Pour les travailleurs sans-papiers, la régularisation comme espoir contre l'«hypocrisie»

Des manifestants brandissent une banderole sur laquelle est écrit "Postiers sans papiers, régularisation !" lors d'une manifestation en faveur de la régularisation des migrants clandestins et de leurs conditions de vie dans le cadre d'une campagne "antiracisme et solidarité" le jour de la journée internationale des migrants, à Paris, le 18 décembre 2021. (Photo par Alain JOCARD / AFP)
Des manifestants brandissent une banderole sur laquelle est écrit "Postiers sans papiers, régularisation !" lors d'une manifestation en faveur de la régularisation des migrants clandestins et de leurs conditions de vie dans le cadre d'une campagne "antiracisme et solidarité" le jour de la journée internationale des migrants, à Paris, le 18 décembre 2021. (Photo par Alain JOCARD / AFP)
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Publié le Lundi 05 décembre 2022

Pour les travailleurs sans-papiers, la régularisation comme espoir contre l'«hypocrisie»

  • Ils sont maçons, cuisiniers, agents d'entretien... Tous répondent aux critères de régularisation du gouvernement, qui veut créer un titre de séjour "métier en tension" à la faveur de son projet de loi sur l'immigration
  • Comme beaucoup, Moussa, qui dirige «une cinquantaine de personnes», travaille sous «alias», avec l'identité d'une autre personne. Son employeur l'ignore

BOBIGNY: Sa carrure musculeuse n'aide pas: Moussa (prénom modifié) voudrait passer inaperçu. Du moins pour l'instant. Car le Malien, qui travaille clandestinement en France depuis cinq ans, s'apprête à jouer son avenir à "quitte ou double", en demandant sa régularisation.

Quelques minutes plus tôt, en ce jeudi matin de la fin novembre, il s'est engouffré dans un local de la CGT à Bobigny (Seine-Saint-Denis), mêlé aux silhouettes d'une centaine d'autres travailleurs sans-papiers, accompagnés dans leurs démarches par le syndicat.

Ils sont maçons, cuisiniers, agents d'entretien... Tous répondent aux critères de régularisation du gouvernement, qui veut créer un titre de séjour "métier en tension" dans les secteurs qui manquent de bras, à la faveur de son projet de loi sur l'immigration.

"J'attends ça de pied ferme, c'est ce qu'il faut. On est là, mais cachés, donc autant nous régulariser, faire les choses bien, qu'on puisse cotiser", explique le jeune homme de 30 ans, chef d'équipe dans la propreté.

Comme beaucoup, Moussa, qui dirige "une cinquantaine de personnes", travaille sous "alias", avec l'identité d'une autre personne. Son employeur l'ignore.

"Aujourd'hui, ma vie est bloquée, je ne peux pas avoir mon propre appartement, être autonome et je dois faire attention pour éviter qu'on découvre ma vraie identité. Ça met en tension permanente. Quand je vais en parler au patron, ce sera quitte ou double. Soit il m'aide, soit je perds mon travail", anticipe-t-il.

Expulsions, régularisations, asile: les principaux axes de la loi immigration

Expulser davantage les "étrangers délinquants", réformer le système d'asile et régulariser certains travailleurs sans-papiers. Le gouvernement va dévoiler les grandes lignes de son projet de loi sur l'immigration mardi, avant un débat sans vote à l'Assemblé nationale. En voici les principaux axes.

Expulser davantage

Conformément aux déclarations du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin depuis l'été, le gouvernement veut profiter de cette loi pour "donner la priorité à l'éloignement des étrangers délinquants", selon un document de présentation du projet de texte consulté par l'AFP.

Prenant acte que le taux d'exécution des "obligations de quitter le territoire français" (OQTF) n'a jamais dépassé les 20% - il se situe plutôt en-dessous de 10% aujourd'hui -, le gouvernement prévoit une série de durcissements.

Il veut en premier lieu "simplifier le contentieux des étrangers", qui engorge les tribunaux administratifs, en passant de douze recours possibles contre les expulsions à trois: "deux procédures urgentes et une procédure ordinaire".

Le texte prévoit également, en cas de menace grave à l'ordre public, de "lever les protections" contre l'expulsion dont bénéficient certains immigrés, notamment ceux arrivés en France avant 13 ans, ceux y résidant depuis plus de 10 ans et les étrangers mariés à des Français depuis plus de trois ans.

Réformer le système d'asile

Le gouvernement veut engager une "réforme structurelle" à "tous les stades" de la demande d'asile avec un double objectif: accélérer les procédures et parvenir à expulser plus rapidement.

L'une de mesures-phares du texte vise à délivrer une OQTF aux demandeurs d'asile "dès le

prononcé de la décision de rejet de l'Ofpra", l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sans attendre un éventuel recours.

En cas d'appel suspensif, l'OQTF "sera prise immédiatement" mais son exécution "sera reportée à la date de la décision de la CNDA", la Cour nationale du droit d'asile qui statue en appel, précise le document émanant des ministères de l'Intérieur et du Travail.

Le projet de loi prévoit d'élargir le recours à un juge unique à la CNDA, qui statue essentiellement de façon collégiale, ainsi que la "territorialisation" de cette juridiction (actuellement basée en région parisienne) au sein de cours administratives d'appel en régions.

Toujours dans une logique d'accélération des procédures, des espaces France Asile seront créés, avec la "présence d'agents de l'Ofpra" aux côtés de ceux de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) et des préfectures. Cela doit permettre "de gagner un mois sur les délais d'introduction de la demande".

Régulariser les travailleurs sans-papiers

L'exécutif, qui entend faire du travail "le premier lieu de l'intégration des étrangers", veut permettre aux travailleurs sans-papiers "déjà sur le territoire" d'obtenir un titre de séjour "spécifique" quand ils répondent "aux besoins de métiers en tension".

Cela passera par une mise à jour de la liste de ces métiers, créée en 2008 et actualisée une seule fois en 2021. Selon le document, le gouvernement veut y intégrer des secteurs tels que la restauration, la petite enfance, le bâtiment, la propreté et la logistique, des milieux "qui recourent trop souvent à l'emploi clandestin".

Ces dispositions s'accompagneront d'une lutte renforcée contre le travail illégal, par des amendes "dissuasive(s) et appliquée(s)" pour les employeurs.

Autre piste: permettre aux travailleurs de changer d'employeur sans passer par une nouvelle procédure d'autorisation de travail, actuellement à la main des employeurs.

Le gouvernement souhaite par ailleurs "permettre à certains demandeurs d'asile" d'être exonérés du délai de carence de six mois avant de pouvoir travailler, "lorsque l'on peut estimer qu'ils ont de grandes chances d'obtenir une protection internationale", comme les Afghans.

La langue française, condition d'intégration

L'exécutif veut "conditionner la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à la maîtrise d'un niveau minimal de français", selon le projet de texte qui prend acte que "25% des étrangers" engagés dans cet apprentissage "n'atteignent pas le niveau requis".

Cela "rendrait le système plus incitatif", estime le gouvernement, qui entend s'aligner sur une liste de voisins européens cités: Allemagne, Pays-Bas, Autriche, Italie, Portugal.

Gérald Darmanin avait esquissé, en novembre sur CNews, la piste d'un examen linguistique pour tous les titulaires d'un titre de séjour, une "révolution énorme" selon lui. Il avait alors estimé que 200.000 personnes déjà en France allaient devoir passer cet examen.

«Hypocrisie»

Avec cette carte de séjour, le gouvernement "a fait la moitié du chemin", mais plusieurs écueils demeurent, estime Jean-Albert Guidou, qui pilote le collectif immigration de la CGT. "D'abord, il faudrait changer la liste" des métiers en tension, obsolète, un sujet sur lequel le

ministère du Travail planche depuis novembre. Ensuite, "que se passe-t-il quand le métier n'est plus en tension", interroge le syndicaliste, qui dénonce "l'exploitation" de ces travailleurs et réclame "la fin de l'hypocrisie".

Sans cette main d’œuvre, poursuit-il, "les poubelles ne seraient pas vidées, il n'y aurait pas de cuisiniers dans les restaurants et pas d'ouvriers sur les chantiers".

Djibril (prénom modifié), poissonnier sur le marché de Rungis, préfère en rire: "C'est sûr qu'il n'y a pas beaucoup de Français qui veulent mon travail". Les horaires ? 21H-5H00 du matin, après quoi il faut errer en attendant les premiers transports en commun, faute de pouvoir passer le permis de conduire.

Blouson des Lakers sur le dos, cet autre Malien de 26 ans sort d'une pochette plastique ses dix-huit fiches de paie, établies au nom d'un "cousin". Insuffisant pour que le dossier soit envoyé en préfecture, regrette un bénévole qui le reçoit.

Le poissonnier voit d'un bon œil une autre mesure présentée par le gouvernement: permettre aux travailleurs de solliciter eux-mêmes leur régularisation, sans passer par l'employeur, pour casser certaines dérives.

Carte Barbès

Autant de promesses auxquelles Zeid Touré ne "croi(t) pas". L'Ivoirien de 37 ans vient d'être mis à pied par son entreprise -il nettoyait l'hôpital de Montreuil-, qui a découvert que sa carte de séjour, achetée dans le quartier populaire de Barbès, était une fausse.

"Les entreprises font ce qu'elles veulent. Elles se servent des sans-papiers tant que ça les arrange et ensuite elles nous virent. Il y a d'autres sans-papiers qui travaillent (pour la même entreprise, NDLR), eux on les garde", croit savoir le père de trois enfants nés en France, sous le coup d'une procédure d'expulsion.

"C'est hypocrite", juge lui aussi Djiberou, Malien de 51 ans qui manifestait fin novembre devant la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), en banlieue parisienne, pour réclamer une vague de régularisation.

Un scénario que le gouvernement a écarté, répétant que la carte de séjour "métier en tension" relèverait d'un examen individuel mais pas d'une "régularisation massive" dénoncée à droite et à l'extrême droite.

En attendant, grogne Djiberou, agent d'entretien depuis trois ans, "tout le monde sait qu'on est là, qu'on travaille, le seul résultat c'est que je vis dans un foyer sans aucun droit".

Sollicitée, la CPME n'a pas donné suite, mais les manifestants reçus dans ses locaux ont rapporté un "intérêt" du patronat pour la mesure gouvernementale.

S'il obtient sa régularisation, Moussa, lui, sait déjà ce qu'il fera: aider les agents de propreté sans-papiers de son équipe. "Et je suis sûr qu'il y en a plein."


Budget de l'Etat: au Sénat, la droite tentée par le compromis, mais pas à n'importe quel prix

Le Premier ministre français Sébastien Lecornu s'exprime lors d'une déclaration gouvernementale sur la stratégie de défense nationale à l'Assemblée nationale, à Paris, le 10 décembre 2025. (AFP)
Le Premier ministre français Sébastien Lecornu s'exprime lors d'une déclaration gouvernementale sur la stratégie de défense nationale à l'Assemblée nationale, à Paris, le 10 décembre 2025. (AFP)
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  • Le gouvernement met la pression sur la droite sénatoriale, devenue incontournable pour l’adoption du budget de l’État 2026
  • Malgré des tentatives de rapprochement en commission mixte paritaire, le risque d’échec demeure élevé ouvrant la voie soit à l’usage du 49.3

PARIS: Appelée par le gouvernement à se montrer constructive, la droite sénatoriale n'entend pas tourner le dos à un compromis sur le budget de l'Etat, mais sa fermeté vis-à-vis des socialistes risque de compliquer l'aboutissement de la discussion budgétaire avant 2026.

"La balle est aujourd'hui dans le camp du Parlement et significativement de la droite sénatoriale", a lancé mercredi la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon.

Une manière de mettre la pression sur la chambre haute et son alliance majoritaire droite-centristes. Elle détient à elle seule une grande partie des clés d'une équation jusqu'ici insoluble sur le projet de loi de finances pour 2026 (PLF).

En effet, si le compromis a été possible sans le Sénat sur le budget de la Sécurité sociale, les délais sur le budget de l'Etat sont tellement contraints que seul un accord entre les deux chambres du Parlement pourrait permettre l'adoption d'un budget avant le 31 décembre.

Le Sénat doit voter lundi sur l'ensemble du projet de budget, largement remanié par rapport à la version gouvernementale. Ensuite, une commission mixte paritaire (CMP), réunion de sept députés et sept sénateurs, sera chargée de trouver un terrain d'entente.

- CMP décisive -

Cette CMP est pour le moment fixée au vendredi 19 décembre, ce qui laisse encore quelques jours aux parlementaires pour négocier le périmètre d'un accord.

Si le gouvernement y croit, l'intransigeance de Bruno Retailleau, patron des Républicains et ténor de la droite sénatoriale, reste totale à ce stade.

"Il ne pourra pas y avoir d'accord sur un budget qui augmenterait considérablement les impôts et ne réduirait pas significativement la dette", a-t-il fermement affirmé au Figaro.

Autre signe d'une droite sénatoriale inflexible: elle a rejeté d'emblée, vendredi, le budget de la Sécurité sociale dans sa version de compromis trouvée à l'Assemblée nationale, laissant le dernier mot aux députés.

Une issue différente sur le budget de l'Etat ? Le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson, martèle depuis plusieurs semaines sa conviction qu'une "voie de passage existe".

"Nous serons dans l'écoute et dans l'ouverture, mais pas à n'importe quel prix. Personne ne peut se permettre de viser une victoire politique sur ce budget", assure auprès de l'AFP celui qui pilote les débats budgétaires au Sénat.

Ce dernier a commencé, ces derniers jours, à rapprocher les points de vue avec son homologue de l'Assemblée nationale, Philippe Juvin (LR lui aussi). Une autre réunion est prévue dimanche entre ces deux responsables.

"Mon objectif, c'est bien de trouver un atterrissage", confirme Philippe Juvin à l'AFP. "Il me semble que c'est accessible".

Le président du Sénat Gérard Larcher, connu pour ses qualités de conciliateur, est lui aussi dans cette optique.

Mais le patron de la chambre haute, qui a échangé avec Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu jeudi, reste très agacé par le choix du Premier ministre de se tourner vers le Parti socialiste et lui reproche d'avoir "méprisé" le Sénat.

- "Pas prêt à se renier" -

"On est prêt à faire des efforts mais on n'est pas prêt à se renier", glisse un proche du président Larcher, pour qui "trop de concessions ont été faites à la gauche".

"Ce n'est pas à la droite sénatoriale d'aller parler au PS, c'est à Sébastien Lecornu d'aller voir les socialistes pour leur dire que maintenant ça suffit, qu'ils ont tout obtenu dans le budget de la Sécu", explicite Christine Lavarde, sénatrice LR qui devrait siéger en CMP.

Une commission mixte paritaire conclusive ne suffirait pas, néanmoins, car il faudrait ensuite que le texte de compromis soit adopté par l'Assemblée nationale, avec au minimum une abstention de la gauche qui paraît impensable à ce stade.

Et certains cadres du bloc central en appellent au retour du 49.3 pour valider cet hypothétique accord.

"Le 49.3 n'est pas une baguette magique, si le gouvernement l'utilise sans compromis préalable, il s'expose à une censure immédiate", a menacé le premier secrétaire du PS Olivier Faure dans Libération.

Lui, comme beaucoup, anticipe déjà l'alternative: l'adoption d'une loi spéciale avant le 31 décembre, afin de permettre la poursuite des activités de l'Etat, et la reprise des débats début 2026. Avec un nouveau casse-tête budgétaire en perspective...


Paris incite le Liban à adopter des mesures pour éviter l’explosion

Un convoi transportant une délégation du Conseil de sécurité des Nations unies lors d'une visite de la frontière avec Israël près de la région de Naqura, dans le sud du Liban, le 6 décembre 2025. (AFP)
Un convoi transportant une délégation du Conseil de sécurité des Nations unies lors d'une visite de la frontière avec Israël près de la région de Naqura, dans le sud du Liban, le 6 décembre 2025. (AFP)
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  • La France intensifie ses efforts diplomatiques pour prévenir une escalade israélienne au Liban en renforçant un mécanisme vérifiable de désarmement au Sud-Litani, avec l’appui de la FINUL et l’implication des partenaires internationaux
  • Paris presse également les autorités libanaises de lever le blocage politique afin de débloquer l’aide internationale, soutenir les Forces armées libanaises et relancer la reconstruction du Sud

PARIS: À peine deux semaines après la visite au Liban d’Anne-Claire Legendre, conseillère Afrique–Moyen-Orient à l’Élysée, l’envoyé spécial du président français, Jean-Yves Le Drian, s’est à son tour rendu à Beyrouth pour mener une série d’entretiens avec les responsables libanais.

La proximité de ces deux déplacements ne relève pas du hasard, mais traduit une inquiétude française croissante face au risque d’une nouvelle escalade israélienne sur le territoire libanais.

Paris observe attentivement la dynamique régionale actuelle et, selon son analyse, si Israël se heurte en Syrie à une vigilance américaine accrue, qui a conduit Washington à intervenir verbalement lorsque certaines frappes menaçaient la stabilité du pays, il n’en va pas de même pour le Liban.

C’est précisément là que réside, aux yeux de la France, le principal danger, dans un contexte régional marqué par le cessez-le-feu à Gaza et les tensions préélectorales en Israël.

Les déclarations israéliennes se sont récemment durcies, tout comme les frappes dans le Sud-Liban, et cette montée de la tension est, selon Paris, directement liée au cessez-le-feu du 9 octobre à Gaza.

Elle s’inscrit aussi dans un contexte politique intérieur israélien où le Premier ministre Benjamin Netanyahou aurait davantage à gagner, en termes de popularité, en poursuivant les hostilités régionales qu’en y mettant un terme.

L’absence de contraintes américaines fortes au Liban ouvre ainsi à Israël une marge de manœuvre plus large et alimente le risque d’un dérapage.

Face à ce risque, la diplomatie française tente d’agir sur un levier central, celui de la mise en œuvre et de la vérification du plan de désarmement élaboré par les Forces armées libanaises (FAL), connu sous le nom de Nation Shield.

Cette initiative prévoit, dans une première phase, un désarmement effectif au sud du Litani avant le 31 décembre, une échéance qui coïncide avec la montée de la pression israélienne.

Jusqu’à présent, le mécanisme franco-américain reposait essentiellement sur des déclarations des FAL, dont aucune n’était rendue publique ni documentée de manière indépendante, mais pour Paris, il devient indispensable de passer d’un système déclaratif à un système vérifiable.

Ce système est capable de convaincre autant Israël que les partenaires internationaux, en particulier les États-Unis et l’Arabie saoudite, acteurs clés du dossier libanais, du bien-fondé des agissements du Liban.

La FINUL dispose, selon Paris, de la capacité d’accompagner systématiquement les opérations des Forces armées libanaises (FAL) sur le terrain. Pour cela, les propositions françaises visent à établir un tableau de bord précis, zone par zone, démontrant que le travail est effectivement accompli au Sud.

Un tel dispositif doit permettre, du point de vue français, d’opposer des faits aux narratifs israéliens affirmant l’absence de progrès.

Le Drian a ainsi finalisé à Beyrouth le cadre d’un mécanisme renforcé. Désormais, les opérations des FAL devront être accompagnées, vérifiées et cartographiées afin de produire une évaluation destinée aux partenaires internationaux.

L’une des priorités de Paris est de convaincre l’Arabie saoudite, qui suit de très près le dossier du désarmement du Hezbollah et souhaite pouvoir constater sur pièces les avancées réelles sur le terrain avant de s’engager davantage, notamment dans la conférence de soutien aux FAL.

Paris estime que cette prudence est légitime et entend démontrer que les progrès réalisés méritent un soutien financier accru. 

Dans ce contexte, les contacts s’intensifient et des échanges étroits ont lieu avec l’émissaire américaine Morgan Ortagus et avec le conseiller du ministre saoudien des Affaires étrangères Yazid Ben Farhane.

Le chef des Forces armées libanaises, Rodolphe Haykal, est attendu à Paris dans les prochains jours. 

Même si aucune réunion trilatérale France–Arabie saoudite–États-Unis n’est officiellement confirmée pour le 18 décembre à Paris, des consultations régulières témoignent d’une coordination active.

Au-delà des questions sécuritaires, la France s’inquiète également du blocage politique interne au Liban, qui paralyse la reconstruction du Sud et la mise en œuvre de plusieurs programmes internationaux.

Le Parlement étant suspendu dans le cadre de la bataille politique autour des échéances électorales, les lois déjà votées ne sont pas adoptées, ce qui empêche l’exécution du programme de la Banque mondiale, essentiel à la reconstruction des zones affectées.

Il en va de même pour le document « GALPO », crucial pour relancer la coopération avec le FMI et convoquer une conférence internationale de reconstruction.

Ce document est en voie de finalisation du côté du gouvernement, mais son adoption dépend du Parlement.

Le Drian a insisté auprès du président et des responsables politiques libanais sur l’urgence de lever ce blocage, estimant qu’il s’agit d’un impératif vital pour l’ensemble des Libanais, et surtout pour ceux du Sud, les premiers touchés par les tensions actuelles.

Reste la question la plus délicate, celle du Hezbollah, d’autant plus que Paris constate que le mouvement chiite n’a pas renoncé à sa posture militaire et continue certains transferts d’armes.

Le Sud-Litani constitue un point de friction, mais le Nord-Litani pourrait, à terme, devenir un enjeu encore plus complexe, et la France considère néanmoins que le premier objectif doit être de prouver les progrès au Sud, base indispensable pour toute discussion ultérieure.

Le renforcement du mécanisme de vérification vise précisément, pour Paris, à établir un tiers de confiance permettant de distinguer déclarations politiques et réalité opérationnelle.

La France se trouve donc engagée dans une course diplomatique et technique pour éviter une explosion au Liban, mais elle estime qu’en renforçant la transparence des actions des forces libanaises, en mobilisant les partenaires régionaux et internationaux, et en poussant Beyrouth à débloquer ses institutions, il est possible de créer les conditions d’un apaisement durable sur la Ligne bleue.


Deuxième journée du sommet France- Pays Arabes, centrée sur l’eau, l’environnement et la reconstruction

Des experts français, des responsables arabes et des acteurs du secteur privé ont approfondi trois grandes thématiques : l’eau au cœur des besoins, les investissements et infrastructures, et enfin un focus stratégique sur le corridor économique Inde–Moyen-Orient–Europe (IMEC), présenté comme l’un des projets géoéconomiques les plus ambitieux de la décennie. (Photo Arlette Khouri)
Des experts français, des responsables arabes et des acteurs du secteur privé ont approfondi trois grandes thématiques : l’eau au cœur des besoins, les investissements et infrastructures, et enfin un focus stratégique sur le corridor économique Inde–Moyen-Orient–Europe (IMEC), présenté comme l’un des projets géoéconomiques les plus ambitieux de la décennie. (Photo Arlette Khouri)
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  • Dans son intervention durant le sommet, Jean-Baptiste Fauvet, chef du service économique régional pour la péninsule Arabique, a rappelé un chiffre choc en affirmant que, dans plusieurs pays arabes, la pénurie d’eau pèse déjà 1,8 % du PIB
  • Un coût qui pourrait, selon lui, atteindre 14 % d’ici à 2050 si rien n’est fait, soulignant que l’eau n’est plus un sujet sectoriel, mais un défi économique, sécuritaire et social de premier plan

PARIS: Pour la deuxième journée consécutive, le sixième Sommet économique France–pays arabes, organisé à Paris par la Chambre de commerce franco-arabe, a tenu ses promesses.
Après une première journée consacrée aux échanges économiques et aux perspectives d’investissement, ce second temps fort s’est concentré sur un enjeu devenu stratégique pour l’ensemble du monde arabe : l’eau et l’environnement, entre crises, besoins structurels et nouvelles opportunités technologiques.

Des experts français, des responsables arabes et des acteurs du secteur privé ont approfondi trois grandes thématiques : l’eau au cœur des besoins, les investissements et infrastructures, et enfin un focus stratégique sur le corridor économique Inde–Moyen-Orient–Europe (IMEC), présenté comme l’un des projets géoéconomiques les plus ambitieux de la décennie.

Dans son intervention durant le sommet, Jean-Baptiste Fauvet, chef du service économique régional pour la péninsule Arabique, a rappelé un chiffre choc en affirmant que, dans plusieurs pays arabes, la pénurie d’eau pèse déjà 1,8 % du PIB.
Un coût qui pourrait, selon lui, atteindre 14 % d’ici à 2050 si rien n’est fait, soulignant que l’eau n’est plus un sujet sectoriel, mais un défi économique, sécuritaire et social de premier plan.

L’eau, un défi stratégique au cœur du Sommet France–pays arabes

Il a ensuite dressé une cartographie précise des acteurs internationaux aujourd’hui mobilisés, comme la Banque mondiale, premier bailleur, dont plus de 2,5 milliards de dollars sont engagés dans la région.
Il a également cité les grandes institutions multilatérales comme la Banque africaine de développement ou le Fonds arabe pour le développement économique et social, ainsi que les fonds climatiques mondiaux, comme le GEF, qui soutiennent des projets structurants en Jordanie et ailleurs, et la Banque européenne d’investissement et la BERD, très présentes sur les projets de dessalement et de transport d’eau.

Au-delà des financements, ces acteurs agissent de plus en plus en coalition, permettant de mutualiser les risques et d’augmenter l’impact. Dans ce paysage, la France occupe une place singulière grâce à la stratégie internationale pour l’eau lancée en 2020 et portée activement dans les enceintes multilatérales.
Fauvet a surtout souligné le rôle central de l’Agence française de développement, qui joue un rôle pivot, notamment en Irak où l’eau constitue la première destination de ses financements, indiquant que deux nouveaux prêts de 110 et 100 millions d’euros viennent d’y être signés.

Il a également évoqué le rôle, souvent mal compris, des fonds souverains du Golfe — puissants (plus de 5 000 milliards d’actifs cumulés) — qui sont des acteurs stratégiques capables d’impulser le secteur privé en garantissant certains revenus ou en soutenant des projets d’infrastructure.

Après l’analyse macroéconomique est venu le témoignage saisissant d’Ali Hamie, ancien ministre et conseiller du président libanais pour la reconstruction, qui a dressé un constat alarmant des destructions provoquées par l’agression israélienne de 2024, laquelle se poursuit encore aujourd’hui.
Au 27 novembre 2024, date du cessez-le-feu, 15 000 bâtiments avaient déjà été totalement détruits. Un an plus tard, en novembre 2025, ce chiffre avait presque doublé, sans compter les zones non encore recensées, notamment dans la banlieue sud de Beyrouth.
Les chiffres qu’il a présentés donnent la mesure de la catastrophe : certains villages du Sud ont été détruits à 88 %, au point de disparaître, et plus de 35 000 bâtiments sont aujourd’hui détruits ou lourdement touchés.

Partenariats régionaux et reconstructions : enjeux du Golfe au Liban

Mohamed Ben Laden, président du Conseil d’affaires franco-saoudien, est intervenu longuement sur l’état du partenariat franco-saoudien, notamment à l’issue du dernier forum économique de Riyad, marqué par l’effervescence d’un pays projeté à la fois vers l’Expo 2030 et la Coupe du monde 2034.
Président depuis quelques années du Conseil d’affaires franco-saoudien, Ben Laden assure que cela illustre combien « nos deux nations partagent non seulement une vision stratégique, politique et économique, mais aussi une longue histoire commune, faite de crises traversées et de transformations profondes dans un monde en perpétuel changement ».

Réagissant aux propos de l’envoyé spécial du président de la République française, Gérard Mestrallet, qui a évoqué le corridor économique Inde–Moyen-Orient–Europe, l’IMEC, au centre d’un premier accord énergétique signé en 2020, Ben Laden a déclaré que la France et l’Arabie saoudite ont souhaité aller plus loin.
C’est ainsi que leur partenariat s’est élevé à un niveau réellement stratégique, avec l’accord majeur signé par le président Macron et le prince héritier d’Arabie saoudite lors de la visite de décembre 2024, « qui fut un très grand succès pour nos relations bilatérales ».

Depuis le lancement de Vision 2030, en 2016, a-t-il ajouté, l’Arabie saoudite a mis en œuvre d’immenses réformes économiques dont les résultats sont aujourd’hui visibles.
« Nous avons franchi la moitié du chemin vers 2030, et tous les indicateurs sont au vert ; pour la première fois, 56 % du PIB provient désormais de secteurs non pétroliers, ce qui constitue un tournant historique pour notre pays.
Nous avons éradiqué la corruption, instauré une gouvernance claire et crédible, et cela a immédiatement attiré les investisseurs », a-t-il poursuivi, invitant le Liban, « que nous aimons, à suivre le même chemin pour regagner la confiance internationale ».

Il a ensuite décrit la dynamique d’intégration régionale en cours au sein du Golfe : « Le 3 décembre, nous avons créé une autorité commune de l’aviation civile, et la semaine dernière, nous avons annoncé une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Doha et Riyad, connectant la région orientale du Royaume.
Le Golfe bouge, s’unit, crée une dynamique logistique jamais vue », a assuré Ben Laden, « et nous avons tout intérêt à ce qu’elle s’étende à la Syrie et au Liban ».

S’attardant sur les perceptions européennes des mégaprojets saoudiens, il indique : « Certes, l’Arabie saoudite est aujourd’hui le plus grand chantier à ciel ouvert au monde, mais nous accordons autant d’importance à l’édification de l’homme, à la formation de notre jeunesse.
Nous réformons entièrement notre système éducatif, et les écoles françaises sont les bienvenues pour développer des partenariats, de même que les grandes écoles, qui arrivent encore timidement, doivent comprendre que le français demeure aussi une langue des affaires. »

Abordant le rôle des petites et moyennes entreprises françaises (PME), il a soutenu qu’elles ont leur place en Arabie, tout comme les grands groupes français, puisque le cadre législatif favorise désormais les entreprises implantées dans le pays.
« La législation évolue. Vous pouvez désormais être propriétaire de votre résidence en Arabie saoudite, et le régime de Premium Residency vous permet d’investir seul, sans partenaire local, d’acquérir un bien et de vivre dans le Royaume. »