Et si le Liban se retrouvait sans président après le 31 octobre?

Le Liban a vécu à trois reprises ces quatre dernières décennies une vacance à la présidence de la République (Photo, AFP).
Le Liban a vécu à trois reprises ces quatre dernières décennies une vacance à la présidence de la République (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 24 août 2022

Et si le Liban se retrouvait sans président après le 31 octobre?

Et si le Liban se retrouvait sans président après le 31 octobre?
  • Selon la Constitution libanaise, les députés ont soixante jours pour élire un nouveau président qui prendra ses fonctions à la fin du mandat du général Aoun, le 31 octobre
  • Le scénario le plus grave serait que le Hezbollah provoque par divers moyens une vacance prolongée à la présidence, de quoi déclencher une crise aiguë du régime libanais

Un Liban sans président? C’est bel et bien un risque. En effet, l’histoire récente du pays du Cèdre rappelle que le Liban a vécu à trois reprises ces quatre dernières décennies une vacance à la présidence de la République.

La première fois, ce fut avant la fin de la guerre civile en 1988, à l’issue du mandat de l’ancien président libanais, Amine Gemayel. Face à l’impossibilité d’élire un nouveau président, ce dernier avait formé un gouvernement de transition à la tête duquel il avait nommé le général Michel Aoun. Ce dernier mènera toutes sortes de manœuvres politiques afin d’accéder à la présidence. La guerre se poursuivra deux ans de plus. Il faudra attendre 1990 pour réussir à élire un nouveau président, marquant alors la fin de la guerre.

La deuxième vacance du pouvoir s’est produite en septembre 2007 à la fin du mandat prolongé de l’ancien président Émile Lahoud. La crise politique qui suivit l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, ne permettra pas l’alternance à la première fonction à la tête de l’État. Ce n’est qu’après la prise sanglante du Hezbollah de la capitale en mai 2008 et la tenue de la conférence de Doha qu’un accord a permis de faire élire le commandant en chef de l’armée, Michel Sleimane, à la présidence le 25 mai 2008.

Le troisième vide au sommet de l’État remonte à la fin du mandat de Michel Sleimane, en 2014. Le poste de président de la République restera vacant sous l’effet de la crise politique et des tensions d’ordre sécuritaire. Un marasme qui durera environ deux ans et demi. Le camp politique mené par le Hezbollah bloquera toute tentative d’élection présidentielle tant que son candidat ne sera pas assuré d’être élu. Ce n’est finalement que le 30 octobre 2016 que le général Michel Aoun est élu à la suite d’un deal qui englobera les principales composantes politiques du pays. Son élection comme principal allié du parti pro-iranien mettra terme au blocage du processus électoral.

Le délai constitutionnel pour l’élection d’un nouveau président débutera le 1er septembre prochain. Selon la Constitution, les députés ont soixante jours pour élire un nouveau président qui devrait prendre ses fonctions à la fin du mandat de l’actuel président, le 31 octobre. Néanmoins rien ne dit qu’une fois ce délai passé, le Liban aura un nouveau président. Les tractations politiques vont bon train, et avec elles courent les rumeurs du risque que le pays se retrouve après le 30 octobre sans président, et soit parallèlement dépourvu d’un gouvernement en bonne et due forme (l’actuel gouvernement étant démissionnaire).

La communauté chiite considère que le niveau de sa participation au sein du pouvoir au Liban est bien inférieur à son importance et à son rôle

Ali Hamade

Plusieurs scénarios sont avancés: devant l’impossibilité de choisir un futur président plus ou moins consensuel, mais proche du Hezbollah, le président du Parlement, Nabih Berry entraverait le processus électoral en essayant d’ajourner autant qu’il le peut la convocation d’une session vouée à l’élection d’un nouveau président. Cela ne serait pas une première pour le président de la Chambre.

Un autre scénario consisterait à jouer la carte du quorum nécessaire pour la tenue de la session électorale. Cette carte serait utilisée à tour de rôle par les trois principaux camps qui forment la majorité écrasante des sièges au Parlement. Mais un troisième scénario s’avérerait encore plus critique: si un président n’est pas élu dans les soixante jours qui précèdent la fin du mandat du général Aoun, ce dernier risquerait de refuser de quitter le palais présidentiel, prétextant un vice constitutionnel, arguant de l’incapacité d’un gouvernement démissionnaire à remplir les fonctions présidentielles en cas de vacance du poste.

Le président irait même jusqu’à organiser des manifestations de soutien, qui encercleraient le palais présidentiel en référence à l’époque où, en tant que chef du gouvernement militaire provisoire en 1989, il avait refusé de quitter le palais après l’élection d’un nouveau président en opposition aux accords politiques de Taëf. M. Aoun n’en serait pas à sa première tentative putschiste. Enfin, un scénario encore plus grave consisterait à ce que le Hezbollah provoque par différents moyens une vacance prolongée à la présidence de la République, de quoi déclencher une crise aiguë du régime libanais. Il agirait ainsi pour remettre les rebattre les cartes de la distribution des pouvoirs entre les communautés religieuses libanaises. La communauté chiite considère que le niveau de sa participation au sein du pouvoir au Liban est bien inférieur à son importance et à son rôle. L’histoire récente de la République libanaise nous enseigne que tous les coups sont permis quand il s’agit de de lutte pour le pouvoir.

Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban. 

Twitter: @AliNahar

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.