Médias de France, médias d’en France: Du parti pris au deux poids deux mesures

Des journalistes prennent des photos d'un chien renifleur de mines terrestres, après son retour d'un travail de déminage dans le village de Yahidne dans la région de Tchernihiv, le 7 juin 2022, à Kyiv. Sergei SUPINSKY / AFP
Des journalistes prennent des photos d'un chien renifleur de mines terrestres, après son retour d'un travail de déminage dans le village de Yahidne dans la région de Tchernihiv, le 7 juin 2022, à Kyiv. Sergei SUPINSKY / AFP
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Publié le Mercredi 05 octobre 2022

Médias de France, médias d’en France: Du parti pris au deux poids deux mesures

Médias de France, médias d’en France: Du parti pris au deux poids deux mesures
  • Tout au long de cette couverture médiatique, on a entendu des experts assimiler l’Occident (et lui seul) aux «nations civilisées»: le reste du monde (l’Inde, la Chine, le Moyen-Orient et la Russie) n’en ferait pas partie !
  • Disons-le sans détour et prenons date: le traitement médiatique de cette guerre sera un jour donné en exemple dans les écoles de journalisme pour ses manquements flagrants à la déontologie !

En France, il y a entre 35 000 et 40 000 journalistes détenteurs de la carte de presse. Pays de la Déclaration des Droits de l’Homme, la France se veut aussi celui de la liberté d’expression. Une liberté bien encadrée, comme il se doit. Mais, neutralité ou parti pris, qu’en est-il concrètement de ses médias, privés comme publics, télé, radio comme presse écrite?
La question s’était déjà posée il y a près de deux siècles, bien avant l’avènement du tout- média. Et elle fut formulée par un grand écrivain: Honoré de Balzac. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’auteur de La Comédie humaine ne portait guère la presse dans son cœur. À ses yeux: «Les journalistes sont des personnages vénaux, corrompus, dont la puissance est disproportionnée par rapport au talent» 1.

D’un camp à l’autre

Prenons un sujet d’actualité: la guerre en Ukraine. Sujet sensible, certes. On s’attendait à ce que les agresseurs fussent vilipendés, ce qui allait de soi. Durant des mois, et parfois sans discontinuer, ce fut le sujet majeur de l’actualité internationale, à la télévision surtout. Et si la couverture du décès de la reine Elizabeth II a fini par prendre le dessus, une des chaînes d’information en continu avait fait le service minimum, préférant ses directs depuis Kiev ou les analyses partisanes de ses chroniqueurs attitrés.

Si les journalistes du pays de Voltaire, ces «professionnels de la profession», pour reprendre une formule de Jean-Luc Godard, ne sont pas passés par une même école, ils se sont croisés cependant, d’un changement de poste à un autre, dans les mêmes salles de rédaction: presse écrite, radios ou télés. Avec la guerre en Ukraine, on les découvre en «croisés» de l’information, plus militants que journalistes. S’ils se moquent, à raison, des contenus de la télévision russe, à suivre les intervenants, une génération spontanée d’experts, on se croirait devant un écran de la télévision ukrainienne et non française.

C’est ainsi: le principe de déontologie est si malmené depuis huit mois que l’on se croirait devant des écrans d’un pays engagé directement dans le conflit ! Et si vous avez l’audace de le souligner, vous êtes aussitôt qualifié de «poutinophile». Mais comment peut-on l’être, poutinophile, quand on voit toutes ces victimes innocentes, enfants et vieilles personnes, une humanité hagarde, désespérée sur les chemins de l’exil, et quand on fut soi-même, enfant, témoin de crimes aussi monstrueux, commis, ceux-là, non par les Russes mais par le pays de Jean Moulin?

En Ukraine, oui, il y a eu des crimes de guerre. La dévastation des villes n’avait aucune justification. Mais qu’est-ce que ce journalisme qui prend toute déclaration d’un gouvernement pour parole d’Évangile, et qualifie de propagande toute information émanant de l’autre? Même si la propagande est dans l’ADN du régime russe, le déni des pertes, par Kiev, «fait partie des règles du jeu», comme l’avait dit (ce qui fit bouder l’animateur) un ancien reporter de guerre… Et en effet, tout gouvernement en situation de guerre diffuse de l’infox, qu’il glisse entre deux informations documentées. Que voulez-vous, moi, je reste hanté par la perfide vision de la fiole brandie par un certain Colin Powell...

Tout au long de cette couverture médiatique, on a entendu des experts assimiler l’Occident (et lui seul) aux «nations civilisées»: le reste du monde (l’Inde, la Chine, le Moyen-Orient et la Russie) n’en ferait pas partie ! Sacrée civilisation, qui commença par anéantir les populations natives du «Nouveau monde», avant de dévaster l’Afrique, l’Asie et le Moyen-Orient! Encore la question, qui me taraude: la Shoah, l’anéantissement de Nagasaki et Hiroshima, sont-ce les Russes, les Chinois, les Africains ou des Arabes qui en furent les auteurs?

De quoi se demander si ces journalistes ne se sont pas mis au service d’un camp, au lieu d’être au service de l’information. Disons-le sans détour et prenons date: le traitement médiatique de cette guerre sera un jour donné en exemple dans les écoles de journalisme pour ses manquements flagrants à la déontologie !

Un déficit de confiance

Et, du côté de la réception, des publics, de l’opinion, que se passe-t-il? Comment, d’un média à un autre, les citoyens de France vivent-ils les flux d’information? Que pensent-ils de leurs informateurs? Leur font-ils confiance? Voici un aperçu édifiant d’une enquête effectuée en 2021, où l’on découvre la France classée loin, très loin, même derrière le Nigeria !  

medias

Récemment, le 28 septembre, à l’occasion de la Journée internationale de l’accès à l’information, l’association Reporters sans frontières (RSF) a publié un livre blanc énumérant «30 propositions pour le droit à l’information». Ces propositions furent recueillies entre le 24 mars et le 9 avril 2022, au cours de réunions avec des citoyens de 20 villes de France. L’une des 30 propositions retenues est celle ayant trait à la confiance:
«La confiance en l’information demeure un point de crispation. En cause, les conflits d’intérêts potentiels liés à la concentration des médias, la masse d’informations issues de sources différentes qui renforce la difficulté à distinguer le vrai du faux, et le sentiment de manipulation…» 2

Et quid de la couverture d’autres sujets

Oui, quid de la couverture d’autres sujets: faits divers ou événements culturels? Nous ne prendrons qu’un exemple, pour faire court: le cas d’un procès où c’est un immigré qui fut «partie prenante», mais cette fois en tant que plaignant!

En 2013, notre immigré, écrivain algérien vivant en France, découvrit que l’un de ses ouvrages avait été plagié, complètement «siphonné», pour ainsi dire. Et pas par n’importe qui: par une célébrité du milieu éditorial! Autant dire que c’était une affaire de pot de terre contre pot de fer. Bien que sans moyens, la victime prit un avocat, spécialisé dans les droits d’auteur et tout aussi célèbre que l’auteur du délit. L’immigré ne baissa pas les bras, malgré les conseils et les avertissements de son entourage, qui redoutait la déconvenue pour notre homme. Ce n’est qu’au bout de cinq ans que la justice rendit son verdict: le pot de terre l’emporta sur le pot de fer! Imaginez l’émotion, chez notre auteur, et la sidération dans son entourage!

L’affaire fut suivie de bout en bout pat un journaliste, un seul, d’un quotidien régional. On s’attendait évidemment à ce que l’événement fît grand bruit, dans la grande presse, les grands médias… Walou. Que nenni ! Rien ! Pas un mot ! Mais dans la pire des situations, il y a toujours une exception. Ce fut un ancien grand journaliste, ancien correspondant du Monde à Alger, Daniel Junqua:

le monde

Pourquoi vous ai-je raconté ce cas, spécifiquement? Tout simplement pour vous laisser imaginer si l’immigré avait été, lui, le «voleur», même d’un pain au chocolat…

Une question, pour conclure… En 1931, Antonio Gramsci écrivait ceci: «Je n’ai jamais été un journaliste professionnel vendant sa plume à qui la paie le mieux et devant continuellement mentir parce que le mensonge fait partie de la qualification professionnelle. J’ai été un journaliste très indépendant… Et je n’ai jamais dû cacher mes convictions profondes pour faire plaisir à des patrons ou à des protecteurs». À la lecture de ces lignes, quel pourcentage de journalistes œuvrant en France s’y reconnaîtraient, selon vous: 30%, 20%, 10%?

1. Marie-Ève THÉRENTY, Ouest-France, 19-10-2021.
2. Rsf.org

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.