Les partisans de l’anti-establishment pourraient mener Trump à la victoire

Donald Trump lors d’un rassemblement de campagne à l'aéroport John Murtha Johnstown-Cambria County, en Pennsylvanie, le 13 octobre 2020 (Photo, Reuters).
Donald Trump lors d’un rassemblement de campagne à l'aéroport John Murtha Johnstown-Cambria County, en Pennsylvanie, le 13 octobre 2020 (Photo, Reuters).
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Publié le Lundi 19 octobre 2020

Les partisans de l’anti-establishment pourraient mener Trump à la victoire

Les partisans de l’anti-establishment pourraient mener Trump à la victoire
  • La scène est désormais prête pour une compétition serrée dans un pays divisé désigné par certains comme les «États-Unis de la colère»
  • La polarisation reflète bel et bien le mécontentement des électeurs, notamment à l’égard des écarts croissants en matière de fortune et de niveau d'éducation que Trump and Sanders se montrent habiles à exploiter

La scène est désormais prête à accueillir la dernière grande étape de la campagne présidentielle américaine: le débat final prévu la semaine prochaine. Bien que Joe Biden reste largement en tête des sondages et qu'il soit clairement le favori, les chances de Donald Trump de gagner demeurent plus importantes que beaucoup le supposent.

En effet, même si M. Biden est en tête des grands sondages nationaux – et qu'il est probable qu'il remporte le vote populaire le 3 novembre – Trump pourrait encore remporter la majorité des voix du Collège électoral (Electoral College). Si cette issue se faisait rare aux xixe et xxe siècles, on compte déjà, depuis le début du millénaire, deux démocrates qui ont remporté le vote populaire mais perdu l'élection: Al Gore en 2000 et Hillary Clinton en 2016. L'un des facteurs qui pourraient favoriser le président dans ce cas est le soutien massif des électeurs dits «timides» qui ne se seraient pas présentés aux urnes.

La scène est maintenant prête pour une compétition serrée dans un pays divisé désigné par certains, au cours des dernières années, comme les «États-Unis de la colère».

Ces schismes ont été mis en évidence cette année lors des manifestations du mouvement Black Lives Matter («La vie des Noirs compte»). Dès février 2016, le changement d'humeur politique dans le pays s’est manifesté lorsque Donald Trump et le sénateur socialiste Bernie Sanders ont facilement remporté leurs primaires respectives dans le New Hampshire. L'ampleur de la victoire des deux candidats considérés comme «étrangers», et qui aurait semblé invraisemblable à beaucoup il y a seulement un an, a mis leur pouvoir en évidence.

C'était là une des premières indications de l'humeur changeante des États-Unis après la reprise économique inégale qui a suivi la crise financière de 2008-2009. L'intensité de l'impulsion anti-establishment qui s'est manifestée depuis a favorisé la formation des «États-Unis de la colère» – sans oublier que les premières primaires de 2020 ont également vu Sanders (et Trump) s'en sortir très bien, tandis que Biden connaissait un départ plus hésitant.

Si cela pouvait, il y a quelque temps, sembler peu pertinent pour les élections du mois prochain, certains voient les choses différemment. Prenez l'exemple du professeur Helmut Norpoth de l'université de Stony Brook, qui fait partie de la poignée de personnes qui ont prédit la victoire de Trump en 2016. Il base ses prévisions de résultat aux élections sur un modèle qui accentue l'importance des primaires présidentielles anticipées. Ainsi, comme Biden a démarré sa campagne de façon «médiocre», Norpoth estime qu'il y a 90 % de chances pour que Trump soit réélu.

Bien que cela semble peu plausible si l'on en croit les sondages actuels, le modèle de Norpoth aurait correctement prédit 25 des 27 dernières élections présidentielles. Les exceptions sont l’élection de 2000, où George W. Bush a battu Gore, et celle de 1960, où John F. Kennedy a remporté la victoire sur Richard Nixon – deux élections extrêmement serrées qui ont été entachées par des allégations d'inexactitudes.

Le mécontentement de l'électorat alimente la méfiance à l'égard des politiciens qui sont perçus comme faisant partie de l'establishment de Washington.

Andrew Hammond

La popularité de Trump et de Sanders est certes remarquable, mais elle n'est en aucun cas sans précèdent – l'histoire des États-Unis rappelle que les différences de revenu et de statut peuvent être des sources importantes de changement politique. Trump et Sanders s'adressent à de nombreux groupes de personnes qui ont perdu leur source de revenu et la sécurité de leur emploi. Ce sont surtout des personnes non qualifiées et semi-qualifiées qui travaillent dans des industries manufacturières qui, auparavant, disposaient d'un niveau élevé de syndicalisation sous la pression de la concurrence internationale. Ces groupes défavorisés demandent à bénéficier d'un soutien important de la part des gouvernements fédéral et local. Ces revendications peuvent être récupérées par des politiciens anti-establishment, comme l'ont fait Trump et Sanders, ainsi que par d'autres politiciens au moins depuis le xixe siècle.

Le mécontentement d'une grande partie de l'électorat actuel n'alimente pas uniquement la méfiance à l'égard du gouvernement et des hommes politiques qui sont considérés comme faisant partie de l'establishment de Washington. Il constitue également l'un des principaux facteurs qui contribuent à une polarisation politique considérable.

La polarisation reflète bel et bien le mécontentement des électeurs, notamment à l’égard des écarts croissants en matière de fortune et de niveau d'éducation que Trump and Sanders se montrent habiles à exploiter. Cependant, elle est également motivée par les changements démographiques et générationnels à plus long terme.

Ainsi, l'une des caractéristiques les plus marquantes de l'environnement politique contemporain est la forte dépendance des républicains envers les électeurs blancs, âgés et originaires du Sud. Les démocrates, quant à eux, disposent d'une coalition plus hétérogène d'Afro-Américains, de jeunes blancs et de nouveaux immigrants dans tout le pays, y compris dans le Sud, le long de la côte ouest et dans le Nord-Est.

Les récents scrutins présidentiels ont mis en évidence ces divergences marquées. À titre d'exemple, le républicain Mitt Romney a obtenu en 2012 près de 90 % de ses votes auprès des Blancs non hispaniques. Cependant, il a perdu de justesse face à Barack Obama qui a reçu le soutien de 95 % des Afro-Américains, de plus de 70 % des Hispaniques et d'environ les deux tiers des Américains d'origine asiatique.

Les profonds clivages démographiques, idéologiques et culturels au sein de l'électorat semblent s'intensifier au moment où la population américaine est devenue plus diverse que jamais. Cette année, environ un électeur sur trois sera hispanique, asiatique ou issu d’une autre minorité.

Ce profond changement démographique révèle que les États-Unis sont en voie de devenir — probablement vers le milieu du siècle — une nation majoritairement non blanche. Simultanément, les électeurs sont en train de devenir vieux et rapidement. Si ces tendances générales ne contribueront probablement pas à l'élection de M. Trump cette année, compte tenu de sa rhétorique anti-immigrés, il ne faut cependant pas écarter la possibilité que sa base énergique de partisans de l’anti-establishment le conduise à un second mandat à la Maison Blanche.

 

Andrew Hammond est un associé LSE IDEAS à la London School of Economics.

NDLR : Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Cette tribune est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com