Les États-Unis devraient réimposer la campagne de pression maximale contre l’Iran

Réunion du corps dirigeant de l’organisme de surveillance de l’ONU (Photo, AFP).
Réunion du corps dirigeant de l’organisme de surveillance de l’ONU (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 24 juin 2022

Les États-Unis devraient réimposer la campagne de pression maximale contre l’Iran

Les États-Unis devraient réimposer la campagne de pression maximale contre l’Iran
  • Il y a eu des tensions sans précédent entre les États-Unis et l’Europe sous l’administration Trump
  • L’aspect le plus important est l’élaboration d’un mécanisme pour surveiller la mise en œuvre des sanctions

L’administration américaine actuelle a adopté de nombreuses stratégies et incitations pour obliger les dirigeants iraniens à se conformer de nouveau intégralement à l’accord nucléaire qu’ils ont signé avec les puissances mondiales P5+1 (composé des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des nations unies + l’Allemagne) en 2015. Le président, Joe Biden, dont le prédécesseur a retiré les États-Unis de l’accord en 2018, avait espéré que l’Iran accepterait un retour mutuel à l’accord nucléaire en échange d’un assouplissement des sanctions.
Pendant le mandat de l’administration Trump, l’Iran aurait reçu des assurances, voire des promesses, de l’ancienne équipe de l’ère Obama qui a négocié l’accord de 2015. Les dirigeants iraniens auraient été incités à faire preuve de patience en supportant les sanctions imposées par le président, Donald Trump, jusqu’à ce que les démocrates reprennent le pouvoir, comme ils l’ont fait en 2020.
Pour Washington, le facteur temps, les pressions imposées par les élections législatives à la fin de l’année, les prix incontrôlés du carburant et la crise qui a éclaté entre la Russie et l’Ukraine ne sont pas des raisons suffisantes pour forcer les États-Unis à rejoindre l’accord nucléaire avant que l’Iran ne revienne à une conformité totale et annule les mesures qu’il a prises au cours des trois dernières années, notamment l’augmentation de sa production d’uranium hautement enrichi et l’installation de centrifugeuses avancées.
Peut-être que la politique de l’administration américaine qui consiste à fermer les yeux sur la mise en œuvre et le contrôle des sanctions contre l’Iran, et même à lever certaines d’entre elles et à donner à l’Iran une marge de manœuvre dans la conclusion d’accords commerciaux avec le monde extérieur, a conduit Téhéran à nourrir de grands espoirs quant au fait que Washington ferait plus de concessions, conduisant à des succès plus importants pour l'Iran que ceux obtenus en 2015.

«Savoir qui est à l’origine de l’échec de l’accord sur le nucléaire est sans importance. La meilleure option est désormais d’initier une version plus intelligente et plus flexible de cette campagne.» - Dr Mohammed al-Sulami

Les demandes de l’Iran résultant de ces attentes élevées comprennent le désir d’être indemnisé pour les pertes qu’il a subies, à la suite du retrait américain de l’accord sur le nucléaire en 2018. Ces attentes ont cependant été rapidement anéanties lorsque l’Iran a brusquement pris conscience que les États-Unis refuseraient de répondre à ses exigences. En conséquence, Téhéran semble revenir sur certaines de ses demandes ces dernières semaines, notamment retirer le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) de la liste américaine des organisations terroristes étrangères.
Le rapport du conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur l’incapacité de l’Iran à fournir des réponses suffisantes et convaincantes aux questions de l’organisme de surveillance de l’Organisation des nations unies (ONU) sur les activités au sein de sites non divulgués est sans doute, pour Téhéran, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Alors que le monde occidental est totalement focalisé sur la crise russo-ukrainienne, l’impasse politique et technique entre l’Iran, l’Europe et les États-Unis a incité l’administration Biden à vouloir adopter une version actualisée de la campagne de «pression maximale» de M. Trump. Et ce en dépit d’importantes divergences politiques et des accusations que se lancent démocrates et républicains, chacun tenant l’autre responsable de la crise nucléaire iranienne. À titre d’exemple, Trump a qualifié l’accord nucléaire de 2015 de «pire accord de tous les temps», tandis que l’administration Biden a déclaré qu’il avait commis une erreur en s’en retirant en 2018.
Savoir qui est à l’origine de l’échec de l’accord sur le nucléaire est sans importance. La meilleure option est désormais d’initier une version plus intelligente et plus flexible de cette campagne. On peut soutenir que la politique de l’administration Trump n’a pas réussi à faire pression sur l’Iran pour qu'il retourne à la table des négociations, mais ce ne serait qu’une demi-vérité en raison des non-dits plus importants qui consistent à comprendre pourquoi cette politique a réellement échoué.
Pour commencer, il est important de noter que la décision d’imposer la campagne de pression maximale, notamment la réimposition de toutes les sanctions levées contre l’Iran en 2015, n'est intervenue qu'à la fin de 2018. En effet, il a fallu plusieurs mois à l’administration américaine pour les mettre en œuvre. Il s’agit d'un point essentiel lorsqu’on en évoque les répercussions, puisqu’elles ne peuvent être immédiatement remarquées.
Deuxièmement, moins de deux ans après avoir mis en œuvre cette politique contre l’Iran, Donald Trump a quitté la Maison-Blanche, après avoir perdu l’élection présidentielle de 2020. Cela signifie que le délai de mise en œuvre de cette politique était limité et que les promesses faites à l’Iran par les artisans de l’accord nucléaire initial, qui l’ont incité à faire preuve de «patience stratégique», ont rendu difficile le succès de cette politique.
Le troisième point, et peut-être le plus important, réside dans les énormes différences et les tensions sans précédent entre les États-Unis et l’Europe sous l’administration Trump, en particulier avec la troïka qui a participé à l’accord sur le nucléaire (le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne). Cela a conduit au non-respect de la décision américaine, ainsi que la non-conformité de certains des voisins de l’Iran qui ont conclu des accords commerciaux avec Téhéran. Cette politique n’a ainsi pas réussi à atteindre les résultats escomptés.
Cependant, les déclarations et les statistiques confirment que cette période est la plus difficile jamais enregistrée en matière de conditions économiques et politiques en Iran. Selon l’ancien ministre du Pétrole, Bijan Namdar Zangeneh, les sanctions ont eu une plus grande incidence sur le pays que la guerre Iran-Irak. Les manifestations qui ont touché l’Iran en 2019 – la plus grande vague de protestations de son Histoire, couvrant plus de quatre-vingts villes et villages – en sont une illustration. Des slogans critiquant le régime et ses dirigeants se sont répandus dans tout le pays, des images du Guide suprême, Ali Khamenei, ont été brûlées dans plusieurs villes et les exportations de pétrole de l’Iran sont tombées en dessous de deux cent mille barils par jour.
Pour le moment, réimposer la campagne de pression maximale sur l’Iran pourrait donc être la meilleure option, favorisée par un partenariat européen et régional plus large. L’aspect le plus important est l’élaboration d’un mécanisme pour surveiller la mise en œuvre des sanctions et combler les lacunes utilisées par le régime iranien pour induire en erreur la communauté internationale. À cela s’ajoute la nécessité d’élaborer une liste régulièrement mise à jour des entreprises affiliées au CGRI dans le monde, qui devraient toutes figurer sur la liste des sanctions, ainsi que de mettre fin aux exemptions accordées par l’administration Trump à des pays comme l’Inde et l’Irak, entre autres.
Enfin, certains soutiennent que le monde a besoin de pétrole iranien compte tenu des sanctions imposées à la Russie et du boycott économique de Moscou par l’Europe et les États-Unis. En réalité, les exportations de pétrole iranien ne représentent pas une part importante du pétrole mondial et les taux d’exportation sont particulièrement bas. Certains pays de la région, en particulier les États du Golfe, pourraient compenser la part de l’Iran et produire davantage si nécessaire, en particulier si leurs préoccupations concernant le comportement malveillant de l’Iran sont prises en compte.
Au regard de la volonté régionale et internationale d’éviter qu’une nouvelle guerre n’éclate, imposer des sanctions sévères à l’Iran pour le forcer à se conformer à l’accord sur le nucléaire et à accepter des négociations sur son programme de missiles balistiques et son comportement régional malveillant est l’option la moins coûteuse et la moins dangereuse.
Pour conclure, nous pouvons estimer que le moment est venu pour l’administration américaine de mettre en œuvre la politique de pression maximale sur l’Iran qui coïncide avec la prochaine tournée du président Biden au Moyen-Orient. Il se rendra en Israël, en Cisjordanie et en Arabie saoudite, notamment au sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG +3) à Djeddah, qui comprend les États du CCG, en plus de l’Irak, de la Jordanie et de l’Égypte.

Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).

Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.