La guerre civile se profile en Irak, alors que le peuple se dresse face au Hachd al-Chaabi

Le moment de vérité est enfin arrivé à Bagdad (Photo fournie).
Le moment de vérité est enfin arrivé à Bagdad (Photo fournie).
Short Url
Publié le Samedi 27 août 2022

La guerre civile se profile en Irak, alors que le peuple se dresse face au Hachd al-Chaabi

La guerre civile se profile en Irak, alors que le peuple se dresse face au Hachd al-Chaabi
  • Les partisans de la ligne dure du Cadre de coordination, comme Nouri al-Maliki et Qais al-Khazali, semblent déterminés à poursuivre la provocation et l’escalade
  • Les deux factions chiites qui s’affrontent actuellement à Bagdad peuvent facilement mobiliser des dizaines de milliers de combattants armés pour soutenir leur cause

Le moment de vérité est enfin arrivé à Bagdad. Le chef religieux Moqtada al-Sadr et un nombre croissant d’Irakiens prennent enfin position contre le Cadre de coordination – le piètre front politique du Hachd al-Chaabi, une vaste coalition paramilitaire soutenue par l’Iran et qui a sur les mains le sang de dizaines de milliers d’Irakiens.

Ce mouvement du Hachd ne revendique aucune acceptation populaire de la part des Irakiens. Il s’est brutalement hissé au premier plan qu’il occupe aujourd’hui au moyen du mensonge, de la tricherie, de la violence, des menaces et du refus de faire des compromis au niveau de ses objectifs partisans et anti-irakiens.

Moqtada al-Sadr a mis en garde contre les actions provocatrices de ses opposants qui risquent, selon lui, de déclencher une guerre civile. Il est difficile d’être en désaccord avec ce constat étant donné que le Cadre de coordination a organisé des contre-manifestations de voyous paramilitaires à Bagdad. Le chef religieux a par ailleurs annulé sa «manifestation d’un million d’hommes» la semaine dernière après avoir eu écho d’informations selon lesquelles le Cadre s’était entendu avec des membres de la tribu pour inonder Bagdad de voyous armés chargés d’attaquer les manifestants.

Le chef religieux a boycotté le dialogue convoqué par le Premier ministre du pays, Moustafa al-Kazimi, soulignant que le format secret de ces réunions perpétuait les pires aspects du système sectaire actuel, dans lequel un groupe d’hommes non représentatifs se partagent l’administration en vue de piller le pays et de contrecarrer les aspirations du peuple irakien. «Je refuse de me réunir avec des gens corrompus et d’autres qui veulent me tuer», a-t-il soutenu.

D’ailleurs, l’un de ses proches alliés a déclaré à M. Al-Kazimi: «Il n’y a rien que vous puissiez faire pour la révolution, à part démissionner.» Il a ajouté que le dialogue devrait être télévisé «afin que les gens puissent être au courant des complots, des intrigues et des fuites qui se tiennent dans les coulisses». Cependant, l’appel de Moqtada al-Sadr à un dialogue public sous l’égide de l’ONU sera certainement rejeté par les autres partis. Les demandes corrompues qu’ils ont l’intention de faire ne peuvent certainement pas être rendues publiques.

Les partisans de la ligne dure du Cadre de coordination, comme Nouri al-Maliki et Qais al-Khazali, deux personnalités véritablement perverses qui ont déjà causé d’énormes dégâts à l’Irak, semblent déterminés à poursuivre la provocation et l’escalade.

M. Al-Maliki est la grande figure de ces divisions insolubles actuelles, le Frankenstein qui a soudé le colosse Hachd à partir d’un groupe hétéroclite de milices criminelles. En ajoutant le Hachd à la masse salariale du gouvernement, en 2014, il a, de manière vicieuse, rendu l’État irakien responsable de dépenser des milliards de dollars pour financer des entités qui travaillent à détruire l’État irakien.

À chaque étape du jeu, les agents pro-iraniens ont bloqué tout progrès vers la formation d’un gouvernement représentatif afin de s’imposer à l’électorat. Les factions paramilitaires qui sont à l’origine du Cadre de coordination utilisent la puissance militaire pour exercer leur pouvoir dans toutes les provinces irakiennes avec des réseaux de type gangster qui dominent l’économie et déplacent brutalement tous ceux qui constituent une menace.

Faire des compromis avec le Cadre de coordination reviendrait à céder le gouvernement irakien à des voleurs et à des assassins, à mettre fin à tout espoir de démocratie et à pousser irrémédiablement l’Irak dans les bras de l’Iran. Les factions du Hachd rejettent les élections anticipées parce qu’elles ont énormément bénéficié des démissions sadristes au sein du Parlement. Tout ce qui les attend lors d’un nouveau vote serait une défaite totale.

En plus d’appliquer sans compromis  les demandes d’élections anticipées, Moqtada al-Sadr et d’autres personnalités nationalistes doivent veiller à ce que les nouvelles élections ne reproduisent pas simplement un autre cycle infernal dans lequel la politique irakienne semble depuis longtemps piégée.

Faire des compromis avec le Cadre de coordination reviendrait à céder le gouvernement irakien à des voleurs et à des assassins, à mettre fin à tout espoir de démocratie et à pousser irrémédiablement l’Irak dans les bras de l’Iran.

Baria Alamuddin

Moqtada al-Sadr est accusé d’utiliser ses partisans pour organiser un coup d’État. Il cherche en effet à révolutionner le système de gouvernement. S’il veut acquérir une certaine légitimité au niveau national, il doit aller au-delà de sa propre base de soutien et se tourner vers le grand nombre d’Irakiens non chiites qui soutiennent sa vision d’un changement radical.

Après avoir été accusé d’avoir trahi le mouvement de protestation en 2019, le chef religieux doit montrer au peuple que ce dernier peut lui faire confiance et le motiver à participer aux élections à venir. Sa carrière est parsemée de demi-tours et de faux départs; espérons qu’il réussira cette fois à s’en tenir à ses principes.

Les lois électorales doivent être réformées loin du système sectaire, qui consacre la corruption et les divisions. Les listes électorales secrètes et manipulatrices qui dissimulent les votes véritables des Irakiens devraient être abolies.

Les coalitions antisectaires à grande échelle doivent dépasser les clivages politiques et mettre fin à la fragmentation et à l’esprit partisan qui font de l’État irakien un gâteau à découper. 85% du financement gouvernemental provient des revenus du pétrole, ce qui fait que les revenus de chaque ministère sont généralement drainés par des factions kleptocratiques qui n’ont aucune notion du service public.

La visite à Riyad, la semaine dernière, d’Ammar al-Hakim, chef du Mouvement de la sagesse nationale d’Irak, est une bonne initiative pour éloigner les politiciens chiites modérés des extrémistes pro-iraniens qui ne forment des coalitions qu’en terrorisant ou en soudoyant d’autres factions pour qu’elles se plient à leurs ordres. Attribuer un rôle plus important aux États arabes ne peut être qu’une chose positive pour autonomiser les progressistes nationalistes et contrebalancer l’influence perverse de l’Iran.

La crise irakienne rappelle celle du Liban, où les factions pro-Iran qui ont perdu les dernières élections ont cherché à imposer leurs choix politiques, menaçant de plonger le pays dans la violence si leurs revendications n’étaient pas satisfaites. Le dénominateur commun dans les deux cas est la volonté de Téhéran d’imposer ses mandataires à des populations qui, pour la plupart, refusent la domination étrangère et la perte de leur souveraineté.

Au moment où les négociations sur le programme nucléaire iranien se trouvent à un stade critique, Téhéran est susceptible de jouer dur pour tenter de maximiser sa position internationale. Tout progrès au niveau de ces pourparlers inonderait l’Iran de milliards de dollars de fonds non gelés avec lesquels il pourrait consolider davantage la présence de ses alliés à l’étranger.

Les deux factions chiites qui s’affrontent actuellement à Bagdad, fortes d’une longue histoire d’inimitiés et de divisions, peuvent facilement mobiliser des dizaines de milliers de combattants armés pour soutenir leur cause, ce qui signifie que la dispute actuelle pourrait atteindre des niveaux catastrophiques. Le mélange complexe d’ethnies, de tribus et de religions en Irak rend le potentiel de conflit particulièrement périlleux.

Les Irakiens qui souhaitent sauver leur nation en tant qu’État souverain doivent agir de manière décisive avant que l’Irak, tel que nous le connaissons, ne se désintègre complètement et que son énorme richesse pétrolière ne soit gaspillée par l’autodestruction.

Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com