


"A cette époque, je venais d'arriver à Paris et trainais beaucoup avec des jeunes de quartier qui me parlaient sans cesse d'Oussekine. En tant que provincial prolo, j'ai eu le sentiment qu'on se retrouvait dans l'endroit de l'+invisibilisation+, de l'exclusion et de la non représentation. C'est là que je me suis dit +OK faisons un film+", se remémore-t-il.


Entre temps, cet autodidacte originaire d'un petit village d'Anjou acquiert une certaine notoriété en réalisant plusieurs épisodes des séries à succès "Le Bureau des Légendes" et "Baron noir". Deux séries qui questionnent, à leur façon, la démocratie française. 


C'est là qu'il comprend que le format sériel est plus adapté à son projet sur Malik Oussekine. "En grattant, je me suis rendu compte qu'on pouvait raconter pleins de choses comme la guerre d'Algérie (1954-1962), la situation politique de la France qui vivait une cohabitation, le contexte social... et que seule une série me permettrait de déployer toutes ces histoires", soutient-il.


La façon d'y parvenir? Découper le récit en trois strates distinctes, puis les faire cohabiter.

«Apaiser les tensions»
D'abord le temps présent, qui suit le combat de la famille de Malik jusqu'au procès des deux policiers, puis une autre se concentrant sur les dernières heures du jeune homme. Enfin, la dernière strate inscrit l'histoire individuelle de la famille Oussekine dans celle de la France, comme cette reconstitution poignante du massacre d'Octobre 1961 où des manifestants algériens sont jetés dans la Seine par des policiers.


Pour cela, Antoine Chevrollier s'est entouré de quatre scénaristes: l'autrice Faïza Guène, connue pour ses livres qui explorent l’identité des Français issus de l’immigration maghrébine, le réalisateur franco-burkinabé Cédric Ido, le scénariste Julien Lilti et la jeune réalisatrice Lina Soualem.


Mais surtout, il a pu bénéficier du soutien et des conseils des deux frères et d'une des sœurs de Malik Oussekine. "Pour moi, il était inconcevable de ne pas les associer au projet", rapporte-t-il.


Une série politique? "Ce qui m'intéresse ce sont les injustices. Que ce soit à l'endroit des enfants d'immigrés ou des prolétaires de province... D'ailleurs, je pense que c'est la même. Quoi qu'il en soit, ça y'est, le temps est venu pour nous de raconter nos histoires et dépoussiérer le roman national", explique-t-il.


Et de conclure: "J'espère que la série permettra d'apaiser les tensions qui agitent le pays. Il est temps qu’on commence en France à soigner ces métastases de l’histoire".

«En dehors de l'Histoire»
"La question n'est pas est-ce que Malik Oussekine a été oublié mais plutôt par qui", nuance l'historien spécialiste de l'histoire de l'immigration, Pascal Blanchard. 


"La jeunesse maghrébine et plus globalement celle de l'époque, qui est une jeunesse déjà sensibilisée aux discriminations raciales, est sensible à ce crime qu'elle perçoit comme un crime raciste. Mais le reste des Français ne voient pas cette histoire-là", poursuit-il auprès de l'AFP.


En d'autres termes: si le nom Oussekine devient un emblème, il le devient auprès des marges, ceux qui "ont le sentiment d'être en dehors de l'histoire". Pourtant, l'affaire est "un fait de société majeur", estime Antoine Chevrollier, qui voit dans le jeune homme une figure "universelle".


Universelle car "on parle d'une victime racisée, qui au nom de sa couleur de peau va être brutalisée. Quel public n'y serait pas sensible?", interroge M. Blanchard. Et d'ajouter: "C'est le George Floyd arabe en France!" (du nom de cet Afro-américain tué par la police, ndlr).

En 1986, Malik Oussekine frappé à mort par des policiers

Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986 à Paris, en plein mouvement de contestation étudiante, Malik Oussekine, 22 ans, était frappé à mort par des policiers dans le hall d'un immeuble du Quartier Latin.


Etudiant sans histoire à l'Ecole supérieure des professions immobilières (ESPI), ce jeune Français d'origine algérienne souffrait d'insuffisance rénale et devait être dialysé plusieurs fois par semaine.


Il s'était tenu à l'écart du mouvement qui dénonçait un projet de loi instaurant, selon ses détracteurs, la sélection à l'entrée de l'université. Ce jour-là cependant, selon ses amis, Malik voulait aller voir.


Seul témoin du drame survenu vers 1h00 du matin, au moment où se dispersaient les derniers manifestants, Paul Bayzelon, fonctionnaire au ministère des Finances, habitant d'un immeuble de la rue Monsieur-Le-Prince dans le VIe arrondissement, a raconté: "Je rentrais chez moi. Au moment de refermer la porte après avoir composé le code, je vois le visage affolé d'un jeune homme. Je le fais passer et je veux refermer la porte".


"Deux policiers s'engouffrent dans le hall, a-t-il poursuivi, se précipitent sur le type réfugié au fond et le frappent avec une violence incroyable. Il est tombé, ils ont continué à frapper à coups de matraque et de pieds dans le ventre et dans le dos. La victime se contentait de crier: +je n'ai rien fait, je n'ai rien fait+".


Paul Bayzelon a dit avoir voulu s'interposer mais s'être fait lui aussi matraquer jusqu'au moment où il a sorti sa carte de fonctionnaire. Les policiers, des motocyclistes présents dans le quartier pour disperser la manifestation, sont alors partis. Malik Oussekine est décédé peu après à l'hôpital.


Le lendemain, Alain Devaquet, ministre délégué à l'Enseignement supérieur et auteur du projet de loi polémique, présentait sa démission, cependant que les étudiants défilaient en silence, portant des pancartes "Ils ont tué Malik".


Le lundi 8 décembre, après de nouvelles manifestations, le Premier ministre Jacques Chirac annonçait le retrait du texte.


Trois mois plus tard, le ministre délégué à la Sécurité, Robert Pandraud, déclenchait une nouvelle polémique en déclarant à des journalistes du Monde que Malik Oussekine "n'était pas le héros des étudiants français qu'on a dit" et en ajoutant: "si j'avais un fils sous dialyse, je l'empêcherais de faire le con dans la nuit".


Les deux membres du "Peloton voltigeur motocycliste", le brigadier Jean Schmitt et le gardien Christophe Garcia, 53 et 23 ans à l'époque des faits, ont été jugés trois ans plus tard aux assises de Paris pour "coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Ils ont été condamnés le 27 janvier 1990 à des peines de prison avec sursis (cinq et deux ans respectivement).


Environ 2.000 personnes ont manifesté le surlendemain devant le Palais de Justice contre "ce verdict de clémence".

Raconter pour transmettre 
Mais l'histoire de Malik Oussekine ne s'arrête pas là. Elle est intimement liée à l'histoire de l'immigration post-coloniale, et plus particulièrement à celle de la guerre d'Algérie (1954-1962). 


D'un pays marqué par le massacre d’Algériens par la police parisienne au cours de la manifestation du 17 octobre 1961. Ou du drame du métro Charonne à Paris le 8 février 1962 où meurent, étouffées, neuf personnes venues manifester pour la paix en Algérie. 


La mort de Malik Oussekine intervient aussi trois ans après la "marche des beurs", marche historique pour dénoncer les agressions dont étaient régulièrement victimes les Français d'origine magrébine.


L'affaire marquera "la fin de l'impunité policière", souligne Yvan Gastaut, rappelant que les deux policiers ont été jugés et condamnés. 


"Une première" se souvient auprès de l'AFP Georges Kiejman, l'avocat de la famille Oussekine, rappelant que jusqu'ici les policiers mis en cause dans ce genre de faits n'étaient jamais poursuivis.


Reste une question: pourquoi cette histoire n'avait elle jamais été racontée, empêchant, ainsi, sa transmission? Pour M. Blanchard, il aura fallu attendre que la troisième génération issue de l'immigration prenne la parole pour revendiquer cette mémoire. A l'image des autrices Leïla Slimani ou encore Faïza Guène, d'ailleurs co-scénariste de la série aux côtés de Cédric Ido, Julien Lilti et Lina Soualem.


"Je ne pense pas qu'on soit les premiers à revendiquer cette histoire. Nos parents l'ont fait avant nous mais pour notre génération, c'est important de dire que ces histoires individuelles font partie du récit national français. Elle ne sont pas à côté. Ce sont des histoires françaises", analyse Faiza Guène. 


"L'important, conclut Antoine Chevrollier, c'est de faire résonner ce nom et cette histoire pour ne jamais plus oublier".


Budget de l'Etat: au Sénat, la droite tentée par le compromis, mais pas à n'importe quel prix

Le Premier ministre français Sébastien Lecornu s'exprime lors d'une déclaration gouvernementale sur la stratégie de défense nationale à l'Assemblée nationale, à Paris, le 10 décembre 2025. (AFP)
Le Premier ministre français Sébastien Lecornu s'exprime lors d'une déclaration gouvernementale sur la stratégie de défense nationale à l'Assemblée nationale, à Paris, le 10 décembre 2025. (AFP)
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  • Le gouvernement met la pression sur la droite sénatoriale, devenue incontournable pour l’adoption du budget de l’État 2026
  • Malgré des tentatives de rapprochement en commission mixte paritaire, le risque d’échec demeure élevé ouvrant la voie soit à l’usage du 49.3

PARIS: Appelée par le gouvernement à se montrer constructive, la droite sénatoriale n'entend pas tourner le dos à un compromis sur le budget de l'Etat, mais sa fermeté vis-à-vis des socialistes risque de compliquer l'aboutissement de la discussion budgétaire avant 2026.

"La balle est aujourd'hui dans le camp du Parlement et significativement de la droite sénatoriale", a lancé mercredi la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon.

Une manière de mettre la pression sur la chambre haute et son alliance majoritaire droite-centristes. Elle détient à elle seule une grande partie des clés d'une équation jusqu'ici insoluble sur le projet de loi de finances pour 2026 (PLF).

En effet, si le compromis a été possible sans le Sénat sur le budget de la Sécurité sociale, les délais sur le budget de l'Etat sont tellement contraints que seul un accord entre les deux chambres du Parlement pourrait permettre l'adoption d'un budget avant le 31 décembre.

Le Sénat doit voter lundi sur l'ensemble du projet de budget, largement remanié par rapport à la version gouvernementale. Ensuite, une commission mixte paritaire (CMP), réunion de sept députés et sept sénateurs, sera chargée de trouver un terrain d'entente.

- CMP décisive -

Cette CMP est pour le moment fixée au vendredi 19 décembre, ce qui laisse encore quelques jours aux parlementaires pour négocier le périmètre d'un accord.

Si le gouvernement y croit, l'intransigeance de Bruno Retailleau, patron des Républicains et ténor de la droite sénatoriale, reste totale à ce stade.

"Il ne pourra pas y avoir d'accord sur un budget qui augmenterait considérablement les impôts et ne réduirait pas significativement la dette", a-t-il fermement affirmé au Figaro.

Autre signe d'une droite sénatoriale inflexible: elle a rejeté d'emblée, vendredi, le budget de la Sécurité sociale dans sa version de compromis trouvée à l'Assemblée nationale, laissant le dernier mot aux députés.

Une issue différente sur le budget de l'Etat ? Le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson, martèle depuis plusieurs semaines sa conviction qu'une "voie de passage existe".

"Nous serons dans l'écoute et dans l'ouverture, mais pas à n'importe quel prix. Personne ne peut se permettre de viser une victoire politique sur ce budget", assure auprès de l'AFP celui qui pilote les débats budgétaires au Sénat.

Ce dernier a commencé, ces derniers jours, à rapprocher les points de vue avec son homologue de l'Assemblée nationale, Philippe Juvin (LR lui aussi). Une autre réunion est prévue dimanche entre ces deux responsables.

"Mon objectif, c'est bien de trouver un atterrissage", confirme Philippe Juvin à l'AFP. "Il me semble que c'est accessible".

Le président du Sénat Gérard Larcher, connu pour ses qualités de conciliateur, est lui aussi dans cette optique.

Mais le patron de la chambre haute, qui a échangé avec Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu jeudi, reste très agacé par le choix du Premier ministre de se tourner vers le Parti socialiste et lui reproche d'avoir "méprisé" le Sénat.

- "Pas prêt à se renier" -

"On est prêt à faire des efforts mais on n'est pas prêt à se renier", glisse un proche du président Larcher, pour qui "trop de concessions ont été faites à la gauche".

"Ce n'est pas à la droite sénatoriale d'aller parler au PS, c'est à Sébastien Lecornu d'aller voir les socialistes pour leur dire que maintenant ça suffit, qu'ils ont tout obtenu dans le budget de la Sécu", explicite Christine Lavarde, sénatrice LR qui devrait siéger en CMP.

Une commission mixte paritaire conclusive ne suffirait pas, néanmoins, car il faudrait ensuite que le texte de compromis soit adopté par l'Assemblée nationale, avec au minimum une abstention de la gauche qui paraît impensable à ce stade.

Et certains cadres du bloc central en appellent au retour du 49.3 pour valider cet hypothétique accord.

"Le 49.3 n'est pas une baguette magique, si le gouvernement l'utilise sans compromis préalable, il s'expose à une censure immédiate", a menacé le premier secrétaire du PS Olivier Faure dans Libération.

Lui, comme beaucoup, anticipe déjà l'alternative: l'adoption d'une loi spéciale avant le 31 décembre, afin de permettre la poursuite des activités de l'Etat, et la reprise des débats début 2026. Avec un nouveau casse-tête budgétaire en perspective...


Paris incite le Liban à adopter des mesures pour éviter l’explosion

Un convoi transportant une délégation du Conseil de sécurité des Nations unies lors d'une visite de la frontière avec Israël près de la région de Naqura, dans le sud du Liban, le 6 décembre 2025. (AFP)
Un convoi transportant une délégation du Conseil de sécurité des Nations unies lors d'une visite de la frontière avec Israël près de la région de Naqura, dans le sud du Liban, le 6 décembre 2025. (AFP)
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  • La France intensifie ses efforts diplomatiques pour prévenir une escalade israélienne au Liban en renforçant un mécanisme vérifiable de désarmement au Sud-Litani, avec l’appui de la FINUL et l’implication des partenaires internationaux
  • Paris presse également les autorités libanaises de lever le blocage politique afin de débloquer l’aide internationale, soutenir les Forces armées libanaises et relancer la reconstruction du Sud

PARIS: À peine deux semaines après la visite au Liban d’Anne-Claire Legendre, conseillère Afrique–Moyen-Orient à l’Élysée, l’envoyé spécial du président français, Jean-Yves Le Drian, s’est à son tour rendu à Beyrouth pour mener une série d’entretiens avec les responsables libanais.

La proximité de ces deux déplacements ne relève pas du hasard, mais traduit une inquiétude française croissante face au risque d’une nouvelle escalade israélienne sur le territoire libanais.

Paris observe attentivement la dynamique régionale actuelle et, selon son analyse, si Israël se heurte en Syrie à une vigilance américaine accrue, qui a conduit Washington à intervenir verbalement lorsque certaines frappes menaçaient la stabilité du pays, il n’en va pas de même pour le Liban.

C’est précisément là que réside, aux yeux de la France, le principal danger, dans un contexte régional marqué par le cessez-le-feu à Gaza et les tensions préélectorales en Israël.

Les déclarations israéliennes se sont récemment durcies, tout comme les frappes dans le Sud-Liban, et cette montée de la tension est, selon Paris, directement liée au cessez-le-feu du 9 octobre à Gaza.

Elle s’inscrit aussi dans un contexte politique intérieur israélien où le Premier ministre Benjamin Netanyahou aurait davantage à gagner, en termes de popularité, en poursuivant les hostilités régionales qu’en y mettant un terme.

L’absence de contraintes américaines fortes au Liban ouvre ainsi à Israël une marge de manœuvre plus large et alimente le risque d’un dérapage.

Face à ce risque, la diplomatie française tente d’agir sur un levier central, celui de la mise en œuvre et de la vérification du plan de désarmement élaboré par les Forces armées libanaises (FAL), connu sous le nom de Nation Shield.

Cette initiative prévoit, dans une première phase, un désarmement effectif au sud du Litani avant le 31 décembre, une échéance qui coïncide avec la montée de la pression israélienne.

Jusqu’à présent, le mécanisme franco-américain reposait essentiellement sur des déclarations des FAL, dont aucune n’était rendue publique ni documentée de manière indépendante, mais pour Paris, il devient indispensable de passer d’un système déclaratif à un système vérifiable.

Ce système est capable de convaincre autant Israël que les partenaires internationaux, en particulier les États-Unis et l’Arabie saoudite, acteurs clés du dossier libanais, du bien-fondé des agissements du Liban.

La FINUL dispose, selon Paris, de la capacité d’accompagner systématiquement les opérations des Forces armées libanaises (FAL) sur le terrain. Pour cela, les propositions françaises visent à établir un tableau de bord précis, zone par zone, démontrant que le travail est effectivement accompli au Sud.

Un tel dispositif doit permettre, du point de vue français, d’opposer des faits aux narratifs israéliens affirmant l’absence de progrès.

Le Drian a ainsi finalisé à Beyrouth le cadre d’un mécanisme renforcé. Désormais, les opérations des FAL devront être accompagnées, vérifiées et cartographiées afin de produire une évaluation destinée aux partenaires internationaux.

L’une des priorités de Paris est de convaincre l’Arabie saoudite, qui suit de très près le dossier du désarmement du Hezbollah et souhaite pouvoir constater sur pièces les avancées réelles sur le terrain avant de s’engager davantage, notamment dans la conférence de soutien aux FAL.

Paris estime que cette prudence est légitime et entend démontrer que les progrès réalisés méritent un soutien financier accru. 

Dans ce contexte, les contacts s’intensifient et des échanges étroits ont lieu avec l’émissaire américaine Morgan Ortagus et avec le conseiller du ministre saoudien des Affaires étrangères Yazid Ben Farhane.

Le chef des Forces armées libanaises, Rodolphe Haykal, est attendu à Paris dans les prochains jours. 

Même si aucune réunion trilatérale France–Arabie saoudite–États-Unis n’est officiellement confirmée pour le 18 décembre à Paris, des consultations régulières témoignent d’une coordination active.

Au-delà des questions sécuritaires, la France s’inquiète également du blocage politique interne au Liban, qui paralyse la reconstruction du Sud et la mise en œuvre de plusieurs programmes internationaux.

Le Parlement étant suspendu dans le cadre de la bataille politique autour des échéances électorales, les lois déjà votées ne sont pas adoptées, ce qui empêche l’exécution du programme de la Banque mondiale, essentiel à la reconstruction des zones affectées.

Il en va de même pour le document « GALPO », crucial pour relancer la coopération avec le FMI et convoquer une conférence internationale de reconstruction.

Ce document est en voie de finalisation du côté du gouvernement, mais son adoption dépend du Parlement.

Le Drian a insisté auprès du président et des responsables politiques libanais sur l’urgence de lever ce blocage, estimant qu’il s’agit d’un impératif vital pour l’ensemble des Libanais, et surtout pour ceux du Sud, les premiers touchés par les tensions actuelles.

Reste la question la plus délicate, celle du Hezbollah, d’autant plus que Paris constate que le mouvement chiite n’a pas renoncé à sa posture militaire et continue certains transferts d’armes.

Le Sud-Litani constitue un point de friction, mais le Nord-Litani pourrait, à terme, devenir un enjeu encore plus complexe, et la France considère néanmoins que le premier objectif doit être de prouver les progrès au Sud, base indispensable pour toute discussion ultérieure.

Le renforcement du mécanisme de vérification vise précisément, pour Paris, à établir un tiers de confiance permettant de distinguer déclarations politiques et réalité opérationnelle.

La France se trouve donc engagée dans une course diplomatique et technique pour éviter une explosion au Liban, mais elle estime qu’en renforçant la transparence des actions des forces libanaises, en mobilisant les partenaires régionaux et internationaux, et en poussant Beyrouth à débloquer ses institutions, il est possible de créer les conditions d’un apaisement durable sur la Ligne bleue.


Deuxième journée du sommet France- Pays Arabes, centrée sur l’eau, l’environnement et la reconstruction

Des experts français, des responsables arabes et des acteurs du secteur privé ont approfondi trois grandes thématiques : l’eau au cœur des besoins, les investissements et infrastructures, et enfin un focus stratégique sur le corridor économique Inde–Moyen-Orient–Europe (IMEC), présenté comme l’un des projets géoéconomiques les plus ambitieux de la décennie. (Photo Arlette Khouri)
Des experts français, des responsables arabes et des acteurs du secteur privé ont approfondi trois grandes thématiques : l’eau au cœur des besoins, les investissements et infrastructures, et enfin un focus stratégique sur le corridor économique Inde–Moyen-Orient–Europe (IMEC), présenté comme l’un des projets géoéconomiques les plus ambitieux de la décennie. (Photo Arlette Khouri)
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  • Dans son intervention durant le sommet, Jean-Baptiste Fauvet, chef du service économique régional pour la péninsule Arabique, a rappelé un chiffre choc en affirmant que, dans plusieurs pays arabes, la pénurie d’eau pèse déjà 1,8 % du PIB
  • Un coût qui pourrait, selon lui, atteindre 14 % d’ici à 2050 si rien n’est fait, soulignant que l’eau n’est plus un sujet sectoriel, mais un défi économique, sécuritaire et social de premier plan

PARIS: Pour la deuxième journée consécutive, le sixième Sommet économique France–pays arabes, organisé à Paris par la Chambre de commerce franco-arabe, a tenu ses promesses.
Après une première journée consacrée aux échanges économiques et aux perspectives d’investissement, ce second temps fort s’est concentré sur un enjeu devenu stratégique pour l’ensemble du monde arabe : l’eau et l’environnement, entre crises, besoins structurels et nouvelles opportunités technologiques.

Des experts français, des responsables arabes et des acteurs du secteur privé ont approfondi trois grandes thématiques : l’eau au cœur des besoins, les investissements et infrastructures, et enfin un focus stratégique sur le corridor économique Inde–Moyen-Orient–Europe (IMEC), présenté comme l’un des projets géoéconomiques les plus ambitieux de la décennie.

Dans son intervention durant le sommet, Jean-Baptiste Fauvet, chef du service économique régional pour la péninsule Arabique, a rappelé un chiffre choc en affirmant que, dans plusieurs pays arabes, la pénurie d’eau pèse déjà 1,8 % du PIB.
Un coût qui pourrait, selon lui, atteindre 14 % d’ici à 2050 si rien n’est fait, soulignant que l’eau n’est plus un sujet sectoriel, mais un défi économique, sécuritaire et social de premier plan.

L’eau, un défi stratégique au cœur du Sommet France–pays arabes

Il a ensuite dressé une cartographie précise des acteurs internationaux aujourd’hui mobilisés, comme la Banque mondiale, premier bailleur, dont plus de 2,5 milliards de dollars sont engagés dans la région.
Il a également cité les grandes institutions multilatérales comme la Banque africaine de développement ou le Fonds arabe pour le développement économique et social, ainsi que les fonds climatiques mondiaux, comme le GEF, qui soutiennent des projets structurants en Jordanie et ailleurs, et la Banque européenne d’investissement et la BERD, très présentes sur les projets de dessalement et de transport d’eau.

Au-delà des financements, ces acteurs agissent de plus en plus en coalition, permettant de mutualiser les risques et d’augmenter l’impact. Dans ce paysage, la France occupe une place singulière grâce à la stratégie internationale pour l’eau lancée en 2020 et portée activement dans les enceintes multilatérales.
Fauvet a surtout souligné le rôle central de l’Agence française de développement, qui joue un rôle pivot, notamment en Irak où l’eau constitue la première destination de ses financements, indiquant que deux nouveaux prêts de 110 et 100 millions d’euros viennent d’y être signés.

Il a également évoqué le rôle, souvent mal compris, des fonds souverains du Golfe — puissants (plus de 5 000 milliards d’actifs cumulés) — qui sont des acteurs stratégiques capables d’impulser le secteur privé en garantissant certains revenus ou en soutenant des projets d’infrastructure.

Après l’analyse macroéconomique est venu le témoignage saisissant d’Ali Hamie, ancien ministre et conseiller du président libanais pour la reconstruction, qui a dressé un constat alarmant des destructions provoquées par l’agression israélienne de 2024, laquelle se poursuit encore aujourd’hui.
Au 27 novembre 2024, date du cessez-le-feu, 15 000 bâtiments avaient déjà été totalement détruits. Un an plus tard, en novembre 2025, ce chiffre avait presque doublé, sans compter les zones non encore recensées, notamment dans la banlieue sud de Beyrouth.
Les chiffres qu’il a présentés donnent la mesure de la catastrophe : certains villages du Sud ont été détruits à 88 %, au point de disparaître, et plus de 35 000 bâtiments sont aujourd’hui détruits ou lourdement touchés.

Partenariats régionaux et reconstructions : enjeux du Golfe au Liban

Mohamed Ben Laden, président du Conseil d’affaires franco-saoudien, est intervenu longuement sur l’état du partenariat franco-saoudien, notamment à l’issue du dernier forum économique de Riyad, marqué par l’effervescence d’un pays projeté à la fois vers l’Expo 2030 et la Coupe du monde 2034.
Président depuis quelques années du Conseil d’affaires franco-saoudien, Ben Laden assure que cela illustre combien « nos deux nations partagent non seulement une vision stratégique, politique et économique, mais aussi une longue histoire commune, faite de crises traversées et de transformations profondes dans un monde en perpétuel changement ».

Réagissant aux propos de l’envoyé spécial du président de la République française, Gérard Mestrallet, qui a évoqué le corridor économique Inde–Moyen-Orient–Europe, l’IMEC, au centre d’un premier accord énergétique signé en 2020, Ben Laden a déclaré que la France et l’Arabie saoudite ont souhaité aller plus loin.
C’est ainsi que leur partenariat s’est élevé à un niveau réellement stratégique, avec l’accord majeur signé par le président Macron et le prince héritier d’Arabie saoudite lors de la visite de décembre 2024, « qui fut un très grand succès pour nos relations bilatérales ».

Depuis le lancement de Vision 2030, en 2016, a-t-il ajouté, l’Arabie saoudite a mis en œuvre d’immenses réformes économiques dont les résultats sont aujourd’hui visibles.
« Nous avons franchi la moitié du chemin vers 2030, et tous les indicateurs sont au vert ; pour la première fois, 56 % du PIB provient désormais de secteurs non pétroliers, ce qui constitue un tournant historique pour notre pays.
Nous avons éradiqué la corruption, instauré une gouvernance claire et crédible, et cela a immédiatement attiré les investisseurs », a-t-il poursuivi, invitant le Liban, « que nous aimons, à suivre le même chemin pour regagner la confiance internationale ».

Il a ensuite décrit la dynamique d’intégration régionale en cours au sein du Golfe : « Le 3 décembre, nous avons créé une autorité commune de l’aviation civile, et la semaine dernière, nous avons annoncé une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Doha et Riyad, connectant la région orientale du Royaume.
Le Golfe bouge, s’unit, crée une dynamique logistique jamais vue », a assuré Ben Laden, « et nous avons tout intérêt à ce qu’elle s’étende à la Syrie et au Liban ».

S’attardant sur les perceptions européennes des mégaprojets saoudiens, il indique : « Certes, l’Arabie saoudite est aujourd’hui le plus grand chantier à ciel ouvert au monde, mais nous accordons autant d’importance à l’édification de l’homme, à la formation de notre jeunesse.
Nous réformons entièrement notre système éducatif, et les écoles françaises sont les bienvenues pour développer des partenariats, de même que les grandes écoles, qui arrivent encore timidement, doivent comprendre que le français demeure aussi une langue des affaires. »

Abordant le rôle des petites et moyennes entreprises françaises (PME), il a soutenu qu’elles ont leur place en Arabie, tout comme les grands groupes français, puisque le cadre législatif favorise désormais les entreprises implantées dans le pays.
« La législation évolue. Vous pouvez désormais être propriétaire de votre résidence en Arabie saoudite, et le régime de Premium Residency vous permet d’investir seul, sans partenaire local, d’acquérir un bien et de vivre dans le Royaume. »