C’est le grand sujet polémique de la relation entre la France et le Maghreb. La spectaculaire et brusque rareté des visas accordées par les consulats français. Les réseaux sociaux bruissent d’expériences inachevées de candidats à ce sésame magique, d’amertume exhibée à un point de frustration jamais atteint. Et parfois de colères propres à des passions déçues.
La réaction est d’autant plus effervescente que le choc des visas atteint de plein fouet une élite habituée à alimenter une incessante mobilité entre les deux rives de la Méditerranée. Aujourd’hui freinée dans son élan par cette réduction drastique des visas, elle rumine sa déception et interpelle les pouvoirs en place. Avec le secret espoir que le message puisse parvenir aux décideurs des deux rives.
Les visas, c’est le sujet cardinal sur lequel le futur gouvernement français et sa ministre des Affaires étrangères, la chiraquienne Catherine Colonna, sont très attendus. La décision d’imposer un régime sec aux demandeurs de visas maghrébins (50% de moins pour le Maroc et 30% de moins pour la Tunisie) avait été prise dans un contexte électoral très abrasif. L’extrême droite, incarnée à l’époque par le volcanique Éric Zemmour et la très remontée Marine Le Pen, imposaient à Emmanuel Macron, en manque de postures solides sur les sujets régaliens et la sécurité, de prendre des décisions. Ce fut la privation de visas pour des pays accusés de rechigner à reprendre leurs nationaux sans-papiers.
Cette démarche annoncée de manière inhabituelle par le porte-parole du gouvernement de l’époque, Gabriel Attal, à la place du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, dissimulait mal sa portée électoraliste à un moment clé où la gouvernance Macron traversait de sérieuses zones de turbulences.
Le maintien de cette sanction française à l’égard du Maghreb n’a plus sa raison d’être.
Aujourd’hui, le maintien de cette stratégie française à l’égard du Maghreb n’a plus sa raison d’être, sauf à rendre permanente une sanction prise sur un coup de sang électoral. Le cauchemar Zemmour a fait un grand «pschitt», pour reprendre l’expression rendue célèbre par Jacques Chirac. L’extrême droite de Marine Le Pen, même si les sondages lui promettaient une entrée remarquée au prochain Parlement, a été politiquement contenue, malgré les notables percées qu’elle vient de réaliser lors du second tour des législatives. Le maintien de cette sanction française à l’égard du Maghreb n’a plus sa raison d’être.
Car il s’agit en fait d’une arme à double tranchant. Elle punit ceux qui adorent la France et s’y rendent pour des raisons commerciales, les études, le tourisme ou simplement pour voir de la famille. Son maintien sans autres explications qu’une vague crainte que les détenteurs de visas puissent rester dans l’illégalité du séjour en France est de nature à distendre les liens humains culturels puissants qui unissent la France et ses voisins du Maghreb.
Pour toutes ces raisons, le prochain gouvernement français, avec à la tête de sa diplomatie une grande experte en relations internationales comme Catherine Colonna, devrait avoir comme priorité de sortir la relation France/Maghreb de la dangereuse impasse vers laquelle elle se dirige. Le président Emmanuel Macron ne peut se permettre le luxe de mettre à chaque occasion en valeur l’exceptionnel lien humain et culturel qui lie la France à cette région du Maghreb, tout en maintenant une attitude de sanctions et de mise en demeure au risque de l’abîmer considérablement.
Les plus optimistes parient sur le fait qu’une fois sortie de cette longue séquence électorale, la diplomatie française reprendra ses esprits.
Et si l’on rajoute à cet imbroglio que la décision française de priver de visas une grande majorité de Maghrébins jette de l’huile sur le feu au sentiment antifrançais déjà exploité par des forces extrémistes dans cette région, l’urgence pour Paris de revoir sa stratégie s’impose avec une grande acuité aujourd’hui plus que demain.
Les plus optimistes parient sur le fait qu’une fois sortie de cette longue séquence électorale, la diplomatie française reprendra ses esprits. Son légendaire réalisme optera pour un retour progressif à la normale dans ces relations spécifiques, précieuses et gagnant-gagnant avec les pays du Maghreb.
Cela ne sera possible que si le quai d’Orsay, lieu de la diplomatie française, arrive à imposer ses choix et ses décisions face à la place Beauvau, siège du ministre de l’intérieur, que dirige toujours Gérald Darmanin, l’auteur supposé, avec l’aval d’Emmanuel Macron, de cette politique de privations et de sanctions. Un homme venu de la droite et dont le rôle auprès du président de la République est d’incarner l’ordre et la sécurité pour compenser les prétendues failles du locataire de l’Élysée dans ce domaine.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
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NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.