Français de souche, Français de sol et Français de… papier: Qu’en est-il, vraiment?

Paris, le 4 août 2022. (Photo par ALAIN JOCARD / AFP)
Paris, le 4 août 2022. (Photo par ALAIN JOCARD / AFP)
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Publié le Mercredi 21 septembre 2022

Français de souche, Français de sol et Français de… papier: Qu’en est-il, vraiment?

Français de souche, Français de sol et Français de… papier: Qu’en est-il, vraiment?
  • Une enquête statistique menée par l’Insee et l’Ined «a montré qu’un tiers de la population française de moins de 60 ans a des origines immigrées»
  • Le plus déconcertant, dans les diverses interventions autour de la question de l’identité, c’est que personne ne soucie de ce que l’École inculque à l’élève en la matière

Le peuple de France est connu pour être un melting-pot. Sans remonter aux… calendes grecques, avec les gallo-romains, le pays (qui n’occupait alors qu’une petite partie de ce que l’on appellera «l’Hexagone») était déjà en cours de métissage.

Rappelons que c’est le nom de «Francs», désignant un peuple envahisseur germanique, qui donnera plus tard le nom du pays: la France. Alors, quand un Éric Zemmour s’émeut (euphémisme) de ce que les immigrés, naturalisés «Français», refusent de donner des prénoms français à leurs enfants, il oublie ou feint d’ignorer que son propre prénom n’est point d’origine française, mais… germano-scandinave. Ce qui est en tout cas, nous dirait monsieur Zemmour, plus européen que Karim! Certes. Mais… «Karim», pourquoi «Karim»? Benzema, pardi! But!

«Une identité profondément métisse»

Le plus déconcertant, dans les diverses interventions autour de la question de l’identité, c’est que personne ne soucie de ce que l’École inculque à l’élève en la matière. Écoutons Edgar Morin, une voix autorisée, s’il en est : «Certes, je me sens méditerranéen et très européen, avec des racines espagnoles, italiennes, d’origine juive, mais au noyau de tout cela il y a l’identité française qui est une idée profondément métisse. C’est cela que l’on aurait dû enseigner plutôt que de faire un débat pour trouver une notion rétrécie et fausse de l’identité française».

L’on se souvient du fameux «Ministère de l’Identité et de l’Immigration». Un intitulé qui m’avait personnellement interpellé, au sens plein du terme. D’où ma réaction dans une longue tribune, sous le titre, aussi curieux que l’ajout de ce «et» qui, dans l’intitulé ministériel, pose comme un lien de confrontation entre «Identité» et «Immigration».

Ma conclusion: «Ce qui nourrit la suspicion, dans cet intitulé, ce n’est pas tant “l’Identité nationale” en soi que la contamination (au sens linguistique) générée par sa conjonction avec “l’Immigration”. Tout est dans ce “et” qui semble outrepasser sa fonction de coordination pour s’ériger en point nodal, où doit se nouer le contrat républicain entre le candidat à la citoyenneté et la nation. Sans cette adhésion, l’immigré naturalisé se placerait d’emblée dans la situation d’un candidat à l’expulsion.»

En somme, l’immigré d’aujourd’hui, devenu «Français de papier» (par naturalisation), aurait peut-être un lointain ancêtre bourguignon ou aquitain ou narbonnais. 

- Salah Guemriche

Et, au fait, quid de la formule «Français de souche»? En 2015, la justice française elle-même s’y était penchée, lors d’un procès intenté contre un chanteur de rap et un sociologue qui avaient visé «des Français blancs dits “de souche”», et qu’une association («L'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne») avait attaqués pour «racisme antiblanc». Le tribunal avait rejeté la plainte, estimant que la formulation en cause n’avait «aucune réalité légale, historique, biologique».

«Aucune réalité biologique», carrément!... Et pour cause : en juillet 2022, une enquête statistique dite «TeO» (Trajectoire et Origines), menée par l’Insee et l’Ined, «a montré qu’un tiers de la population française de moins de 60 ans a des origines immigrées» De quoi reconsidérer les clichés entretenus par l’extrême-droite et les théoriciens du mythique «Grand Remplacement». Voire : «La moitié des enfants d’immigrés ont un parent qui n’est pas immigré», souligne Patrick Simon, socio-démographe à l’Ined et coauteur de l’enquête TeO. C’est encore plus vrai pour la troisième génération: neuf petits-enfants d’immigrés sur dix n’ont qu’un ou deux grands-parents immigrés.

De souche, de sol, de papier: qu’en est-il?

La meilleure réponse, passée sous silence, nous vient d’une équipe de savants français. Une étude que j’ai déjà évoquée ici et que j’avais découverte alors que je travaillais sur la légendaire bataille de Poitiers, et plus exactement sur un épisode qui marqua les chroniqueurs chrétiens de l’époque, à savoir le mariage, occulté par les manuels contemporains, de la fille du duc de Toulouse et du gouverneur musulman de Narbonne… Quel rapport? Une histoire de souche, justement, et d’ADN, plus exactement.

Dans cette étude, il est question de «programme génétique». Publiée en 1988 dans une revue qui fait autorité dans son domaine : Médecine et sciences (M/S), on y apprend que des chercheurs en génétique et biologie moléculaire avaient fait une découverte inouïe. Une thèse où il est question de phénylcétonurie. Cela parle d’invasions et d’envahisseurs: Vikings, Celtes, Juifs yéménites et Sarrasins. Une des conclusions de ces hommes de sciences, c’est que l’ADN peut garder la trace moléculaire de certains événements historiques!

À partir d’un cas de phénylcétonurie, diagnostiqué chez un enfant algérien de treize mois, ils ont pu différencier la mutation arabe: «Cette mutation a pu naître il y a très longtemps et être introduite en Afrique du Nord et en Europe du Sud par les envahisseurs sarrasins au VIIIe siècle. L’absence de cette mutation en Europe du Nord peut être expliquée par les coups d’arrêt donnés à l’invasion sarrasine en France. Son axe principal traversant l’Espagne a été barré à Poitiers en 732 par Charles Martel. L’autre poussée a été refoulée à Autun en 725»!  

La «France» au VIIIe siècle

Plus extraordinaire, l’équipe parisienne a retrouvé la mutation arabe dans une famille bourguignonne de la région d’Autun, en Bourgogne, l’ancienne Burgondie du temps de Charles Martel. Et «l’origine française de cette famille a pu être formellement établie en remontant jusqu’à 1632. Tout laisse donc à penser que ce cas bourguignon de phénylcétonurie est une séquelle génétique de l’invasion du VIIIe siècle découverte douze siècles après»!

Cela revient à dire, et même si les généticiens n’ont pu remonter jusqu’au VIIIe siècle, qu’il est fort possible que cette famille, qui est sûrement persuadée d’être française «de souche» gauloise ou burgonde, descende de quelque «sarrazinerie» burgonde, pour reprendre l’expression de Jean Lacam… Et si l’on ajoute qu’après leur défaite à Poitiers, nombre de Sarrasins (Arabes et Berbères), de ceux qui ne réussirent pas à rejoindre Narbonne, toujours sous domination musulmane, écumèrent en bandes dispersées le Limousin, le Quercy et le Gevaudan, pendant que d’autres, captifs, furent conduits en Ardèche, condamnés à des travaux forcés dans les mines d’argent, qui donneront son nom à la ville Largentière.

Il est pensable que ces derniers firent souche dans la région et alentour, jusqu’à se fondre, au bout de plusieurs générations, dans les populations locales. Qui peut alors nous assurer que certaines familles d’Aubenas, de Valence ou du Puy-en-Velay n’ont pas, sur leur arbre généalogique, quelque lointaine branche arabo-berbère?

En somme, l’immigré d’aujourd’hui, devenu «Français de papier» (par naturalisation), aurait peut-être un lointain ancêtre bourguignon ou aquitain ou narbonnais. Du reste, et cela aussi je l’ai évoqué dans une précédente chronique, un historien de la ville de Béziers, dont le maire est Robert Ménard, écrivait que durant l’occupation arabo-berbère de la Narbonnaise, «Beaucoup d’habitants se firent musulmans». Voilà qui serait de nature à renforcer la thèse avancée par l’Insee, selon laquelle «un tiers de la population française de moins de 60 ans a des origines immigrées».

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.