Macron et les malédictions du 49.3

Pour le président français, finie la «Jupiter attitude», où disposant d’une majorité absolue au Palais Bourbon, il n’avait qu’à cligner des yeux pour obtenir l’approbation de la représentation nationale. (AFP).
Pour le président français, finie la «Jupiter attitude», où disposant d’une majorité absolue au Palais Bourbon, il n’avait qu’à cligner des yeux pour obtenir l’approbation de la représentation nationale. (AFP).
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Publié le Mardi 25 octobre 2022

Macron et les malédictions du 49.3

Macron et les malédictions du 49.3
  • Le second mandat d’Emmanuel Macron commence par un passage en force avec l’utilisation de l’article 49.3 pour faire adopter son projet de loi de finances
  • S’il ne trouve pas de solutions durables à cette carence de majorité, Emmanuel Macron pourrait avoir à affronter deux théâtres de blocages: le Parlement et la rue

Le véritable moment de la défaite d’Emmanuel Macron aux dernières législatives a été lorsque la Première ministre, Élisabeth Borne, debout devant l’Assemblée nationale, a annoncé le recours de son gouvernement au fameux article 49.3 pour faire adopter son projet de loi de finances. Une première sortie parlementaire sanctionnée par l’utilisation d’un article d’exception.

À cet instant précis, l’incarnation de la perte de la majorité absolue a été spectaculaire. Non pas que le recours à cet article exceptionnel qui suspend toute discussion parlementaire et tout vote est un acte politiquement répréhensible – d’autres gouvernements en ont usé et abusé –, mais cela renseigne sur la physionomie du second mandat d’Emmanuel Macron, qui commence par un passage en force et promet d’être un long chemin de croix.

Dès la première difficulté, dès la première épreuve, Macron dégaine le 49.3.

Pour le président français, finie la «Jupiter attitude», où disposant d’une majorité absolue au Palais Bourbon, il n’avait qu’à cligner des yeux pour obtenir l’approbation de la représentation nationale. Aujourd’hui, avec le casting parlementaire issu des élections, la lutte pour obtenir la confiance devient quotidienne, donc harassante, et nécessite un sérieux sens du compromis. Un tempérament qui n’est la qualité première ni du locataire de l’Élysée ni de sa Première ministre, dont le verni technocratique cache une absence évidente de l’indispensable sens du dialogue malgré toutes les postures affichées.

Dès la première difficulté, dès la première épreuve, Macron dégaine le 49.3. Il pourrait toujours arguer que la situation économique et sociale du pays – Covid-19 et guerre entre la Russie et l’Ukraine obligent – souffre d’une urgence qui ne supporte ni les arguties ni les coups de mentons de ce que certains appellent à tort «les caprices de l’opposition».

D’ailleurs, cette opposition, qui a récemment réalisé une massive entrée au Parlement, sous les couleurs de l’extrême droite et de la gauche radicale, est vent debout contre cette stratégie de Macron. Lorsque ce dernier avait envisagé d’inclure la fameuse et très problématique réforme de la retraite dans cette loi des finances, les réactions venant des deux ailes de l’hémicycle ont été violentes.

Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, comme l’alliance  populaire de la gauche, dont le leader est toujours Jean-Luc Mélenchon, ont menacé de déposer des motions de censure pour faire tomber le gouvernement d’Élisabeth Borne. Face à ces menaces, Emmanuel Macron n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. En cas de risque sérieux de vote d’une motion de censure, il procédera à la dissolution du Parlement, comme la Constitution de la Ve République l’y autorise, et appellera à de nouvelles élections législatives.

Cependant, ce scénario dramatisé par l’équipe Macron a peu de chances de se réaliser et ce, pour deux raisons essentielles. La première est qu’il existe une faible probabilité que les deux extrêmes de la vie politique française, droite et gauche, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, puissent s’accorder sur le même texte et le voter. Le fossé idéologique, les haines politiques recuites entre les deux camps, la compétition aiguë de leurs stratégies politiques de séduction font que leur possible accord sur un même texte punissant le gouvernement relèverait du miracle.

Cette crainte de perdre demain comme par enchantement ce qu’ils ont acquis hier par la force d’une campagne électorale féroce, pourrait s’avérer la meilleure assurance-vie pour Emmanuel Macron et la durée d’existence de son gouvernement.

La seconde raison qui pourrait rassurer Emmanuel Macron est que ni la gauche ni la droite, dans leurs multiples versions, n’ont un intérêt politique à revenir devant les électeurs en un temps record après les derniers élections. Marine Le Pen a intérêt à «notabiliser» son groupe parlementaire et à l’installer dans la durée. Tandis que la France insoumise (FI) n’est pas assurée de refaire les mêmes exploits électoraux.

Cette crainte de perdre demain comme par enchantement ce qu’ils ont acquis hier par la force d’une campagne électorale féroce, pourrait s’avérer la meilleure assurance-vie pour Emmanuel Macron et la durée d’existence de son gouvernement. Mais elle ne règle pas le problème de sa gouvernance. Il ne peut gérer son second mandat à coups de 49.3, dont les malédictions pourraient se payer cash en termes de météo sociale.

S’il ne trouve pas de solutions durables à cette carence de majorité, Emmanuel Macron pourrait avoir à affronter deux théâtres de blocages et d’escalade politique et sociale. Le premier est le Parlement, où face une opposition qui se sent privée de débat démocratique, sa fuite en avant sous couvert du 49.3 finira par bloquer l’ensemble de l’architecture institutionnelle. Le second est la rue, qui, face aux fermetures parlementaires, aux passages en force, sera inondée de toute  cette colère et de cette frustration sociale, avec un risque majeur d’escalades et de violences incontrôlées.

Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.  

TWITTER: @tossamus

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.