La France a besoin de ses immigrés

Certains Français ont commencé à dire à haute voix que leur salut ne viendrait qu’à travers une expulsion massive de ces immigrés. D’où le succès médiatique de la banalisation de la théorie du grand remplacement propagée par l’ex-journaliste devenu candidat à la présidentielle, Éric Zemmour. (AFP).
Certains Français ont commencé à dire à haute voix que leur salut ne viendrait qu’à travers une expulsion massive de ces immigrés. D’où le succès médiatique de la banalisation de la théorie du grand remplacement propagée par l’ex-journaliste devenu candidat à la présidentielle, Éric Zemmour. (AFP).
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Publié le Mercredi 09 novembre 2022

La France a besoin de ses immigrés

La France a besoin de ses immigrés
  • En proposant une régularisation massive aux immigrés clandestins qui travaillent dans des secteurs phares de l’économie française, le gouvernement reconnaît que cette économie a toujours besoin de main-d’œuvre étrangère pour continuer à fonctionner
  • Les réalités du marché du travail imposent des prises de conscience qui peuvent s’avérer contradictoires avec les discours et l’atmosphère politiques

Quelles que soient les polémiques qui accompagnent la nouvelle loi immigration que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, compte proposer au vote du Parlement dans les semaines à venir, une seule idée se faufile entre les lignes, travaille les esprits et alimente les débats.

En proposant une régularisation massive qui ne veut pas dire son nom aux immigrés clandestins qui travaillent dans des secteurs phares de l’économie française, le gouvernement reconnaît officiellement que cette économie a toujours besoin de main-d’œuvre étrangère pour continuer à fonctionner, contrairement à l’idée généralement admise selon laquelle le marché du travail français serait sous tension et ne peut absorber aucune main-d’œuvre étrangère supplémentaire.

Il est vrai que la communication du gouvernement limite cette offre de régularisation aux secteurs dits «sous tension» comme le bâtiment et la restauration, mais d’autres secteurs non moins vitaux, sinon plus, comme l’hôpital et le secteur de la santé en général, dépendent largement de cette main-d’œuvre étrangère comme l’a révélé au grand jour la pandémie de Covid-19.

On a répété pendant des années aux Français des campagnes, comme aux Français des villes, que l’immigré est un danger pour sa sécurité économique et sociale.

- Mustapha Tossa

Qu’importent les détails dans ce débat, l’essentiel est qu’il installe, chiffres et aveux officiels à l’appui, une nouvelle perception, voire une nouvelle réalité de l’immigration en France. Ironie de l’histoire, elle contredit ouvertement et de plein fouet le débat général sur l’immigration qui configure depuis des années la vie politique française, assurant un essor continu de l’extrême droite. Son icône, Marine Le Pen, est arrivée au second tour de la présidentielle à deux reprises et ce courant politique a vu un homme aux idées radicales et dangereuses comme Éric Zemmour gagner un énorme succès d’estime.

On a répété pendant des années aux Français des campagnes, comme aux Français des villes, que l’immigré est un danger pour sa sécurité économique et sociale. Si la France vit une crise existentielle aussi aiguë, ce serait selon cette logique la faute de ses immigrés qui viennent prendre le pain et le travail des Français.

Accablés par de telles fausses analyses, certains Français ont commencé à dire à haute voix que leur salut ne viendrait qu’à travers une expulsion massive de ces immigrés. D’où le succès médiatique de la banalisation de la théorie du grand remplacement propagée par l’ex-journaliste devenu candidat à la présidentielle, Éric Zemmour.

Ce que fait le gouvernement aujourd’hui à travers les propositions de Gérald Darmanin équivaut à jeter de l’eau glaciale sur des braises enflammées. Le ministre de l’Intérieur et avec lui, le gouvernement d’Élisabeth Borne et le président, Emmanuel Macron, ne le fait pas par opportunisme politique. Les réalités du marché et la sociologie du monde du travail imposent des prises de conscience qui peuvent s’avérer contradictoires avec les discours et l’atmosphère politiques.

La prise de conscience gouvernementale du besoin vital de l’économie française de la main-d’œuvre étrangère a été accentuée par la pandémie de la Covid-19 qui a révélé les faiblesses du marché du travail français.

- Mustapha Tossa

Une des réalités qui aide le gouvernement à faire bouger les lignes est le constat fait par le Pôle emploi de l’existence de centaines de milliers d’offres d’emploi impossibles à pourvoir alors que des millions de Français sont inscrits sur liste des demandeurs d’emploi.

La prise de conscience gouvernementale du besoin vital de l’économie française de la main-d’œuvre étrangère a été accentuée par la pandémie de la Covid-19 qui a révélé les faiblesses du marché du travail français. Ses besoins dépassent largement des secteurs saisonniers, tels que l’agriculture, pour toucher des secteurs encore plus structurants et dont dépend la relance de l’économie française.

Une fois cet aveu validé par les médias, il reste à savoir quelles seront les conséquences sur les discours de personnalités et de forces politiques qui ont bâti leur crédibilité sur une forme de xénophobie institutionnelle qui fait de l’immigré la source de tous les maux alors que le gouvernement le reconnaît comme une pièce maîtresse et incontournable dans la relance, voire la survie même de certains secteurs de l’économie française.

L’opposition de droite s’est déjà indignée de voir Emmanuel Macron tenter un double défi dans ses stratégies de conviction: celui de pouvoir établir un lien structurel entre délinquance et immigration et celui d’ouvrir les portes à une régulation massive sur le modèle qu’avait pratiqué l’ancien président socialiste, François Mitterrand, au début des années 1980.

Cette réaction augure un débat enflammé au Parlement lorsque ce projet de loi sera proposé à la discussion et au vote. Il est certain que le Rassemblement national de Marine Le Pen votera contre; de fortes chances que Les Républicains le bloqueront pour éviter ce qu’ils nomment l’«appel d’air» qu’il suscitera pour tous les candidats à l’immigration. Quant à l’alliance de gauche, ses propositions d’amendements sont telles qu’il lui sera impossible de voter le texte de Gérald Darmanin dans sa version brute. Voici donc une nouvelle impasse qui attend le gouvernement au palais Bourbon où sa majorité absolue n’est qu’un lointain souvenir.

Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.  

TWITTER: @tossamus

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.