Pour les travailleurs sans-papiers, la régularisation comme espoir contre l'«hypocrisie»

Des manifestants brandissent une banderole sur laquelle est écrit "Postiers sans papiers, régularisation !" lors d'une manifestation en faveur de la régularisation des migrants clandestins et de leurs conditions de vie dans le cadre d'une campagne "antiracisme et solidarité" le jour de la journée internationale des migrants, à Paris, le 18 décembre 2021. (Photo par Alain JOCARD / AFP)
Des manifestants brandissent une banderole sur laquelle est écrit "Postiers sans papiers, régularisation !" lors d'une manifestation en faveur de la régularisation des migrants clandestins et de leurs conditions de vie dans le cadre d'une campagne "antiracisme et solidarité" le jour de la journée internationale des migrants, à Paris, le 18 décembre 2021. (Photo par Alain JOCARD / AFP)
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Publié le Lundi 05 décembre 2022

Pour les travailleurs sans-papiers, la régularisation comme espoir contre l'«hypocrisie»

  • Ils sont maçons, cuisiniers, agents d'entretien... Tous répondent aux critères de régularisation du gouvernement, qui veut créer un titre de séjour "métier en tension" à la faveur de son projet de loi sur l'immigration
  • Comme beaucoup, Moussa, qui dirige «une cinquantaine de personnes», travaille sous «alias», avec l'identité d'une autre personne. Son employeur l'ignore

BOBIGNY: Sa carrure musculeuse n'aide pas: Moussa (prénom modifié) voudrait passer inaperçu. Du moins pour l'instant. Car le Malien, qui travaille clandestinement en France depuis cinq ans, s'apprête à jouer son avenir à "quitte ou double", en demandant sa régularisation.

Quelques minutes plus tôt, en ce jeudi matin de la fin novembre, il s'est engouffré dans un local de la CGT à Bobigny (Seine-Saint-Denis), mêlé aux silhouettes d'une centaine d'autres travailleurs sans-papiers, accompagnés dans leurs démarches par le syndicat.

Ils sont maçons, cuisiniers, agents d'entretien... Tous répondent aux critères de régularisation du gouvernement, qui veut créer un titre de séjour "métier en tension" dans les secteurs qui manquent de bras, à la faveur de son projet de loi sur l'immigration.

"J'attends ça de pied ferme, c'est ce qu'il faut. On est là, mais cachés, donc autant nous régulariser, faire les choses bien, qu'on puisse cotiser", explique le jeune homme de 30 ans, chef d'équipe dans la propreté.

Comme beaucoup, Moussa, qui dirige "une cinquantaine de personnes", travaille sous "alias", avec l'identité d'une autre personne. Son employeur l'ignore.

"Aujourd'hui, ma vie est bloquée, je ne peux pas avoir mon propre appartement, être autonome et je dois faire attention pour éviter qu'on découvre ma vraie identité. Ça met en tension permanente. Quand je vais en parler au patron, ce sera quitte ou double. Soit il m'aide, soit je perds mon travail", anticipe-t-il.

Expulsions, régularisations, asile: les principaux axes de la loi immigration

Expulser davantage les "étrangers délinquants", réformer le système d'asile et régulariser certains travailleurs sans-papiers. Le gouvernement va dévoiler les grandes lignes de son projet de loi sur l'immigration mardi, avant un débat sans vote à l'Assemblé nationale. En voici les principaux axes.

Expulser davantage

Conformément aux déclarations du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin depuis l'été, le gouvernement veut profiter de cette loi pour "donner la priorité à l'éloignement des étrangers délinquants", selon un document de présentation du projet de texte consulté par l'AFP.

Prenant acte que le taux d'exécution des "obligations de quitter le territoire français" (OQTF) n'a jamais dépassé les 20% - il se situe plutôt en-dessous de 10% aujourd'hui -, le gouvernement prévoit une série de durcissements.

Il veut en premier lieu "simplifier le contentieux des étrangers", qui engorge les tribunaux administratifs, en passant de douze recours possibles contre les expulsions à trois: "deux procédures urgentes et une procédure ordinaire".

Le texte prévoit également, en cas de menace grave à l'ordre public, de "lever les protections" contre l'expulsion dont bénéficient certains immigrés, notamment ceux arrivés en France avant 13 ans, ceux y résidant depuis plus de 10 ans et les étrangers mariés à des Français depuis plus de trois ans.

Réformer le système d'asile

Le gouvernement veut engager une "réforme structurelle" à "tous les stades" de la demande d'asile avec un double objectif: accélérer les procédures et parvenir à expulser plus rapidement.

L'une de mesures-phares du texte vise à délivrer une OQTF aux demandeurs d'asile "dès le

prononcé de la décision de rejet de l'Ofpra", l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sans attendre un éventuel recours.

En cas d'appel suspensif, l'OQTF "sera prise immédiatement" mais son exécution "sera reportée à la date de la décision de la CNDA", la Cour nationale du droit d'asile qui statue en appel, précise le document émanant des ministères de l'Intérieur et du Travail.

Le projet de loi prévoit d'élargir le recours à un juge unique à la CNDA, qui statue essentiellement de façon collégiale, ainsi que la "territorialisation" de cette juridiction (actuellement basée en région parisienne) au sein de cours administratives d'appel en régions.

Toujours dans une logique d'accélération des procédures, des espaces France Asile seront créés, avec la "présence d'agents de l'Ofpra" aux côtés de ceux de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) et des préfectures. Cela doit permettre "de gagner un mois sur les délais d'introduction de la demande".

Régulariser les travailleurs sans-papiers

L'exécutif, qui entend faire du travail "le premier lieu de l'intégration des étrangers", veut permettre aux travailleurs sans-papiers "déjà sur le territoire" d'obtenir un titre de séjour "spécifique" quand ils répondent "aux besoins de métiers en tension".

Cela passera par une mise à jour de la liste de ces métiers, créée en 2008 et actualisée une seule fois en 2021. Selon le document, le gouvernement veut y intégrer des secteurs tels que la restauration, la petite enfance, le bâtiment, la propreté et la logistique, des milieux "qui recourent trop souvent à l'emploi clandestin".

Ces dispositions s'accompagneront d'une lutte renforcée contre le travail illégal, par des amendes "dissuasive(s) et appliquée(s)" pour les employeurs.

Autre piste: permettre aux travailleurs de changer d'employeur sans passer par une nouvelle procédure d'autorisation de travail, actuellement à la main des employeurs.

Le gouvernement souhaite par ailleurs "permettre à certains demandeurs d'asile" d'être exonérés du délai de carence de six mois avant de pouvoir travailler, "lorsque l'on peut estimer qu'ils ont de grandes chances d'obtenir une protection internationale", comme les Afghans.

La langue française, condition d'intégration

L'exécutif veut "conditionner la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à la maîtrise d'un niveau minimal de français", selon le projet de texte qui prend acte que "25% des étrangers" engagés dans cet apprentissage "n'atteignent pas le niveau requis".

Cela "rendrait le système plus incitatif", estime le gouvernement, qui entend s'aligner sur une liste de voisins européens cités: Allemagne, Pays-Bas, Autriche, Italie, Portugal.

Gérald Darmanin avait esquissé, en novembre sur CNews, la piste d'un examen linguistique pour tous les titulaires d'un titre de séjour, une "révolution énorme" selon lui. Il avait alors estimé que 200.000 personnes déjà en France allaient devoir passer cet examen.

«Hypocrisie»

Avec cette carte de séjour, le gouvernement "a fait la moitié du chemin", mais plusieurs écueils demeurent, estime Jean-Albert Guidou, qui pilote le collectif immigration de la CGT. "D'abord, il faudrait changer la liste" des métiers en tension, obsolète, un sujet sur lequel le

ministère du Travail planche depuis novembre. Ensuite, "que se passe-t-il quand le métier n'est plus en tension", interroge le syndicaliste, qui dénonce "l'exploitation" de ces travailleurs et réclame "la fin de l'hypocrisie".

Sans cette main d’œuvre, poursuit-il, "les poubelles ne seraient pas vidées, il n'y aurait pas de cuisiniers dans les restaurants et pas d'ouvriers sur les chantiers".

Djibril (prénom modifié), poissonnier sur le marché de Rungis, préfère en rire: "C'est sûr qu'il n'y a pas beaucoup de Français qui veulent mon travail". Les horaires ? 21H-5H00 du matin, après quoi il faut errer en attendant les premiers transports en commun, faute de pouvoir passer le permis de conduire.

Blouson des Lakers sur le dos, cet autre Malien de 26 ans sort d'une pochette plastique ses dix-huit fiches de paie, établies au nom d'un "cousin". Insuffisant pour que le dossier soit envoyé en préfecture, regrette un bénévole qui le reçoit.

Le poissonnier voit d'un bon œil une autre mesure présentée par le gouvernement: permettre aux travailleurs de solliciter eux-mêmes leur régularisation, sans passer par l'employeur, pour casser certaines dérives.

Carte Barbès

Autant de promesses auxquelles Zeid Touré ne "croi(t) pas". L'Ivoirien de 37 ans vient d'être mis à pied par son entreprise -il nettoyait l'hôpital de Montreuil-, qui a découvert que sa carte de séjour, achetée dans le quartier populaire de Barbès, était une fausse.

"Les entreprises font ce qu'elles veulent. Elles se servent des sans-papiers tant que ça les arrange et ensuite elles nous virent. Il y a d'autres sans-papiers qui travaillent (pour la même entreprise, NDLR), eux on les garde", croit savoir le père de trois enfants nés en France, sous le coup d'une procédure d'expulsion.

"C'est hypocrite", juge lui aussi Djiberou, Malien de 51 ans qui manifestait fin novembre devant la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), en banlieue parisienne, pour réclamer une vague de régularisation.

Un scénario que le gouvernement a écarté, répétant que la carte de séjour "métier en tension" relèverait d'un examen individuel mais pas d'une "régularisation massive" dénoncée à droite et à l'extrême droite.

En attendant, grogne Djiberou, agent d'entretien depuis trois ans, "tout le monde sait qu'on est là, qu'on travaille, le seul résultat c'est que je vis dans un foyer sans aucun droit".

Sollicitée, la CPME n'a pas donné suite, mais les manifestants reçus dans ses locaux ont rapporté un "intérêt" du patronat pour la mesure gouvernementale.

S'il obtient sa régularisation, Moussa, lui, sait déjà ce qu'il fera: aider les agents de propreté sans-papiers de son équipe. "Et je suis sûr qu'il y en a plein."


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.


Gérald Darmanin visé par une plainte d'avocats pour son soutien implicite à Sarkozy

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
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  • Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique
  • Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy

PARIS: Ils accusent Gérald Darmanin de "prendre position": un collectif d'avocats a porté plainte auprès de la Cour de justice de la République (CJR) contre le ministre de la Justice pour son soutien implicite à Nicolas Sarkozy, à qui il a rendu visite en prison.

Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique.

Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy.

En confiant ce jour-là sa "tristesse" après la condamnation de M. Sarkozy et en annonçant lui rendre prochainement visite en prison, ce qu'il a fait depuis, M. Darmanin a "nécessairement pris position dans une entreprise dont il a un pouvoir d'administration", stipule la plainte que l'AFP a pu consulter.

M. Darmanin indiquait qu'il irait "voir en prison" M. Sarkozy pour s'inquiéter "de ses conditions de sécurité". Et d'ajouter: "J'ai beaucoup de tristesse pour le président Sarkozy", "l'homme que je suis, j'ai été son collaborateur, ne peut pas être insensible à la détresse d'un homme".

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent".

En "s'exprimant publiquement quant à sa volonté de rendre visite à M. Sarkozy en détention" ainsi "qu'en lui apportant implicitement son soutien", M. Darmanin a "nécessairement pris position" dans une entreprise dont il a aussi "un pouvoir de surveillance en tant que supérieur hiérarchique du parquet", déroulent les plaignants.

Juridiquement, ce collectif d'avocats porte plainte contre M. Darmanin pour "prise illégale d'intérêts", via une jurisprudence considérant que "l'intérêt" peut "être moral et plus précisément amical".

"Préjudice" 

"Il ne fait pas de doute que cet intérêt est de nature à compromettre l'impartialité et l'objectivité de M. Darmanin qui, en tant que ministre de la Justice, ne peut prendre position de cette manière dans une affaire pendante", argumentent les avocats.

Condamné le 25 septembre à cinq ans d'emprisonnement dans le dossier libyen pour association de malfaiteurs, l'ancien président a depuis déposé une demande de remise en liberté, que la justice doit examiner dans les prochaines semaines, avant son procès en appel en 2026.

Les propos de M. Darmanin sur France Inter avaient déjà ému la magistrature. Le plus haut procureur de France, Rémy Heitz, y avait vu un "risque d'obstacle à la sérénité" et donc "d'atteinte à l'indépendance des magistrats".

"S'assurer de la sécurité d'un ancien président de la République en prison, fait sans précédent, n'atteint en rien à l'indépendance des magistrats mais relève du devoir de vigilance du chef d'administration que je suis", s'était déjà défendu M. Darmanin sur X.

Pour le collectif d'avocats, "les déclarations" du ministre de la Justice, "suivies" de sa "visite rendue à la prison de la Santé", sont "susceptibles de mettre à mal la confiance que les justiciables ont dans la justice et leurs auxiliaires", que sont notamment les avocats.

Les "agissements" de M. Darmanin leur causent "ainsi un préjudice d'exercice et d'image qui rend nécessaire le dépôt de cette plainte auprès de la commission des requêtes" de la CJR, peut-on encore lire dans la plainte.

La CJR est la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.