Comme prévu, la publication du projet d’une nouvelle Constitution tunisienne n’a ni apaisé les tensions politiques ni brossé un tableau plus clair de la voie dans laquelle le pays s’engouffre. Au contraire, le projet, qui sera soumis au référendum national le 25 juillet, n’a fait que durcir les positions autour du président, Kaïs Saïed, qui semble peu enclin à renoncer à la mise en place de son programme.
Malgré les «corrections» apportées au texte constitutionnel, le président Saïed n’a pas réussi à dissiper les inquiétudes des critiques selon lesquelles le projet de Constitution permettrait au président de concentrer pratiquement tous les pouvoirs exécutifs entre ses mains – avec très peu de marge pour contrebalancer son influence.
Ainsi rédigée, la Constitution accorde au président le pouvoir exclusif de nommer ou de congédier le chef et les membres du gouvernement. Bien que le Parlement puisse voter une motion de censure contre le gouvernement, ce dernier reste responsable uniquement envers le président.
En outre, le président pourrait continuer d’invoquer la Constitution pour exercer des pouvoirs exceptionnels chaque fois qu’il juge que le pays fait face à un «danger imminent». Le chef de l’État nommerait également les membres de la Cour constitutionnelle et contrôlerait étroitement le pouvoir judiciaire. Enfin, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) partagerait les fonctions législatives avec une seconde chambre pour les «régions et provinces». Les députés pourraient être démis de leurs fonctions.
Les inquiétudes concernant l’obstructionnisme du précédent Parlement ont désormais cédé la place aux craintes d’un pouvoir législatif affaibli.
Le président Saïed a tenté d’être rassurant en ajoutant une mise en garde dans sa version corrigée selon laquelle l’État agirait «dans le cadre d’un système démocratique» pour poursuivre ses objectifs. Cependant, pour ses détracteurs, cela ne suffit pas, car ils estiment que le texte actuel pourrait ouvrir la voie au président actuel ou à son successeur pour enterrer toute notion d’État civil.
Ironiquement, de nombreux Tunisiens s’inquiètent également de ce qui pourrait se passer si le projet était rejeté par le référendum, d’autant plus que le président ne s’est pas engagé à démissionner et à organiser des élections anticipées en cas de rejet de sa Constitution.
«Le président Saïed ne peut continuer d’éviter un dialogue important avec les principaux acteurs sociaux et politiques.»
Mais un retour au système en place avant l’accession de M. Saïed aux pouvoirs exceptionnels et à la suspension du Parlement, en juillet 2021, est pratiquement impossible.
Le système précédent a été largement discrédité et la Constitution de 2014 est perçue comme la source des crises politiques et constitutionnelles du pays, qui ont conduit au déclin économique. Kaïs Saïed a en réalité tiré profit des inconvénients associés au système passé.
Cela a laissé peu d’options aux partis politiques opposés à sa récente décision, car ils n’ont jusqu’à présent pas réussi à rallier de grandes foules à leur cause. Les islamistes d’Ennahdha, longtemps affaiblis par leurs divisions internes et leurs mauvais résultats au sein du gouvernement, ont particulièrement du mal à faire face à la méfiance latente du public et aux problèmes juridiques croissants. Les syndicats ont critiqué le président, mais ils se sont éloignés de toute alliance avec l’opposition.
La résilience du soutien communautaire a encouragé le président dans sa détermination à poursuivre sa quête solitaire d’un système politique remodelé, où il y aurait très peu d’interaction avec les principaux partis politiques et les organisations de la société civile.
On s’attend à ce que la Constitution passe l’épreuve référendaire, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles élections en décembre, car la plupart des opposants sont non seulement profondément divisés, mais susceptibles de s’abstenir au lieu de voter «non». Pour l’instant, la seule incertitude est le niveau de participation aux deux tours du scrutin.
Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a approuvé, de manière inattendue, les plans de M. Saïed plus tôt ce mois-ci. Il a appelé les Tunisiens à voter «massivement» pour la Constitution. La position du dirigeant algérien reflète la méfiance régionale et internationale à l’égard de l'évolution de la situation en Tunisie et de ses répercussions potentielles.
Au cours du processus, Kaïs Saïed a fait preuve d’une capacité à ajuster le cap au besoin. Parmi les «corrections» qu’il a apportées au projet de Constitution figure la suppression de la «moralité publique» de la liste des justifications possibles pour les restrictions aux libertés civiles. Il s’est également adressé aux électeurs dans une allocution télévisée, affirmant qu’il n’était pas un autocrate en devenir.
Le chemin que la Tunisie doit parcourir reste parsemé de défis autres que ceux posés par la feuille de route politique de M. Saïed. L’un des plus importants est le résultat de négociations délicates avec le Fonds monétaire international (FMI), qui pourraient contraindre le président à accepter des réformes douloureuses contredisant ses discours populistes.
Mais pour relever ce défi parmi d’autres, Kaïs Saïed ne peut continuer d’éviter un dialogue important avec les principaux acteurs sociaux et politiques. Sa complaisance avec le soutien interne et l’acceptation de facto de ses actions à l’extérieur n’est peut-être pas son meilleur guide pour diriger le navire de l’État.
En assumant la plupart des pouvoirs, M. Saïed ne manquera pas d'être critiqué en cas de problème. Le risque le plus élevé, cependant, pourrait provenir de l’économie en crise, ce qui pourrait renforcer encore plus les difficultés. Cette situation, en plus de la polarisation continue des dirigeants face à la stratégie du président, ajoutera aux incertitudes quant à la stratégie de la Tunisie.
Agir en solitaire peut sembler un choix prudent pour un leader soucieux de mettre en œuvre sa propre vision de l’avenir. Cependant, l’approche du président Saïed n’offre aucune garantie contre les erreurs de prise de décision ou les changements inattendus de l’humeur du public, alors que le pays lutte douloureusement pour trouver un refuge sûr au milieu des divisions et des défis croissants.
Oussama Romdhani a précédemment occupé des postes au sein du gouvernement tunisien. Il était également diplomate à Washington. ©Syndication Bureau
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com