Une nouvelle ère de suprématie paramilitaire en Irak

Le nouveau président irakien, Abdel Latif Rachid, nomme Mohammed Shia al-Sudani au poste de Premier ministre, le 13 octobre 2022. (Reuters)
Le nouveau président irakien, Abdel Latif Rachid, nomme Mohammed Shia al-Sudani au poste de Premier ministre, le 13 octobre 2022. (Reuters)
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Publié le Vendredi 21 octobre 2022

Une nouvelle ère de suprématie paramilitaire en Irak

Une nouvelle ère de suprématie paramilitaire en Irak
  • Les crimes contre les droits de l’homme et la coexistence interreligieuse sous la surveillance de MM. Al-Maliki et Al-Sudani étaient tels que, en 2014, l’Irak s’est complètement désintégré
  • Avec le soutien populaire accumulé par le Hachd au cours de l’année écoulée, Téhéran s’inquiète de l’éligibilité future de ses marionnettes irakiennes

BAGDAD: L’Irak a un nouveau Premier ministre. Il s’appelle Nouri al-Maliki.

L’actuel Premier ministre, Mohammed Shia al-Sudani, n’est personne. Il ne dispose d’aucun soutien parlementaire et est entièrement redevable à ceux qui l’ont placé au pouvoir. Les centaines de milliers d’Irakiens qui ont envahi les rues de Bagdad en août dernier pour protester contre la candidature d’Al-Sudani avaient d’excellentes raisons de le faire.

En 2010, lorsque Nouri al-Maliki était Premier ministre, il a nommé M. Al-Sudani au poste de ministre des Droits de l’homme à une époque où il n’y avait pas de droits humains à gérer. Au cours de cette phase noire de l’histoire de l’Irak, M. Al-Maliki a coopté des milices comme Asaïb Ahl al-Haq, l’armée Mukhtar et les brigades de l’imam Ali pour se lancer dans des purges sectaires sanglantes et assassiner des journalistes, des militants et des opposants politiques. M. Al-Maliki a armé le système judiciaire contre ses ennemis et il a éliminé les combattants sunnites qui avaient mis leur vie en péril pour combattre des groupes terroristes.

En tant que président de la Commission pour la «débaasification», M. Al-Sudani a aidé M. Al-Maliki à démettre des centaines de sunnites et de rivaux politiques de leurs fonctions administratives. La Commission pour l’intégrité irakienne estime que 500 milliards de dollars (1 dollar = 1,03 euro) ont été détournés par corruption du budget irakien pendant le mandat de M. Al-Maliki. Une grande partie de cette somme a servi à financer la violence paramilitaire.

Les crimes contre les droits de l’homme et la coexistence interreligieuse sous la surveillance de MM. Al-Maliki et Al-Sudani étaient tels que, en 2014, l’Irak s’est complètement désintégré et une grande partie du pays est devenue un terrain de jeu pour le double fléau Daech et Hachd al-Chaabi, deux milices qui ont perpétré des crimes contre l’humanité avec une horreur et une cruauté jamais atteintes auparavant.

En tant que Premier ministre, M. Al-Sudani (un membre de longue date du parti Dawa de M. Al-Maliki) sera uniquement tenu responsable devant M. Al-Maliki et ses alliés paramilitaires du Hachd qui ont poussé l’Irak au bord de la guerre civile dans leurs efforts acharnés pour garantir sa candidature.

Une grande partie de la responsabilité pour ce désastre imposé à la démocratie irakienne incombe à Moqtada al-Sadr qui, jusqu’à récemment, possédait le plus grand bloc au Parlement. S’il avait su faire preuve d’un peu de patience et d’acuité politique, il aurait pu surmonter les efforts de blocage du Hachd et parvenir à un accord avec les Kurdes, les sunnites et les indépendants pour former un gouvernement. Au lieu de cela, il a attisé la plus grande colère politique, retiré ses partisans du Parlement et permis au Hachd d’acquérir la plupart des sièges ainsi libérés.

Au départ, il semblait que Moqtada al-Sadr disposait d’une stratégie gagnante au moment où il inondait la zone verte de ses partisans dans le but de bloquer la candidature de M. Al-Sudani et d’imposer des élections anticipées. Au lieu de cela, il a organisé l’une des récessions les plus humiliantes de l’histoire politique moderne, après que Téhéran a contraint son supérieur, l’ayatollah Kazem al-Haeri, à retirer son soutien.

Une déclaration incendiaire du bureau de Moqtada al-Sadr avertit que les nouveaux dirigeants cherchent à faire de l’Irak un «instrument pour servir les intérêts étrangers, tout en armant les hors-la-loi et en versant la richesse de la nation dans les poches de banques corrompues». Les alliés sadristes ont fait remarquer à de nombreuses reprises que les partis qui avaient accumulé le plus de pertes lors des élections précédentes s’étaient désormais entendus pour former un gouvernement, «réprimant ainsi les aspirations du peuple irakien».

Le Premier ministre Kadhimi avait servi de rempart vital contre la prééminence du Hachd. Dans les semaines à venir, vous verrez que ces milices feront un feu de joie de son héritage. Baria Alamuddin

Nous ne devrions pas négliger l’extrême animosité qui existe entre M. Al-Maliki et les sadristes, qui a parfois dégénéré en assassinats et en effusions de sang parmi les fantassins des deux dirigeants. Au mois de juillet dernier, un enregistrement a été divulgué. On y entend M. Al-Maliki, qui qualifie entre autres son rival Al-Sadr de «sioniste haineux». Temporairement réduit à une impuissance enragée, M. Al-Sadr prend son mal en patience en attendant d’infliger un maximum de dégâts à une administration négociée par M. Al-Maliki.

La responsabilité de cette débâcle incombe également aux factions politiques kurdes et sunnites. Elles savent très bien que M. Al-Maliki et le Hachd ont des ambitions antidémocratiques hostiles pour l’Irak, mais elles ont laissé la division s’installer au prix de la souveraineté de l’Irak. Au moment où le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan se disputent des postes futiles, ils risquent de noyer l’Irak dans un chaos total.

L’ancien président Barham Saleh était majoritairement considéré comme un homme digne de confiance. Son successeur, Abdel Latif Rachid – un Kurde indépendant qui a acquis une certaine notoriété après avoir occupé le poste de ministre des Ressources en eau – aura du mal à s’émanciper de l’ombre de M. Saleh. Lorsque l’on constate à quel point MM. Al-Sudani et Rachid sont faibles et influençables, on sait bien qui est destiné à gouverner l’Irak par la suite. Cependant, M. Al-Sudani a déjà du mal à former un gouvernement, dans un contexte où s’exprime une rivalité féroce entre les chefs de la faction Hachd pour savoir qui bénéficiera des postes clés.

Avec le soutien populaire accumulé par le Hachd au cours de l’année écoulée, Téhéran s’inquiète de l’éligibilité future de ses marionnettes irakiennes. Par conséquent, un complot est certainement déjà en cours pour savoir comment les élections à venir peuvent être sabotées – soit en empêchant carrément leur tenue, soit en cherchant à en contrôler les résultats.

Les pires craintes de l’Irak se concrétisent et la situation va se détériorer alors que les milices cherchent à renforcer leur présence déjà pesante à tous les niveaux de cette administration afin de contrôler jusqu’au dernier dinar corrompu de l’argent public. Le Premier ministre Kadhimi avait servi de rempart vital contre la prééminence du Hachd. Dans les semaines à venir, vous verrez que ces milices feront un feu de joie de son héritage.

Pourtant, dans cette période de victoire apparente, les milices du Hachd regardent nerveusement par-dessus leurs épaules. À l’est de l’Irak, depuis cinq semaines, un soulèvement national prend de l’ampleur. Des dizaines de milliers de filles et de femmes courageuses brûlent leurs hijabs et appellent à la chute des ayatollahs détestés et des commandants des gardiens de la révolution qui contrôlent le Hachd.

Le Hachd irakien et toutes les autres milices inféodées de l’Iran sont déjà en sursis. Peut-être pas cette année, mais très bientôt, il y aura suffisamment d’Iraniens courageux dans les rues pour anéantir, une fois pour toutes, leur régime tyrannique tant détesté.

Alors, le Hachd, le Hezbollah et les Houthis devront s’assurer que leurs valises sont prêtes et qu’ils se sont procuré leurs billets d’avion; car une fois leurs maîtres iraniens vaincus, personne ne sera là pour les protéger de la colère publique qui s’exprimera en raison des dommages qu’ils ont causés à la souveraineté, à la stabilité et à l’identité de leur patrie.

Baria Alamuddin, présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni, est une journaliste plusieurs fois primée. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com